Résumé

Alors que les guerres interétatiques sont devenues rares, les conflits contemporains découlent principalement de l’effondrement des structures institutionnelles des pays et de l’éclatement concomitant du contrat social. La violence, exacerbée, touche avant tout les populations civiles. Malgré la mise en place de garde-fous comme la Cour pénale internationale (CPI), la communauté internationale paraît souvent impuissante face à cette nouvelle conflictualité. Faire la paix est devenu plus difficile, car cela nécessite de reconstruire des institutions étatiques et une capacité à vivre ensemble.

Les conflits entre États sont devenus une exception, notamment grâce aux institutions internationales comme l’ONU, capables d’élaborer un corpus juridique qui dissuade les États de se livrer à des affrontements militaires coûteux sur les plans humain, matériel et politique.

Pour autant, la violence guerrière n’a pas disparu ; elle s’est disséminée. Depuis la seconde guerre mondiale, les guerres se sont déplacées vers le Sud, avec ou sans intervention des grandes puissances. Au contraire, le Nord, où se situait l’épicentre des conflits les plus meurtriers (13 millions de morts durant la première guerre mondiale, 60 millions durant la seconde), est dorénavant pacifié, même si les groupes terroristes (locaux ou internationaux) peuvent encore les frapper.

Plus meurtriers et durables, les conflits contemporains sont plus complexes à déchiffrer : la puissance n’est plus le facteur explicatif dominant. La diversité des causes, des acteurs et de l’intensité de la violence rend l’exercice de typologie et de comptabilisation des guerres hasardeux. Le Mexique, où les combats entre les narcotrafiquants et l’armée ont fait plus de 200 000 morts en dix ans, est-il « en guerre » ? Combien de conflits doit-on recenser en Afghanistan depuis les années 1970 ? Une seule et même guerre durant toute la période ou plusieurs successives en fonction des interventions extérieures (URSS, OTAN, etc.) ?

Conflits armés au cours de l’année 2017 

Source : en partie d’après Heidelberg Institute for International Conflict Research (HIIK), Conflict Barometer 2017, https://hiik.de/konfliktbarometer, consulté le 14 mars 2018.  

Commentaire : Cette carte s’appuie sur le rapport du HIIK. Ce think tank calcule un indice synthétique de conflictualité qui considère l’intensité (armes utilisées, nombre de combattants, de morts, de réfugiés/déplacés et destructions occasionnées). La carte montre le type de « spatialité » du conflit (zone délimitée, qui déborde les frontières, localisée ou diffuse) et les revendications des groupes armés (contestation du pouvoir en place ou sécession). Sur les bases de cette typologie, les principaux foyers de conflits sont, en 2017 : la Syrie et l’Irak, l’Afghanistan et le Pakistan, la bande centrale de l’Afrique (du Darfour à la RDC, en passant par la République centrafricaine et le Soudan du Sud), la Libye, le Yémen ou encore la Colombie et le Mexique ; d’autres foyers étant plus localisés (Donbass, delta du Niger, Myanmar, Philippines, Salvador, etc.).

Désintégration du contrat social

La distinction classique entre guerres interétatiques et guerres civiles est devenue inopérante. Celles autrefois qualifiées de civiles perdurent de manière larvée pendant des années, voire des décennies, avant de s’internationaliser (Afghanistan, RDC, Centrafrique, Libye, Syrie, Ukraine, etc.). Caractérisées par la présence d’acteurs guerriers non étatiques et par le non-respect des règles supposément en vigueur dans des conflits entre États, ces guerres affectent principalement des États où les structures institutionnelles ont perdu leur légitimité car ils ne parviennent plus à assurer un contrôle administratif et sécuritaire effectif du territoire ni à y exercer le monopole de la violence légitime. La désintégration du contrat social y engendre des crises sociales aiguës, le plus souvent dans des contextes où entrent en concurrence des systèmes d’allégeance traditionnels (identité nationale) et alternatifs (régionaux, ethniques, religieux, etc.), généralement promus par des entrepreneurs identitaires, et dans lesquels la nature patrimoniale du pouvoir renforce les tendances autoritaires et répressives des régimes en place.

De tels conflits frappent d’abord les populations civiles, enrôlées de force, victimes de famines organisées, de massacres, d’exactions sexuelles, de déplacements forcés, etc. L’instrumentalisation des différences ethniques, religieuses ou sociales par les seigneurs de guerre brouille la perception des causes et la distinction entre civils et militaires. Dans certains cas, la violence se dépolitise jusqu’à se confondre avec le banditisme, permettant aux trafiquants de tous ordres (armes, drogue, diamants, bois précieux, etc.), invisibles mais très présents, de prospérer. L’utilisation d’ armes légères (kalachnikov, lance-roquettes et mitrailleuses montés sur pickups, machettes, etc.) rend inefficaces les instruments classiques de régulation (embargo sur les armes, etc.). Forces gouvernementales plus ou moins organisées, groupes rebelles parfois constitués sur une base ethnique ou religieuse ou autour d’intérêts économiques, mercenaires étrangers, combattants venus de pays voisins, djihadistes transnationaux, forces d’intervention multilatérales et acteurs humanitaires s’entrecroisent sur le terrain.

Violence généralisée et pérenne

La part des pertes civiles dans les conflits ne cesse de croître : 5 % des victimes lors de la première guerre mondiale, 50 % en 1940-1945, et dorénavant jusqu’à 90 % dans la plupart des cas. Aussi ces conflits entraînent-ils des flux massifs de déplacés et de réfugiés. L’embrigadement d’enfants soldats (environ 250 000 dans le monde, dont 40 % de filles), victimes et acteurs malgré eux de la guerre, se développe.

Enfants impliqués dans les conflits, 2016 

Sources : Nations unies, Le Sort des enfants en temps de conflit armé, Rapport du Secrétaire général, A/72/361–S/2017/821, Collection des traités, chapitre IV (Droits de l’homme), https://treaties.un.org, consulté le 11 mai 2018 ; Child Soldiers International, https://childsoldiersworldindex.org/hostilities, consulté le 13 mars 2018.  

Commentaire : Les données sur les enfants dans les conflits sont rares et parcellaires. D’une part, cette carte montre l’engagement des États à ratifier le Protocole facultatif à la Convention sur les droits de l’enfant. En 2018, trente États ne l’ont toujours pas ratifié, dont l’Iran, le Liban, le Myanmar, les Émirats arabes unis, la Corée du Nord, la Somalie ou le Soudan du Sud. D’autre part, la carte indique quelques ordres de grandeur des enfants recrutés et victimes (blessés et tués) des conflits en 2016. Ces estimations sont produites par le Secrétariat de l’ONU et l’ONG Child Soldiers. La mise en regard des deux informations montre que la ratification du Protocole, même ancienne, n’empêche pas l’implication d’enfants dans les conflits (Afghanistan, Syrie, RDC, Yémen, Nigeria).

Dans des espaces ruinés et désinstitutionnalisés, où la violence généralisée a mis à mal les systèmes de référence et le contrat social, la guerre devient une opportunité économique et d’ascension sociale, et faire la paix se révèle une tâche ardue. Prisonnière de ses outils traditionnels (embargos, interventions, etc.), inadaptés à la nature même des conflits contemporains, la communauté internationale semble impuissante. Conçu à l’origine pour encadrer l’action militaire des États, le droit international peine à réaliser cet objectif et s’applique mal aux groupes armés non étatiques, même si, depuis 2002, la Cour pénale internationale (CPI) permet de s’en prendre aux chefs de guerre. Malgré les dizaines de procès et d’enquêtes depuis sa création (y compris à l’encontre de chefs d’État en exercice), les effets dissuasifs ou pacificateurs de ces procédures restent lents à se concrétiser.

Aujourd’hui, un conflit commence rarement par une déclaration de guerre, et s’achève rarement par un traité qui met fin aux violences du jour au lendemain. Faire la paix est une entreprise de longue haleine, car cela impose de retisser du lien social et de reconstruire l’État, c’est-à-dire de refonder des institutions publiques et de réinventer une capacité à vivre ensemble.

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