Résumé

Depuis 1948, l’Organisation des Nations unies envoie des Casques bleus à travers le monde dans le but de maintenir la paix. Peu utilisées jusqu’à la fin de la guerre froide, les missions de maintien de la paix se sont depuis largement multipliées et complexifiées. Relevant d’une inégale répartition des responsabilités entre États membres de l’ONU, elles font l’objet de critiques nourries.

« Maintenir la paix et la sécurité internationales ». Ainsi est formulé, dans la Charte des Nations Unies, le premier but de l’ organisation internationale, fondée au lendemain de la seconde guerre mondiale dans la continuité du projet échoué de Société des Nations (SDN) et dans un contexte d’aspirations à une paix durable.

Doctrine capstone

Depuis 1948, les opérations de maintien de la paix (OMP) des Nations unies, construites sur une base ad hoc puisque non prévues par la Charte, visent cet objectif autour de trois principes fondamentaux : le consentement des parties, l’impartialité et le non-recours à la force. Fondées juridiquement sur les chapitres VI, VII et VIII de la Charte, le droit humanitaire international, les droits de l’homme et les mandats fournis par le Conseil de sécurité, elles constituent le principal instrument du maintien de la paix internationale.

Selon la Doctrine Capstone, qui formule les principes du maintien de la paix onusien, les premières missions avaient les objectifs suivants : « Observer, surveiller, établir des rapports ; encadrer le cessez-le-feu et apporter un soutien aux mécanismes de vérification ; s’interposer dans une zone tampon et comme mesure de confiance ». Les évolutions qui ont suivi montrent une diversification et une complexification des tâches à la charge des Casques bleus. On note une juxtaposition des différents types de missions au cours des années et un développement, par la pratique, des concepts clés du maintien de la paix onusien. En parallèle des missions de l’ONU, un État seul, une coalition d’États ou une organisation régionale telle que l’OTAN (Organisation du traité de l’Atlantique nord) interviennent, parfois unilatéralement, au nom du « maintien de la paix ».

Depuis la fin de la guerre froide, qui avait limité le rôle du Conseil de sécurité en raison du droit de veto de ses membres permanents, on observe des changements sur les plans quantitatif, géographique et qualitatif, avec notamment le développement des opérations dites multidimensionnelles. Selon la Doctrine Capstone, les opérations ont pour but de « créer un milieu sûr et stable tout en cherchant à restaurer la capacité de l’État à maintenir la sécurité dans le respect de l’ État de droit et des droits de l’homme ; faciliter le processus politique en promouvant le dialogue et la réconciliation et en appuyant la création d’ institutions de gouvernance légitimes et efficaces ». Elles se caractérisent par une diversification des acteurs – notamment dans le cadre des opérations hybrides menées en collaboration avec des organisations internationales régionales comme l’Union africaine – et des activités incluant le soutien à l’organisation d’élections, la démobilisation et la réintégration des ex-combattants ou la protection des civils et s’appuyant parfois sur des mandats robustes.

Le budget des OMP a aussi considérablement augmenté entre 1990 et 2017, leur conférant un rôle central de réalisation et de coordination de nombreuses activités de consolidation de la paix. Une augmentation significative du personnel civil et des forces de police vise les missions multidimensionnelles. En décembre 2017, l’ONU comptait, selon sa fiche d’information mensuelle, 15 missions sur un total de 71 depuis 1948, employant plus de 106 338 personnes – dont plus de 90 000 en uniforme en provenance de 125 pays différents – pour un budget total de 6,80 milliards de dollars US (du 1 er juillet 2017 au 30 juin 2018).

Budget des opérations de paix des Nations unies, 1990-2017 

Source : Nations unies, Département des opérations de maintien de la paix (DOMP), www.un.org/en/peacekeeping  

Commentaire : Avant 1990, soit avant le début de la courbe, le budget annuel des opérations de paix de l’ONU était inférieur à 1 milliard de dollars – le contexte de guerre froide entre les deux blocs paralysant la plupart des tentatives. Après un premier pic au milieu des années 1990, correspondant à des opérations au Cambodge, en Somalie et en ex-Yougoslavie, le budget a cru durant la seconde moitié des années 2000 en raison de la multiplication d’opérations en Afrique. Le diagramme montre en 2017-2018 que plusieurs opérations massives (en général plus de 10 000 hommes sur le terrain) mobilisent des budgets supérieurs à 1 milliard de dollars (RDC, Soudan/Soudan du Sud et Mali).

Contribution des États aux opérations de maintien de la paix de l’ONU, 2018 

Sources : Nations unies, Assemblée générale, Résolution A/70/331/Add.1 ; https://peacekeeping.un.org/

Commentaire : Ce graphique compare la géographie des États qui contribuent au budget des opérations de maintien de la paix de l’ONU à celle des États qui fournissent les troupes militaires. Les États du Nord paient, quand ceux du Sud envoient des hommes : les 6 premiers États financeurs (à hauteur de deux tiers du budget) sont du Nord (États-Unis, Japon, Allemagne, France, Royaume-Uni) ou membre du Conseil de sécurité (Chine), alors que les 13 États majoritairement pourvoyeurs en troupes (deux tiers du contingent) sont du « Sud » (Asie du Sud et de l’Est et Afrique).

Ressources limitées et critiques

Comme le secrétariat de l’ONU le signalait en 2009, les ressources ne répondent pas aux besoins de mandats de plus en plus larges et la planification des OMP se heurte au défi constant du besoin de réadaptation à mesure que le contexte évolue, exigeant une flexibilité et des ressources que l’ONU ne possède pas – l’ONU n’a pas d’armée permanente, les Casques bleus sont envoyés volontairement par les États membres. Néanmoins, les défis auxquels sont confrontées les OMP sont avant tout d’ordre politique.

Déploiement des Casques bleus dans les opérations de maintien de la paix (OMP), 2018 

Nations unies , Département des opérations de maintien de la paix (DOMP), https://peacekeeping.un.org/

Commentaire : Cette carte montre les opérations de maintien de la paix où sont déployés les militaires envoyés par les États contributeurs en janvier 2018. Plusieurs opérations rassemblent plus de 10 000 Casques bleus : quatre en Afrique centrale, une au Mali et une au Liban. Les États du sous-continent indien (Bangladesh, Inde, Pakistan et Népal) fournissent des effectifs importants, notamment en RDC, au Soudan du Sud et au Darfour. Des États africains contribuent aussi beaucoup dans les opérations de pays voisins (par exemple l’Éthiopie, le Rwanda et l’Égypte au Darfour, au Soudan et au Soudan du Sud, ou encore les États d’Afrique de l’Ouest au Mali). La préférence à la proximité s’observe aussi chez les États européens, qui envoient d’abord leurs troupes dans l’opération du Liban.

Certains travaux ont déploré l’absence de volonté de la part des gouvernements d’entretenir, dans la durée, les efforts de l’ONU en matière de paix. D’autres ont dénoncé une inégale distribution des responsabilités : alors que les membres permanents du Conseil de sécurité décident du mandat des missions, la responsabilité de la mise en œuvre, contrainte par le budget accordé par les pays du Nord, incombe aux pays en développement (PED), principaux contributeurs de troupes. Les risques politiques, militaires et stratégiques reposent sur les États les moins disposés à y faire face.

Opérations de paix des Nations unies, 1948-2017

Source : compilation à partir des sites internet de chaque opération de maintien de la paix, Nations unies, Département des opérations de maintien de la paix (DOMP), www.un.org/en/peacekeeping 

Commentaire : Les opérations de maintien de la paix de l’ONU ont été peu nombreuses de sa création (1946) à la fin de la guerre froide, à l’exception de quelques cas (Moyen-Orient, Inde/Pakistan, République du Congo et Chypre essentiellement). Ce n’est qu’au cours des années 1990 qu’elles se multiplient, notamment en Afrique, où elles sont aujourd’hui les plus nombreuses, au Moyen-Orient, dans les Balkans, en Amérique centrale et, plus localement, en Haïti, au Timor oriental ou au Cambodge. Cette augmentation et cette diversification géographique s’accompagnent d’une augmentation significative – au cours des années 2010 – du budget des opérations de paix de l’ONU.

Les échecs des missions en Bosnie (1992) ou au Rwanda (1994) ainsi que les scandales sexuels et sanitaires – comme l’épidémie de choléra déclenchée par les Casques bleus en Haïti (2010) – qui concernent un grand nombre de missions ont provoqué de vives tensions avec les communautés locales. Alors que le principe même des OMP est critiqué, notamment pour leur propension à exporter un modèle néolibéral déconnecté des réalités locales, il pose aussi la question fondamentale de la paix que l’on cherche à maintenir. À une vision négative de la paix, entendue comme l’absence de conflit, s’opposent des projets de paix positive visant l’émancipation et attestant l’inextricable connexion entre les enjeux de sécurité, de développement et de droits humains.

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