Proliférations
Campagne internationale pour l'abolition des armes nucléaires (ICAN), New York, octobre 2016
Crédit : ICAN, 2016
Campagne internationale pour l'abolition des armes nucléaires (ICAN), New York, octobre 2016.
Cette coalition internationale d’ONG dans une centaine de pays, créée en 2007, lauréate du Prix Nobel de la Paix en 2017 vise à mobiliser les citoyens de tous les pays pour faire pression sur leurs gouvernements afin de lancer et de soutenir des négociations en faveur d’un traité d’interdiction des armes nucléaires. En exposant son emblème au pied du « revolver noué » au siège de l’ONU à New York, le mouvement antinucléaire redouble son message symbolisé par le symbole de la paix et par une arme nucléaire brisée.
Résumé
La catégorie des armes de destruction massive (ADM) tout comme son interprétation en termes de prolifération posent question. Les armes chimiques, biologiques et nucléaires regroupées dans l’acronyme ADM sont pourtant l’objet de processus de régulation distincts qui se déroulent selon des temporalités différentes. Depuis les années 1990, le mot prolifération est également associé à des armes conventionnelles (mines anti-personnel, armes légères, etc.).
L’expression « armes de destruction massive » (ADM), qui naît à la fin de la seconde guerre mondiale en lien avec l’apparition des armes nucléaires, désigne des armes dont la première définition est négative : ce sont celles qui ne sont pas classiques, conventionnelles. La cohérence de cette catégorie est doublement questionnable. D’une part, de nombreuses définitions existent, qui ne rangent pas dans les ADM les mêmes types d’armes : aux armes nucléaires, chimiques et biologiques, faut-il ajouter les armes radiologiques ? les armes hautement explosives ? les logiciels malveillants dans le cas des cyberattaques ? D’autre part, la qualification d’armes de destruction massive peut être discutée : les armes chimiques, dénoncées à l’issue de la première guerre mondiale comme le symbole de l’horreur, sont responsables de la mort d’un nombre marginal de combattants tués lors de ce conflit, tandis que l’on ne dispose que de peu de données de décès liés aux armes biologiques. Plus que la traduction d’une réalité empirique, l’expression ADM participe de la construction d’une menace qui paraît exceptionnelle, de la diabolisation d’un ennemi et des tentatives de légitimation de mesures qui font débat : en 2003, les États-Unis justifient leur intervention militaire en Irak par la possession supposée (mais fausse) d’ADM par le régime de Saddam Hussein ; les frappes de la France, des États-Unis et du Royaume-Uni en avril 2018 en Syrie répondent à l’utilisation d’armes chimiques par le régime de Bachar el-Assad. Le mot prolifération souvent accolé aux ADM renforce ce processus : il désigne aussi bien la dissémination de ces armes, notamment nucléaires, à de plus en plus d’acteurs, que l’augmentation de leur nombre chez ceux qui les possèdent. L’interprétation de l’histoire nucléaire à l’aune de ce terme met de côté le fait que la plupart des États n’ont pas cherché à se doter de l’arme nucléaire et que les processus de déprolifération (Afrique du Sud) existent. Plus récemment, la menace de la prolifération des ADM s’est transformée pour désigner aussi la crainte de voir des acteurs non étatiques, notamment terroristes, s’emparer/utiliser/posséder ces armes. Cette crainte a été renforcée par la découverte du réseau A. Q. Khan au début de la décennie 2000 et a donné lieu à la résolution 1540 du Conseil de sécurité.
Des régulations différenciées
Si le terme ADM unifie, les processus de négociations de désarmement, d’interdiction et/ou de non-prolifération sont distincts et ne se déroulent pas dans les mêmes temporalités. Succédant aux efforts de la Conférence de La Haye en 1899 (Déclaration concernant les gaz asphyxiants), le Protocole de Genève de 1925 (entré en vigueur en 1928) prohibe l’emploi de gaz asphyxiants et de moyens biologiques dans les guerres. Ne concernant que l’usage de ces armes et produits (qu’il ne liste pas) lors des conflits armés, il est ensuite complété par d’autres textes qui désormais traitent séparément de ces deux types d’armes. Négociée pendant la bipolarité, la Convention sur l’interdiction des armes biologiques (1972) n’est pas assortie d’un mécanisme de vérification même si, depuis 2006, a été créée une unité d’appui à son application. L’Organisation pour l’interdiction des armes chimiques est quant à elle chargée de surveiller la bonne application de la convention du même nom, entrée en vigueur en 1997.
Contrairement à ces deux documents, qui impliquent des processus de désarmement, c’est la volonté de limiter le nombre de détenteurs de l’arme nucléaire qui a présidé au traité sur la non-prolifération des armes nucléaires (TNP) (la logique de désarmement, signalée à l’article VI du TNP de façon ambiguë, ne paraît pas prioritaire).
Commentaire : Signé en 1970, le TNP fixe une géographie mondiale différenciant les États dotés de l’arme nucléaire (à l’époque, Chine, États-Unis, France, Royaume-Uni et URSS) de ceux non dotés. Ce traité n’a pas empêché d’autres États d’acquérir cette arme de destruction massive (Corée du Nord, Inde, Israël et Pakistan, tous hors du TNP, comme la Syrie et le Soudan du Sud). En opposition à cette prolifération, certains États ont signé des traités qui les engagent à maintenir de vastes régions exemptes de toute arme nucléaire (Amérique latine, Afrique, Asie centrale, Asie du Sud-Est, Océanie et Antarctique).
Traité de non-prolifération
Signé en 1968 et entré en vigueur en 1970, le TNP, dont la mission de vérification du respect des engagements est confiée à l’Agence internationale de l’énergie atomique (AIEA), distingue un club de puissances nucléaires légitimes. Très controversé de ce fait, il est néanmoins prorogé de manière indéfinie en 1995, mais n’est pas signé par l’Inde, le Pakistan ni Israël, et la Corée du Nord s’en retire en 2003. En parallèle, plusieurs zones exemptes d’armes nucléaires sont établies et des accords de désarmement sont élaborés entre les grandes puissances (Strategic Arms Limitation Talks [SALT], Strategic Arms Reduction Treaty [START]). À partir de 2007, avec la mobilisation de la campagne pour l’abolition des armes nucléaires (ICAN), l’objectif d’un monde sans ces armes se diffuse (Global Zero, résolution 1887 du Conseil de sécurité, accords New Start) et un traité d’interdiction des armes nucléaires est conclu en 2017 mais non signé par les puissances nucléaires existantes.
Commentaire : Cette carte montre la géographie du vote à l’Assemblée générale de l’ONU en juillet 2017. Les États contre un traité d’interdiction des armes nucléaires n’ont pas participé au vote, ce sont ceux dotés de l’arme nucléaire et leurs alliés ; seuls les Pays-Bas ont participé au vote et ont voté contre. La majorité des États membres était pour, du Sud essentiellement (d’Amérique latine, d’Afrique, du Moyen-Orient et d’Asie du Sud-Est) mais aussi d’Europe (Suède, Irlande, Suisse et Autriche). La ratification de ce traité est ouverte depuis peu et demeure limitée (19 États en janvier 2019). L’ICAN, l’ONG qui a milité en faveur du traité, a obtenu le prix Nobel de la paix en 2017.
Au cours des années 1990, le terme prolifération est de plus en plus fréquemment associé aux armes conventionnelles (mines antipersonnel, armes légères et de petit calibre) aussi bien dans les médias que dans les discours d’acteurs qui soulignent ainsi que les armes qui provoquent le plus de décès, notamment lors des guerres civiles, ne sont pas les ADM.
Commentaire :
Dès lors, quelquefois sous l’impulsion de coalitions d’acteurs de la société civile (campagne internationale pour interdire les mines antipersonnel, campagne Contrôlez les armes), se multiplient les initiatives et tentatives de régulation : convention d’Ottawa en 1997, résolution 1467 du Conseil de sécurité, traité sur le commerce des armes en 2013. Malgré tout, les freins sont multiples : traçabilité difficile (trafics), mauvaise volonté des États utilisateurs, banalisation des armes dans les zones de conflit armé ou de non-droit.
Commentaire : Les données relatives au commerce international d’armes légères (pistolets, fusils et mitraillettes) sont essentiellement produites par des think tanks – dans ce cas, l’initiative NISAT et le Small Arms Survey –, d’autant qu’il s’agit d’évaluer la transparence dont font preuve les gouvernements des pays exportateurs. Les États-Unis sont, de loin, le plus gros importateur d’armes légères alors que les principaux exportateurs sont les États-Unis, puis l’Italie et l’Allemagne et ensuite la Corée du Sud. Seuls les États européens se montrent transparents dans leurs exportations. À l’extrême opposé, les pays du Golfe mais aussi Israël et la Corée du Nord s’avèrent très opaques sur les destinations de leurs exportations.
Commentaire : Cette carte montre la géographie du vote à l’Assemblée générale de l’ONU en 2013 sur un traité visant à réguler le commerce des armes (hors celles nucléaires, bactériologiques et chimiques). Les États d’Europe, d’Amérique, d’Afrique et d’Océanie ont très majoritairement voté en faveur alors que trois États ont voté contre : la Syrie, en guerre, l’Iran et la Corée du Nord, ce sont des États très opaques dans leurs exportations d’armes (légères notamment). D’autres pays importants en matière de commerce d’armes ont manifesté leur désaccord en s’abstenant lors du vote : Russie, Chine, Inde, Arabie Saoudite ou encore Égypte.
- conflit > Guerre
- Affrontement violent entre groupes armés sur des valeurs, des statuts, des pouvoirs ou des ressources rares, et dans lequel le but de chacun est de neutraliser, d’affaiblir ou d’éliminer ses adversaires. Cette violence armée collective organisée peut être le fait d’États (via leurs armées nationales) ou de groupes non étatiques ; elle peut opposer plusieurs États (guerre interétatique) ou se dérouler à l’intérieur d’un État (guerre civile). Progressivement codifiées et encadrées par le droit, les premières sont devenues rares, tandis que les secondes, aujourd’hui essentiellement causées par la défaillance institutionnelle des États, tendent à s’internationaliser, à perdurer (parfois des décennies) et à être extrêmement meurtrières, surtout pour les populations civiles.
- États > État
- L’État est un système politique centralisé (différent du système féodal), différencié (de la société civile, espace public/privé), institutionnalisé (dépersonnalisation de l’institution), territorialisé (un territoire dont les frontières marquent de manière absolue les limites de sa compétence), qui prétend à la souveraineté (détention du pouvoir ultime) et se doit d’assurer la sécurité de sa population. En droit international public, l’État se définit par une population qui vit sur un territoire borné par des frontières sous l’autorité d’un pouvoir politique (État national territorial).
- acteurs non étatiques > Acteur
- Individu, groupe, organisation dont les actions affectent la distribution des valeurs et ressources à l’échelle planétaire. L’État a longtemps été considéré comme l’acteur principal sur la scène internationale, mais les acteurs non étatiques se sont multipliés et diversifiés (firmes, organisations non gouvernementales, groupes d’intérêt, mafias, acteurs religieux, etc.) au cours des décennies récentes. La mondialisation contemporaine se traduit par la complexification des rapports entre ces acteurs.
- terroristes > Terrorisme
- Méthode d’action violente inspirant l’anxiété (la terreur) et généralement utilisée dans une relation asymétrique (le faible s’attaque au fort). Au contraire de l’acte de guerre ou de l’assassinat politique où la cible (l’ennemi) est directement visée par la violence, les victimes du terrorisme sont instrumentales, le but des terroristes étant, à travers la médiatisation de leur violence, de créer un climat de peur et d’insécurité chez tous ceux qui en sont les témoins, et de provoquer ainsi un chaos social, juridique et politique censé affaiblir les États ou les sociétés visés. En l’absence d’une définition unanime du terrorisme, le terme est fréquemment utilisé pour délégitimer les actions de ses adversaires, sans que ceux-ci ne se revendiquent eux-mêmes terroristes.
- réseau > Réseau
- La géographie classique a toujours survalorisé les surfaces, les territoires, les pays et les terroirs, mais l’analyse des réseaux est maintenant placée au cœur de sa démarche. Ils sont définis comme un espace où la distance est discontinue, et composés de nœuds reliés par des lignes. Ils sont soit matériels (réseaux de transport de personnes, de biens ou d’énergie, câbles informatiques et autoroutes de l’information), soit immatériels. Partiellement dématérialisés (internet par exemple), ils sont le fait aussi bien d’individus que d’organisations. Les philosophes (Gilles Deleuze et Félix Guattari), les sociologues (Manuel Castells), les politistes (James Rosenau) et les économistes utilisent ce concept pour analyser les logiques réticulaires de fonctionnement des individus.
- Conseil de sécurité
- Selon la Charte des Nations unies, le Conseil de sécurité détient la responsabilité principale du maintien de la paix et de la sécurité internationales. Il est composé de cinq membres permanents (Chine, États-Unis, France, Royaume-Uni, Russie), qui peuvent chacun faire échouer un projet de résolution par un vote négatif (droit de veto), et de dix membres élus (six jusqu’en 1965) par l’Assemblée générale pour une période non immédiatement renouvelable de deux ans. Ses résolutions ont un caractère contraignant.
- négociations > Négociation
- Pratique destinée à obtenir un accord entre des acteurs publics ou privés pour satisfaire les intérêts matériels et symboliques des participants par des concessions mutuelles. Les négociations internationales constituent l’une des modalités de résolution pacifique des différends et peuvent se dérouler bilatéralement (entre deux acteurs) ou multilatéralement (trois acteurs ou plus). Elles débouchent souvent sur un document officiel (déclaration commune, accord de paix, traité commercial, convention internationale). Les négociations collectives désignent les négociations se déroulant au sein d’une entreprise entre l’employeur et les représentants du personnel (appartenant généralement aux organisations syndicales) concernant l’application du droit du travail.
- désarmement > Désarmement
- Thème présent sur l’agenda international depuis le xixe siècle (Conférences de La Haye en 1899 et 1907), le désarmement est un processus qui a pour objectif la réduction ou la suppression des armements et des forces armées d’un État. Il se différencie de la limitation ou de la maîtrise des armements, qui consiste à limiter leur quantité, leur nature et leur usage. Le désarmement peut concerner certaines catégories d’armes (conventionnelles, légères, chimiques, bactériologiques, nucléaires, mines antipersonnel, bombes à sous-munitions, etc.) et s’appliquer à certaines régions (définition de zones dénucléarisées, traités bi- ou multilatéraux).
- guerres > Guerre
- Affrontement violent entre groupes armés sur des valeurs, des statuts, des pouvoirs ou des ressources rares, et dans lequel le but de chacun est de neutraliser, d’affaiblir ou d’éliminer ses adversaires. Cette violence armée collective organisée peut être le fait d’États (via leurs armées nationales) ou de groupes non étatiques ; elle peut opposer plusieurs États (guerre interétatique) ou se dérouler à l’intérieur d’un État (guerre civile). Progressivement codifiées et encadrées par le droit, les premières sont devenues rares, tandis que les secondes, aujourd’hui essentiellement causées par la défaillance institutionnelle des États, tendent à s’internationaliser, à perdurer (parfois des décennies) et à être extrêmement meurtrières, surtout pour les populations civiles.
- bipolarité > Bipolarité
- Ces termes renvoient à la répartition de la puissance dans le système international. Selon le nombre de puissances qui dominent (une, deux ou plusieurs), la configuration est qualifiée respectivement d’unipolaire, de bipolaire ou de multipolaire. À des débats, qui animent surtout les courants réalistes en relations internationales, répond l’idée d’apolarité qui souligne la non-pertinence de la lecture de l’espace mondial en termes de pôles de puissance du fait des transformations de cette dernière.
- puissances > Puissance
- Capacité d’un acteur politique à imposer sa volonté aux autres. Comparable à la notion de pouvoir à l’échelle interne, la puissance n’existe pas dans l’absolu mais s’inscrit dans la relation à l’autre puisqu’elle dépend des rapports de force et de la perception qu’en ont les acteurs. Pivot de l’approche réaliste des relations internationales, elle y est conçue dans un registre géostratégique (hard power fondé sur la contrainte et la coercition, notamment militaire). La vision transnationaliste en propose une interprétation plus diversifiée, intégrant des facteurs d’influence (soft power économique, culturel, etc., de Joseph Nye) et soulignant l’importance de maîtriser les différents registres de puissance, du hard au soft (« puissance structurelle » de Susan Strange).
- société civile > Société civile
- À l’échelle nationale, la société civile désigne une entité sociale distincte de l’État et dépassant les individus et les groupes qui la composent (classes sociales, catégories socioprofessionnelles, générations…). La notion de société civile mondiale est apparue au cours des années 1970 (John Burton, World Society) et désigne l’ensemble des relations sociales construites hors du contrôle de l’État sur la scène internationale par la mobilisation de ressortissants de tous les pays pour revendiquer des régulations infra ou supranationales. L’expression masque toutefois une grande diversité. La notion de société-monde apparaît pendant les années 1990 chez les géographes et désigne le processus le plus englobant de création d’un espace social à l’échelle de la planète.
- régulation > Régulation
- Le terme régulation désigne l’ensemble des processus et des mécanismes qui permettent le fonctionnement normal et régulier d’un système. Appliquée à l’international, l’expression désigne l’ensemble des processus, des mécanismes et des institutions qui œuvrent à la correction des déséquilibres susceptibles de menacer l’ordre mondial ainsi qu’à la prévisibilité du comportement des acteurs, donc à la stabilité. Elle est étroitement liée aux notions de gouvernance et de biens publics mondiaux.