Riches et pauvres
Vue de Rio de Janeiro au Brésil avec au premier plan la favela Santa Marta, 2013
Crédit : dany13 / CC BY
Les immenses contrastes entre riches et pauvres s'incarnent dans l'espace urbain comme ici à Rio de Janeiro en 2013. Les nombreuses favelas, dont celle de Santa Marta, occupent les zones non-constructibles, parfois très proches ou enclavées dans la ville dite formelle avec laquelle elles entretiennent des liens constants (travail domestique, services peu qualifiés, vente dans la rue, trafic de drogue, etc.).
Résumé
L’accroissement tendanciel et complexe des inégalités de revenus depuis les années 1980 est marqué par une forte disparité des degrés d’inégalité entre et au sein des pays, y compris lorsque ceux-ci ont des niveaux de développement semblables. Si l’extrême pauvreté a fortement diminué, la pauvreté relative se maintient, tandis que les richesses se concentrent entre les mains d’une minorité d’individus. La nécessité de lutter contre les inégalités fait l’objet d’une prise de conscience croissante de la part des institutions internationales et des gouvernements. L’essor des privatisations et de l’évasion fiscale limite cependant les capacités de redistribution des États.
Accroissement tendanciel des inégalités
Si les inégalités entre populations revêtent de multiples aspects (conditions de vie, accès aux biens publics mondiaux), l’évolution des inégalités de revenus dans le monde occupe une place centrale et controversée dans le débat sur la mondialisation.
Les inégalités internationales (i.e. entre États) se mesurent par les écarts entre PIB par habitant en parité de pouvoir d’achat (PPA) et se distinguent selon qu’elles sont ou non pondérées par la population de chaque État. Non pondérées, elles n’ont cessé d’augmenter depuis le début du xix e siècle du fait de l’enrichissement plus important des pays et populations les plus riches. Pondérées, les inégalités internationales augmentent fortement à partir des années 1850, se stabilisent à partir des années 1950 et surtout 1980, et diminuent légèrement à partir des années 2000. Certains pays dits en développement (PED) ont en effet rattrapé les pays riches : les « nouveaux pays industrialisés » (Corée du Sud, Taïwan, Singapour) et les pays à bas salaire et à forte capacité technologique (Chine, Inde). D’autres PED ont rejoint les pays pauvres, creusant les écarts entre pays riches et pays les moins avancés (PMA).
Inégalités internes et globales
Les inégalités internes aux sociétés (mesurées par l’ indice de Gini) ont sensiblement diminué durant la première moitié du xx e siècle, avant d’augmenter de façon contrastée dans plus de la moitié des pays. La mondialisation a dynamisé la croissance mais accru les inégalités dans les pays du Sud et en Chine, ainsi que les inégalités de genre. L’absence de transferts sociaux redistributifs et l’internationalisation du marché du travail conduisent à un biais en faveur du travail qualifié et à une mise en concurrence mondiale croissante des bas salaires. Dans les pays riches, les inégalités se sont tassées durant les Trente Glorieuses (1945-1975) avant de s’accroître depuis les années 1980 en raison d’une forte croissance des hauts revenus, d’une concentration accrue des revenus du capital, d’une réduction des taux d’imposition (divisés par deux aux États-Unis et au Royaume-Uni) et d’une augmentation des prestations sociales inférieure à celle des salaires réels.
L’inégalité globale (ou mondiale) mesure les inégalités entre individus au sein de la population mondiale à l’aide d’un indice de Gini mondial et s’apparente à la combinaison des inégalités internationales pondérées et des inégalités internes. Selon la World Inequality Database, depuis les années 1980, les 1 % les plus riches ont deux fois plus bénéficié de la croissance des revenus que les 50 % les plus pauvres, dont les revenus ont néanmoins progressé (notamment en Chine et en Inde). Les revenus des 49 % intermédiaires ont en revanche stagné, voire baissé. Ces inégalités globales ont le plus progressé en Russie, en Inde, aux États-Unis et en Chine, sont restées fortes au Moyen-Orient, au Brésil et en Afrique subsaharienne, et plus modérées en Europe.
Inégalités de revenus : des trajectoires divergentes, 1980-2016

Commentaire : Ces courbes montrent la part du revenu que possèdent les tranches les plus aisées de la population de quelques États ou régions entre 1980 et 2016. Les inégalités sont plus fortes au Sud (au Moyen-Orient, en Afrique ou encore au Brésil) – où les 10 % les plus riches concentrent plus de la moitié de la richesse nationale – qu’en Europe. Sur la période, les inégalités s’aggravent nettement en Inde, qui a rejoint le niveau du Brésil en 2016, en Chine et, dans une moindre mesure, aux États-Unis.
Pauvreté relative et ultra-concentration des richesses
Le nombre de personnes vivant dans l’extrême pauvreté a diminué des deux tiers depuis le début des années 1990, mais 700 millions de personnes vivent avec moins de 1,90 dollar par jour en 2015, principalement en Afrique subsaharienne et en Asie du Sud. La pauvreté n’épargne pas non plus les pays riches, dont les modèles sociaux sont ébranlés par une crise qui touche d’abord les plus démunis et atteint de nouvelles catégories sociales (travailleurs pauvres, familles monoparentales, jeunes, etc.). Les États-Unis sont l’un des pays développés où la pauvreté est la plus étendue et progresse depuis le début des années 2000.
Indice de pauvreté multidimensionnelle, 2005-2015

Commentaire : Cet indice de pauvreté est composite : une valeur unique est calculée pour chaque pays en combinant dix critères qui considèrent le cumul des privations en matière de santé, d’éducation et de niveau de vie ; mais pour les seuls pays dits « du Sud », a priori plus affectés par la pauvreté. L’Inde présente les effectifs les plus importants – plus de 600 millions d’individus – alors que la prévalence (part de la population) est forte en Afrique subsaharienne (du Burkina Faso à la Somalie surtout).
L’évolution la plus notable en matière d’inégalités concerne l’enrichissement massif d’une part égale à 1 % de la population. D’après Oxfam, les huit premières fortunes mondiales, toutes masculines, détiennent en 2017 autant de richesses que les 3,6 milliards d’individus les plus pauvres. Selon le Credit Suisse Research Institute, 1 % des personnes les plus riches détiennent plus de la moitié de la fortune mondiale des ménages.
Les milliardaires selon Forbes, 1999-2018

Commentaire : Cette planche rapporte le profil des milliardaires dans le monde. Selon le magazine Forbes, leur nombre a été multiplié par 5 en 20 ans. Ils sont plus de 2 000 en 2018, très majoritairement des hommes (à 90 %) et des personnes âgées (les trois quarts ont entre 50 et 80 ans). Les industries « dématérialisées » telles que les services et la vente, les télécoms ou la finance, les banques ou les assurances constituent principalement les secteurs d’activité à l’origine de cette concentration de richesse.
Branko Milanović montre que quatre cinquièmes des inégalités de revenus à l’échelle de la planète sont liés au pays et, dans une moindre mesure, au groupe social dans lequel un individu naît ; et seulement un cinquième à la conjoncture économique, au mérite personnel ou à la chance, ce qui suscite une aspiration parmi les populations de pays pauvres à migrer vers les pays riches.
L’essor des privatisations dans les pays riches et émergents a probablement réduit les capacités d’action des États en matière de lutte contre les inégalités, notamment en Chine et en Russie. Cette diminution du patrimoine public et l’ évasion fiscale limitent leur capacité à réguler l’économie et à redistribuer les revenus, et donc à contenir les inégalités.
Dans les pays développés, les impôts et transferts directs réduisent d’environ un tiers les inégalités de revenus. La redistribution budgétaire est en revanche plus restreinte dans les pays en développement en raison de choix politiques alternatifs, d’une fiscalité et de dépenses plus faibles et moins progressives. Alerté par les conséquences néfastes de trop fortes inégalités sur la croissance économique, le FMI suggère de mettre en place des impôts sur la fortune, des dispositifs de fiscalité verte, de taxer davantage les revenus du capital et de la propriété immobilière, de renforcer et universaliser les mécanismes de protection sociale et d’investir dans l’éducation, la santé et l’égalité genrée.
- inégalités > Inégalité
- Répartition inégale des biens, matériels et/ou immatériels, considérés comme nécessaires ou désirables. Outre les inégalités de revenus (internes, internationales et mondiales), les inégalités, cumulatives, se mesurent également en matière d’accès aux services publics (accès à la santé, à l’éducation, à l’emploi, à un logement, à la justice, à une sécurité effective, etc.), à la propriété et plus largement aux ressources naturelles, ainsi qu’en matière d’expression politique ou de capacité de réaction face au risque écologique. Lorsque ces inégalités se fondent sur des critères prohibés par la loi, elles constituent des discriminations.
- biens publics mondiaux > Biens publics mondiaux
- Biens matériels et symboliques dont chacun est dépositaire pour la survie de tous et dont les fonctions sont menacées par le partage souverain (couche d’ozone, diversité biologique, patrimoine culturel de l’humanité, diversité culturelle, connaissances scientifiques, sécurité sanitaire, alimentaire, financière, etc.). Cette notion a été formulée dans le rapport du Programme des Nations unies pour le développement (PNUD) de 1999 et largement reprise depuis par de nombreux organismes internationaux. On parlera de « biens de club » quand ces biens sont limités à la gestion et à la consommation d’un nombre réduit de participants.
- PIB > Produit intérieur brut
- Indicateur économique mesurant la richesse produite par les investissements et les dépenses de consommation des ménages, des entreprises et de l’État à l’intérieur d’un pays (à distinguer du revenu national brut, qui mesure la richesse créée globalement par les seuls acteurs économiques nationaux). Très utilisé par les économistes (en particulier le PIB par habitant), il comprend de nombreux biais : il ne considère que les activités marchandes, ne tient pas compte des externalités négatives (destruction de l’environnement pas exemple), élude la question des inégalités sociales et spatiales, et postule (à tort) l’existence d’une corrélation entre richesse et niveau de développement. D’autres outils statistiques ont été développés pour tenter de pallier ces défauts (indice de développement humain, indice de Gini, etc.).
- parité de pouvoir d’achat > Parité de pouvoir d’achat
- Méthode de calcul permettant de comparer la valeur relative des différentes monnaies en tenant compte, outre du taux de change, des écarts de pouvoir d’achat et de niveau de vie d’un pays à l’autre. Cela permet par exemple de comparer le coût relatif (dans le budget d’un ménage moyen) de l’acquisition d’un même bien dans différents pays. Plusieurs institutions internationales calculent régulièrement les PIB nationaux en PPA afin de pouvoir effectuer des comparaisons internationales entre les niveaux de vie des pays, même si celles-ci restent aléatoires.
- croissance > Croissance
- Augmentation soutenue et à long terme de la production de richesses économiques d’un pays, c’est-à-dire de son PIB. La croissance économique n’est pas synonyme de développement. Sa mesure à l’aide d’outils purement économiques et monétaires est de plus en plus insatisfaisante en raison de la déterritorialisation et de la transnationalisation des activités économiques, de l’absence de prise en compte de la création de richesses non monétisables (alphabétisation, savoir scientifique ou culturel…) et surtout de l’encouragement au productivisme qu’elle implique, malgré les destructions (écologiques notamment) potentielles qu’engendre une croissance pensée uniquement sous le prisme de l’économie et de la rentabilité financière.
- Sud
- Voir Nord et Sud
- genre > Genre
- Construction historique, sociale, culturelle et psychologique d’une bicatégorisation entre les sexes (hommes/femmes) et entre les valeurs et les représentations qui leur sont associées (masculin/féminin). Issue des travaux féministes des années 1970, la notion de genre se déploie aux États-Unis au cours des années 1980, puis en Europe à partir des années 1990, avant de se rapprocher de la littérature sur les minorités sexuelles. Elle appréhende les relations entre les sexes comme un rapport de pouvoir (historiquement construit autour de l’infériorisation matérielle et symbolique des femmes par rapport aux hommes) qui ne peut être isolé des autres rapports de pouvoir que sont la classe sociale, la race, l’âge ou le handicap.
- Trente Glorieuses
- Expression de l’économiste Jean Fourastié qui désigne la période de forte expansion économique que les pays industrialisés ont connue entre la fin de la seconde guerre mondiale et les chocs pétroliers de 1973 et 1979.
- individus > Individu
- L’individu est un acteur social élémentaire dont la place va croissant dans les processus de mondialisation pour de multiples raisons, parmi lesquelles : la circulation accélérée des idées, des valeurs et des informations, la possibilité de construire des réseaux d’échange et de solidarité sans proximité physique, la création de réseaux d’experts internationaux, la lutte pour le respect des droits humains et les demandes de démocratie.
- pays développés > Pays développé
- Lors de son discours d’investiture de 1949, le président des États-Unis Harry S. Truman dessine, dans son 4e point, les contours d’un programme d’aide aux « pays sous-développés ». Cette expression désigne l’ensemble des pays considérés comme « en retard » par rapport à ce qui devient désormais un modèle à atteindre : celui des pays développés, industrialisés, dont la croissance est alors plus forte et le niveau de vie plus élevé. Pays sous-développés, en voie de développement, ou en développement (selon l’évolution de la terminologie), pays développés, aucune expression ne vient modifier la perspective linéaire et évolutionniste de cette vision, ni nuancer le caractère homogénéisant et réifiant de ces ensembles.
- migrer > Migrant
- Déplacement d’individus quittant durablement leur pays (émigration) pour se rendre dans un autre pays (immigration), de façon volontaire ou forcée (guerre, pauvreté, chômage, atteinte aux droits humains, conditions climatiques, etc.), et souvent en séjournant de façon plus ou moins temporaire dans différents pays dits de transit. Inhérents à l’histoire de l’humanité, les processus migratoires suscitent la mise en place de différents dispositifs de politiques publiques liés au contexte politique, économique et culturel ainsi qu’à la conception de la nationalité. Les États d’accueil s’efforcent d’organiser, parfois d’attirer (besoin de main-d’œuvre, exploitation de certains territoires, naturalisations, etc.), et plus souvent de restreindre l’immigration (contrôle aux frontières, quotas, titres de séjour, etc.). Les États de départ tentent, dans la plupart des cas, de maintenir des relations avec les nationaux et communautés diasporiques installées à l’étranger.
- États > État
- L’État est un système politique centralisé (différent du système féodal), différencié (de la société civile, espace public/privé), institutionnalisé (dépersonnalisation de l’institution), territorialisé (un territoire dont les frontières marquent de manière absolue les limites de sa compétence), qui prétend à la souveraineté (détention du pouvoir ultime) et se doit d’assurer la sécurité de sa population. En droit international public, l’État se définit par une population qui vit sur un territoire borné par des frontières sous l’autorité d’un pouvoir politique (État national territorial).
- évasion fiscale > Évasion fiscale
- Pratique illégale consistant à dissimuler ses revenus et ses avoirs dans un pays tiers, généralement un paradis fiscal, afin d’éluder ses obligations fiscales dans son pays de résidence ou d’activité. Au contraire, l’optimisation fiscale consiste à utiliser les failles des législations nationales afin d’échapper à l’impôt en toute légalité.
- protection sociale > Protection sociale
- Aides permettant aux personnes de faire face aux risques de l’existence sans compromettre leurs conditions de vie : maternité, charges de famille, maladie, invalidité, chômage, vieillesse, etc. Trois systèmes d’inspiration et d’objectifs distincts existent et s’influencent réciproquement. L’assistance sociale consiste en un revenu minimum destiné à instaurer une solidarité entre les personnes pour lutter contre la pauvreté. Elle est versée sous condition de ressources et non sur la base de cotisations préalables (exemple : régime beveridgien en Grande-Bretagne). L’assurance sociale a pour but de prévenir les risques de perte de revenus en offrant des prestations sociales financées par des cotisations sur les salaires (exemple : régime bismarckien en Allemagne). La couverture universelle a pour objectif de couvrir certains types de dépenses pour l’ensemble des individus, les prestations étant versées sans conditions de revenus ni de cotisation en étant identiques pour tous (exemple : couverture sanitaire universelle).