Maintenir la paix
Femmes casques bleus de Mongolie en intervention au Soudan du Sud, 2013
Crédit : UN Photo / Martine Perret
Femmes casques bleus de Mongolie en intervention au Soudan du Sud, 2013.
Chaque mission de maintien de la paix de l’ONU est aujourd’hui composée de personnel militaire, policier et civil. En août 2018, la Mongolie a mis à la disposition de l’ONU 883 individus (l’Éthiopie est le plus gros contributeur à hauteur de 8 335 individus, la France contribue quant à elle à hauteur de 743 individus). À cette même période, parmi les 91 249 membres du personnel en uniforme (militaire et policier), 4 391 étaient des femmes, soit 4,8 %.
Résumé
Depuis 1948, l’Organisation des Nations unies envoie des Casques bleus à travers le monde dans le but de maintenir la paix. Peu utilisées jusqu’à la fin de la guerre froide, les missions de maintien de la paix se sont depuis largement multipliées et complexifiées. Relevant d’une inégale répartition des responsabilités entre États membres de l’ONU, elles font l’objet de critiques nourries.
« Maintenir la paix et la sécurité internationales ». Ainsi est formulé, dans la Charte des Nations Unies, le premier but de l’ organisation internationale, fondée au lendemain de la seconde guerre mondiale dans la continuité du projet échoué de Société des Nations (SDN) et dans un contexte d’aspirations à une paix durable.
Doctrine capstone
Depuis 1948, les opérations de maintien de la paix (OMP) des Nations unies, construites sur une base ad hoc puisque non prévues par la Charte, visent cet objectif autour de trois principes fondamentaux : le consentement des parties, l’impartialité et le non-recours à la force. Fondées juridiquement sur les chapitres VI, VII et VIII de la Charte, le droit humanitaire international, les droits de l’homme et les mandats fournis par le Conseil de sécurité, elles constituent le principal instrument du maintien de la paix internationale.
Selon la Doctrine Capstone, qui formule les principes du maintien de la paix onusien, les premières missions avaient les objectifs suivants : « Observer, surveiller, établir des rapports ; encadrer le cessez-le-feu et apporter un soutien aux mécanismes de vérification ; s’interposer dans une zone tampon et comme mesure de confiance ». Les évolutions qui ont suivi montrent une diversification et une complexification des tâches à la charge des Casques bleus. On note une juxtaposition des différents types de missions au cours des années et un développement, par la pratique, des concepts clés du maintien de la paix onusien. En parallèle des missions de l’ONU, un État seul, une coalition d’États ou une organisation régionale telle que l’OTAN (Organisation du traité de l’Atlantique nord) interviennent, parfois unilatéralement, au nom du « maintien de la paix ».
Depuis la fin de la guerre froide, qui avait limité le rôle du Conseil de sécurité en raison du droit de veto de ses membres permanents, on observe des changements sur les plans quantitatif, géographique et qualitatif, avec notamment le développement des opérations dites multidimensionnelles. Selon la Doctrine Capstone, les opérations ont pour but de « créer un milieu sûr et stable tout en cherchant à restaurer la capacité de l’État à maintenir la sécurité dans le respect de l’ État de droit et des droits de l’homme ; faciliter le processus politique en promouvant le dialogue et la réconciliation et en appuyant la création d’ institutions de gouvernance légitimes et efficaces ». Elles se caractérisent par une diversification des acteurs – notamment dans le cadre des opérations hybrides menées en collaboration avec des organisations internationales régionales comme l’Union africaine – et des activités incluant le soutien à l’organisation d’élections, la démobilisation et la réintégration des ex-combattants ou la protection des civils et s’appuyant parfois sur des mandats robustes.
Le budget des OMP a aussi considérablement augmenté entre 1990 et 2017, leur conférant un rôle central de réalisation et de coordination de nombreuses activités de consolidation de la paix. Une augmentation significative du personnel civil et des forces de police vise les missions multidimensionnelles. En décembre 2017, l’ONU comptait, selon sa fiche d’information mensuelle, 15 missions sur un total de 71 depuis 1948, employant plus de 106 338 personnes – dont plus de 90 000 en uniforme en provenance de 125 pays différents – pour un budget total de 6,80 milliards de dollars US (du 1 er juillet 2017 au 30 juin 2018).
Commentaire : Avant 1990, soit avant le début de la courbe, le budget annuel des opérations de paix de l’ONU était inférieur à 1 milliard de dollars – le contexte de guerre froide entre les deux blocs paralysant la plupart des tentatives. Après un premier pic au milieu des années 1990, correspondant à des opérations au Cambodge, en Somalie et en ex-Yougoslavie, le budget a cru durant la seconde moitié des années 2000 en raison de la multiplication d’opérations en Afrique. Le diagramme montre en 2017-2018 que plusieurs opérations massives (en général plus de 10 000 hommes sur le terrain) mobilisent des budgets supérieurs à 1 milliard de dollars (RDC, Soudan/Soudan du Sud et Mali).
Commentaire : Ce graphique compare la géographie des États qui contribuent au budget des opérations de maintien de la paix de l’ONU à celle des États qui fournissent les troupes militaires. Les États du Nord paient, quand ceux du Sud envoient des hommes : les 6 premiers États financeurs (à hauteur de deux tiers du budget) sont du Nord (États-Unis, Japon, Allemagne, France, Royaume-Uni) ou membre du Conseil de sécurité (Chine), alors que les 13 États majoritairement pourvoyeurs en troupes (deux tiers du contingent) sont du « Sud » (Asie du Sud et de l’Est et Afrique).
Ressources limitées et critiques
Comme le secrétariat de l’ONU le signalait en 2009, les ressources ne répondent pas aux besoins de mandats de plus en plus larges et la planification des OMP se heurte au défi constant du besoin de réadaptation à mesure que le contexte évolue, exigeant une flexibilité et des ressources que l’ONU ne possède pas – l’ONU n’a pas d’armée permanente, les Casques bleus sont envoyés volontairement par les États membres. Néanmoins, les défis auxquels sont confrontées les OMP sont avant tout d’ordre politique.
Commentaire : Cette carte montre les opérations de maintien de la paix où sont déployés les militaires envoyés par les États contributeurs en janvier 2018. Plusieurs opérations rassemblent plus de 10 000 Casques bleus : quatre en Afrique centrale, une au Mali et une au Liban. Les États du sous-continent indien (Bangladesh, Inde, Pakistan et Népal) fournissent des effectifs importants, notamment en RDC, au Soudan du Sud et au Darfour. Des États africains contribuent aussi beaucoup dans les opérations de pays voisins (par exemple l’Éthiopie, le Rwanda et l’Égypte au Darfour, au Soudan et au Soudan du Sud, ou encore les États d’Afrique de l’Ouest au Mali). La préférence à la proximité s’observe aussi chez les États européens, qui envoient d’abord leurs troupes dans l’opération du Liban.
Certains travaux ont déploré l’absence de volonté de la part des gouvernements d’entretenir, dans la durée, les efforts de l’ONU en matière de paix. D’autres ont dénoncé une inégale distribution des responsabilités : alors que les membres permanents du Conseil de sécurité décident du mandat des missions, la responsabilité de la mise en œuvre, contrainte par le budget accordé par les pays du Nord, incombe aux pays en développement (PED), principaux contributeurs de troupes. Les risques politiques, militaires et stratégiques reposent sur les États les moins disposés à y faire face.
Commentaire : Les opérations de maintien de la paix de l’ONU ont été peu nombreuses de sa création (1946) à la fin de la guerre froide, à l’exception de quelques cas (Moyen-Orient, Inde/Pakistan, République du Congo et Chypre essentiellement). Ce n’est qu’au cours des années 1990 qu’elles se multiplient, notamment en Afrique, où elles sont aujourd’hui les plus nombreuses, au Moyen-Orient, dans les Balkans, en Amérique centrale et, plus localement, en Haïti, au Timor oriental ou au Cambodge. Cette augmentation et cette diversification géographique s’accompagnent d’une augmentation significative – au cours des années 2010 – du budget des opérations de paix de l’ONU.
Les échecs des missions en Bosnie (1992) ou au Rwanda (1994) ainsi que les scandales sexuels et sanitaires – comme l’épidémie de choléra déclenchée par les Casques bleus en Haïti (2010) – qui concernent un grand nombre de missions ont provoqué de vives tensions avec les communautés locales. Alors que le principe même des OMP est critiqué, notamment pour leur propension à exporter un modèle néolibéral déconnecté des réalités locales, il pose aussi la question fondamentale de la paix que l’on cherche à maintenir. À une vision négative de la paix, entendue comme l’absence de conflit, s’opposent des projets de paix positive visant l’émancipation et attestant l’inextricable connexion entre les enjeux de sécurité, de développement et de droits humains.
- organisation internationale > Organisation internationale
- Selon Clive Archer, une OI est « une structure formelle, durable, établie par un accord entre ses membres (gouvernementaux et/ou non gouvernementaux), à partir de deux ou plusieurs États souverains, dans le but de poursuivre un intérêt commun aux membres ». Marie-Claude Smouts désigne trois traits distinctifs des OI : elles procèdent d’un « acte fondateur » (traité, charte, statut), s’inscrivent dans un cadre matériel (siège, financement, personnel), et constituent un « mécanisme de coordination ».
- maintien de la paix > Maintien de la paix
- L’ONU définit le maintien de la paix comme « une technique conçue pour préserver la paix, aussi fragile soit-elle, une fois que les combats ont cessé et pour appuyer la mise en œuvre des accords facilités par ceux qui sont chargés du rétablissement de la paix » (Doctrine Capstone, 2008). Il se différencie du rétablissement de la paix qui concerne les conflits en cours, et de l’imposition de la paix qui comprend l’application de mesures coercitives dont l’usage de la force. La notion de consolidation de la paix renvoie à la fois au processus complexe de création des conditions d’une paix pérenne et aux mesures ciblées pour réduire le risque de reprise du conflit et jeter les bases d’un développement durable. Ces principes orientent, non sans susciter des critiques, la conduite des missions de paix.
- Conseil de sécurité
- Selon la Charte des Nations unies, le Conseil de sécurité détient la responsabilité principale du maintien de la paix et de la sécurité internationales. Il est composé de cinq membres permanents (Chine, États-Unis, France, Royaume-Uni, Russie), qui peuvent chacun faire échouer un projet de résolution par un vote négatif (droit de veto), et de dix membres élus (six jusqu’en 1965) par l’Assemblée générale pour une période non immédiatement renouvelable de deux ans. Ses résolutions ont un caractère contraignant.
- géographique > Géographie
- Géographie : science sociale qui a pour objet la connaissance de la production et de l’organisation de l’espace. Cet espace sert à la reproduction sociale ; il est différencié et organisé. Géographie politique : étude de la dimension spatiale de l’organisation politique, généralement au sein des États. Géohistoire : étude géographique des processus historiques (diachronique).
- État de droit
- Dans son sens institutionnel, l’État de droit renvoie à un système dans lequel les normes juridiques sont hiérarchisées, stables et transparentes, de sorte que les citoyens connaissent leurs droits et obligations tandis que la puissance publique est limitée en raison de sa soumission au droit. Un tel système présuppose l’existence de juridictions indépendantes et l’égalité des sujets de droit.
- institutions > Institutions
- Le terme institution désigne des structures sociales (règles, normes, pratiques, actions, rôles) durables, organisées de façon stable et dépersonnalisée, qui participent à la régulation des rapports sociaux. Elle peut être formalisée dans des organisations (internationales ou non). L’institutionnalisme en science politique aborde les objets de l’analyse politique par une étude de leur fondement structurel et de leur modèle organisationnel plutôt que par la prise en compte de leur rapport à la société.
- gouvernance > Gouvernance
- Inspirée de la gestion et de l’entreprenariat, l’expression gouvernance globale renvoie aux institutions formelles et informelles, mécanismes et processus par lesquels s’établissent et se structurent les relations entre États, citoyens, marchés et organisations internationales et non gouvernementales à l’international. Le système de gouvernance globale tend à articuler les intérêts collectifs, à établir des droits et obligations, à arbitrer les différends et à déterminer les modes de régulation appropriés aux objets et acteurs concernés. La gouvernance prend différentes formes : gouvernance multilatérale universelle, gouvernance de club (réservée à certains membres comme le G7/8/20), gouvernance polycentrique (juxtaposition d’instruments de régulation et de gestion à différentes échelles), etc.
- organisations internationales > Organisation internationale
- Selon Clive Archer, une OI est « une structure formelle, durable, établie par un accord entre ses membres (gouvernementaux et/ou non gouvernementaux), à partir de deux ou plusieurs États souverains, dans le but de poursuivre un intérêt commun aux membres ». Marie-Claude Smouts désigne trois traits distinctifs des OI : elles procèdent d’un « acte fondateur » (traité, charte, statut), s’inscrivent dans un cadre matériel (siège, financement, personnel), et constituent un « mécanisme de coordination ».
- Nord
- Voir Nord et Sud
- communautés > Communauté
- Selon le sociologue allemand Ferdinand Tönnies (1855-1936), la communauté (Gemein-schaft) s’oppose à la société (Gesellschaft) et désigne toute forme d’organisation sociale dans laquelle les individus sont liés entre eux par une solidarité, naturelle ou spontanée, et animés par des objectifs communs. Selon l’usage courant, il s’agit de toute collectivité sociale à laquelle on prête une unité, quel que soit son mode d’intégration (communauté internationale, Communauté européenne ou andine ou encore croyants de telle ou telle religion). Le terme ambigu de communauté internationale désigne un ensemble vague d’acteurs politiques (États, organisations internationales, ONG, individus, etc.) fondé sur l’idée d’une humanité unie par des valeurs et des objectifs communs ou une allégeance à des institutions politiques centrales, ce qui est loin d’être le cas.
- paix > Paix
- La définition de la paix fait l’objet de nombreux débats. Une définition restrictive de la paix l’entend comme l’absence de conflit (paix négative). Les peace studies ont réinterprété cette définition en intégrant les conditions de réalisation de la paix : la paix positive correspond à l’intégration au sein de la société humaine. Associée au concept de violence structurelle, la paix positive est alors entendue plus largement comme la justice sociale. Parmi les différentes théories de la paix, la paix démocratique ou paix libérale affirme, non sans critique, que les démocraties libérales n’entrent pas en guerre entre elles et ne combattent que des États non libéraux (cette approche nuance le postulat de Kant, Vers la paix perpétuelle, 1795).
- sécurité > Sécurité
- Ensemble de représentations et de stratégies qu’un acteur individuel ou collectif tend à élaborer pour réduire les menaces auxquelles il se sent confronté. Dans le domaine international, la sécurité peut prendre la forme : 1) d’un équilibre instable et précaire entre sécurités nationales, gagé sur la puissance des États ; 2) d’un aménagement concerté de cet équilibre (sécurité internationale) ; 3) de la mise en place d’un régime de sécurité qui s’impose à l’ensemble des États qui sont parties prenantes (sécurité collective). Au-delà de la menace tangible, les discours sécuritaires tendent à représenter des objets ou des groupes de personnes comme des dangers pour la sécurité des États, notamment afin de justifier des politiques sécuritaires (état d’urgence, actions militaires, fermeture des frontières, etc.).
- développement > Développement
- Les définitions du développement et de son contraire – le sous-développement – ont beaucoup varié selon les objectifs politiques et les postures idéologiques de ceux qui les énonçaient. Au cours des années 1970, Walt Whitman Rostow le conçoit comme une dynamique quasi mécanique d’étapes successives de croissance économique et d’améliorations sociales, alors que Samir Amin analyse les rapports centre/périphéries, le premier fondant son développement sur l’exploitation des secondes. En Amérique latine, la théorie de la dépendance dénonçait l’ethnocentrisme du modèle universel d’un simple retard à rattraper par la modernisation. Parler de « pays » pauvres ou en développement occulte les inégalités existant aussi à l’intérieur des sociétés (du Nord comme du Sud) et les connexions des individus aux processus de mondialisation.
- droits humains > Droits de l’homme
- Corps de droits et devoirs fondamentaux inaliénables, imprescriptibles et universels, attachés à la personne humaine. Circonscrits aux seuls « droits naturels » (libertés fondamentales considérées comme consubstantielles à la nature humaine) aux xviie et xviiie siècles, les droits humains sont élargis pour inclure les droits civils, politiques, économiques, sociaux, culturels et environnementaux aux fondements de la liberté et de la dignité humaines. Les droits humains ont été constitutionnalisés dans la plupart des régimes démocratiques. Ils font également l’objet de nombreux textes de protection à l’échelle régionale et internationale.