Résumé

La catégorie des armes de destruction massive (ADM) tout comme son interprétation en termes de prolifération posent question. Les armes chimiques, biologiques et nucléaires regroupées dans l’acronyme ADM sont pourtant l’objet de processus de régulation distincts qui se déroulent selon des temporalités différentes. Depuis les années 1990, le mot prolifération est également associé à des armes conventionnelles (mines anti-personnel, armes légères, etc.).

L’expression « armes de destruction massive » (ADM), qui naît à la fin de la seconde guerre mondiale en lien avec l’apparition des armes nucléaires, désigne des armes dont la première définition est négative : ce sont celles qui ne sont pas classiques, conventionnelles. La cohérence de cette catégorie est doublement questionnable. D’une part, de nombreuses définitions existent, qui ne rangent pas dans les ADM les mêmes types d’armes : aux armes nucléaires, chimiques et biologiques, faut-il ajouter les armes radiologiques ? les armes hautement explosives ? les logiciels malveillants dans le cas des cyberattaques ? D’autre part, la qualification d’armes de destruction massive peut être discutée : les armes chimiques, dénoncées à l’issue de la première guerre mondiale comme le symbole de l’horreur, sont responsables de la mort d’un nombre marginal de combattants tués lors de ce conflit, tandis que l’on ne dispose que de peu de données de décès liés aux armes biologiques. Plus que la traduction d’une réalité empirique, l’expression ADM participe de la construction d’une menace qui paraît exceptionnelle, de la diabolisation d’un ennemi et des tentatives de légitimation de mesures qui font débat : en 2003, les États-Unis justifient leur intervention militaire en Irak par la possession supposée (mais fausse) d’ADM par le régime de Saddam Hussein ; les frappes de la France, des États-Unis et du Royaume-Uni en avril 2018 en Syrie répondent à l’utilisation d’armes chimiques par le régime de Bachar el-Assad. Le mot prolifération souvent accolé aux ADM renforce ce processus : il désigne aussi bien la dissémination de ces armes, notamment nucléaires, à de plus en plus d’acteurs, que l’augmentation de leur nombre chez ceux qui les possèdent. L’interprétation de l’histoire nucléaire à l’aune de ce terme met de côté le fait que la plupart des États n’ont pas cherché à se doter de l’arme nucléaire et que les processus de déprolifération (Afrique du Sud) existent. Plus récemment, la menace de la prolifération des ADM s’est transformée pour désigner aussi la crainte de voir des acteurs non étatiques, notamment terroristes, s’emparer/utiliser/posséder ces armes. Cette crainte a été renforcée par la découverte du réseau A. Q. Khan au début de la décennie 2000 et a donné lieu à la résolution 1540 du Conseil de sécurité.

Des régulations différenciées

Si le terme ADM unifie, les processus de négociations de désarmement, d’interdiction et/ou de non-prolifération sont distincts et ne se déroulent pas dans les mêmes temporalités. Succédant aux efforts de la Conférence de La Haye en 1899 (Déclaration concernant les gaz asphyxiants), le Protocole de Genève de 1925 (entré en vigueur en 1928) prohibe l’emploi de gaz asphyxiants et de moyens biologiques dans les guerres. Ne concernant que l’usage de ces armes et produits (qu’il ne liste pas) lors des conflits armés, il est ensuite complété par d’autres textes qui désormais traitent séparément de ces deux types d’armes. Négociée pendant la bipolarité, la Convention sur l’interdiction des armes biologiques (1972) n’est pas assortie d’un mécanisme de vérification même si, depuis 2006, a été créée une unité d’appui à son application. L’Organisation pour l’interdiction des armes chimiques est quant à elle chargée de surveiller la bonne application de la convention du même nom, entrée en vigueur en 1997.

Contrairement à ces deux documents, qui impliquent des processus de désarmement, c’est la volonté de limiter le nombre de détenteurs de l’arme nucléaire qui a présidé au traité sur la non-prolifération des armes nucléaires (TNP) (la logique de désarmement, signalée à l’article VI du TNP de façon ambiguë, ne paraît pas prioritaire).

Prolifération et désarmement nucléaire, 2018 

Source : compilation à partir des Nations unies, Bureau des affaires de désarmement (UNODA), www.un.org/disarmament , Bulletin of the Atomic Scientists, 69 (5), septembre-octobre 2013. 

Commentaire : Signé en 1970, le TNP fixe une géographie mondiale différenciant les États dotés de l’arme nucléaire (à l’époque, Chine, États-Unis, France, Royaume-Uni et URSS) de ceux non dotés. Ce traité n’a pas empêché d’autres États d’acquérir cette arme de destruction massive (Corée du Nord, Inde, Israël et Pakistan, tous hors du TNP, comme la Syrie et le Soudan du Sud). En opposition à cette prolifération, certains États ont signé des traités qui les engagent à maintenir de vastes régions exemptes de toute arme nucléaire (Amérique latine, Afrique, Asie centrale, Asie du Sud-Est, Océanie et Antarctique).

Traité de non-prolifération

Signé en 1968 et entré en vigueur en 1970, le TNP, dont la mission de vérification du respect des engagements est confiée à l’Agence internationale de l’énergie atomique (AIEA), distingue un club de puissances nucléaires légitimes. Très controversé de ce fait, il est néanmoins prorogé de manière indéfinie en 1995, mais n’est pas signé par l’Inde, le Pakistan ni Israël, et la Corée du Nord s’en retire en 2003. En parallèle, plusieurs zones exemptes d’armes nucléaires sont établies et des accords de désarmement sont élaborés entre les grandes puissances (Strategic Arms Limitation Talks [SALT], Strategic Arms Reduction Treaty [START]). À partir de 2007, avec la mobilisation de la campagne pour l’abolition des armes nucléaires (ICAN), l’objectif d’un monde sans ces armes se diffuse (Global Zero, résolution 1887 du Conseil de sécurité, accords New Start) et un traité d’interdiction des armes nucléaires est conclu en 2017 mais non signé par les puissances nucléaires existantes.

Traité sur l’interdiction des armes nucléaires, 2018 

Source : Nations unies, www.un.org/disarmament/tpnw/index  

Commentaire : Cette carte montre la géographie du vote à l’Assemblée générale de l’ONU en juillet 2017. Les États contre un traité d’interdiction des armes nucléaires n’ont pas participé au vote, ce sont ceux dotés de l’arme nucléaire et leurs alliés ; seuls les Pays-Bas ont participé au vote et ont voté contre. La majorité des États membres était pour, du Sud essentiellement (d’Amérique latine, d’Afrique, du Moyen-Orient et d’Asie du Sud-Est) mais aussi d’Europe (Suède, Irlande, Suisse et Autriche). La ratification de ce traité est ouverte depuis peu et demeure limitée (19 États en janvier 2019). L’ICAN, l’ONG qui a milité en faveur du traité, a obtenu le prix Nobel de la paix en 2017.

Au cours des années 1990, le terme prolifération est de plus en plus fréquemment associé aux armes conventionnelles (mines antipersonnel, armes légères et de petit calibre) aussi bien dans les médias que dans les discours d’acteurs qui soulignent ainsi que les armes qui provoquent le plus de décès, notamment lors des guerres civiles, ne sont pas les ADM.

Prolifération des armes légères, 1962-2016 

Source : Norwegian Initiative on Small Arms Transfers (NISAT), Database of Small Arms Transfers, 1962-2016, http://nisat.prio.org

Commentaire :

Dès lors, quelquefois sous l’impulsion de coalitions d’acteurs de la société civile (campagne internationale pour interdire les mines antipersonnel, campagne Contrôlez les armes), se multiplient les initiatives et tentatives de régulation : convention d’Ottawa en 1997, résolution 1467 du Conseil de sécurité, traité sur le commerce des armes en 2013. Malgré tout, les freins sont multiples : traçabilité difficile (trafics), mauvaise volonté des États utilisateurs, banalisation des armes dans les zones de conflit armé ou de non-droit.

Commerce d’armes légères, 2012-2016 

Sources : Norwegian Initiative on Small Arms Transfers (NISAT), Database of Small Arms Transfers, 1962-2016, http://nisat.prio.org ; Small Arms Survey, Trade Update 2017, www.smallarmssurvey.org 

Commentaire : Les données relatives au commerce international d’armes légères (pistolets, fusils et mitraillettes) sont essentiellement produites par des think tanks – dans ce cas, l’initiative NISAT et le Small Arms Survey –, d’autant qu’il s’agit d’évaluer la transparence dont font preuve les gouvernements des pays exportateurs. Les États-Unis sont, de loin, le plus gros importateur d’armes légères alors que les principaux exportateurs sont les États-Unis, puis l’Italie et l’Allemagne et ensuite la Corée du Sud. Seuls les États européens se montrent transparents dans leurs exportations. À l’extrême opposé, les pays du Golfe mais aussi Israël et la Corée du Nord s’avèrent très opaques sur les destinations de leurs exportations.

Traité sur le commerce des armes, 2018

Source : Nations unies, https://treaties.un.org

Commentaire : Cette carte montre la géographie du vote à l’Assemblée générale de l’ONU en 2013 sur un traité visant à réguler le commerce des armes (hors celles nucléaires, bactériologiques et chimiques). Les États d’Europe, d’Amérique, d’Afrique et d’Océanie ont très majoritairement voté en faveur alors que trois États ont voté contre : la Syrie, en guerre, l’Iran et la Corée du Nord, ce sont des États très opaques dans leurs exportations d’armes (légères notamment). D’autres pays importants en matière de commerce d’armes ont manifesté leur désaccord en s’abstenant lors du vote : Russie, Chine, Inde, Arabie Saoudite ou encore Égypte.

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Citation

« Proliférations » Espace mondial l'Atlas, 2018, [en ligne], consulté le 15 mars 2021, URL:
https://espace-mondial-atlas.sciencespo.fr/fr/rubrique-(in)securites/article-4A04-proliferations.html

Références

  1. Albaret Mélanie, Decaux Emmanuel, Lemay-Hébert Nicolas et Placidi-Frot Delphine (dir.), Les Grandes Résolutions du Conseil de sécurité des Nations unies, Paris, Dalloz, 2012, commentaires des résolutions 1467, 1540 et 1887.
  2. Enemark Christian, « Farewell to WMD : The Language and Science of Mass Destruction », Contemporary Security Policy, 32 (2), 2011.
  3. Guillaume Marine, « Fighting Justly in the XXth Century : Why Do Weapons Disappear from the Battlefield ? », thèse de doctorat en science politique, sous la direction d’Ariel Colonomos et Michael Doyle, IEP de Paris, Columbia University, 2015.
  4. Le Guelte Georges, « Le champ éclaté des négociations sur la non-prolifération nucléaire. Entre rapports de puissance et expertise », dans Franck Petiteville et Delphine Placidi-Frot (dir.), Négociations internationales, Paris, Presses de Sciences Po.
  5. Pelopidas Benoît, « La séduction de l’impossible. Étude sur le renoncement à l’arme nucléaire et l’autorité politique des experts », thèse de doctorat en science politique, sous la direction de Ghassan Salamé et Alexis Keller, IEP de Paris, Université de Genève, 2010.

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