Résumé

Il est courant de diviser le monde en grands ensembles religieux, mais ces derniers ne suffisent pas à représenter la pluralité des religions « vécues ». Chacune des religions mondiales se caractérise par une diversité interne qu’il est nécessaire de prendre en compte si l’on veut saisir les multiples agendas politiques qu’elles contribuent à légitimer.

L’observation des religions dans l’espace mondial ne peut faire l’économie de plusieurs mises en garde, préalables à l’énonciation des caractéristiques démographiques des grands ensembles religieux et à la mise en exergue de leur diversité interne. À l’encontre de la représentation courante de blocs religieux uniformes dans leurs pratiques, valeurs et préoccupations, il est essentiel de souligner la pluralité des référents religieux pour pouvoir comprendre leurs usages politiques.

Définition et mises en garde

Il existe autant de définitions que de spécialistes du fait religieux. Nous pouvons retenir celle donnée par Émile Durkheim dans Les Formes élémentaires de la vie religieuse (1912), qui présente la religion comme « un système solidaire de croyances et de pratiques relatives à des choses sacrées […] qui unissent en une même communauté morale, appelée Église, tous ceux qui y adhèrent ». Ce faisant, la religion peut constituer le fondement d’ identités collectives susceptibles d’être mobilisées pour légitimer un ordre politique, des réseaux de solidarités ou des mobilisations sociales.

Le simple fait de chercher à identifier et à localiser « des » religions revient à faire œuvre de sélection dans une réalité complexe et, par conséquent, à produire une représentation qui tend à transformer cette réalité. C’est précisément ce à quoi s’attèlent les entrepreneurs identitaires et religieux, qui prétendent incarner l’ensemble des croyants relevant d’une religion donnée et dont ils véhiculent une image uniformisée. Cette approche monolithique est aussi le produit d’analyses simplistes, comme celle qui conduit à annoncer (ou à dénoncer) un « choc des civilisations », recoupant des lignes de partage religieuses qui nient une réalité complexe – faite de différences et parfois de tensions internes aux grands ensembles religieux – autant que les coopérations qui les transcendent. Si, pour les besoins de l’analyse, on peut retenir les principales caractéristiques de ces grands ensembles reliés par l’attachement à des textes, à des pratiques ou à des représentations communes, il faut rappeler sans relâche que la diversité interne est un trait partagé par toutes les religions.

Il convient enfin de préciser que les données démographiques, en l’absence d’indicateurs mondiaux fiables, ne peuvent refléter une image exacte de la réalité : les estimations varient selon les sources (PEW, ARDA, CIA World Factbook, etc.), et la collecte de données diffère en fonction de calculs souvent opérés par les États (certains favorisant une religion tandis que d’autres répriment toutes les pratiques religieuses) ou par les organisations religieuses (susceptibles d’amender les statistiques selon leurs intérêts).

Grands ensembles religeux, 2010-2050

Source : Pew Research Center, « Religious Composition by Country, 2010-2050 », 2015, www.pewforum.org 

Commentaire : Seul le Pew Research Center compile et calcule des données internationales sur les religions. Ce graphique montre le nombre de croyants dans le monde pour chaque grande religion en 2010, ainsi que des projections pour 2050. Les chrétiens sont les plus nombreux en 2010 (plus de 2 milliards), devant les musulmans et les non-affiliés, mais les deuxièmes rattraperont presque les premiers vers 2050 (un peu moins de 3 milliards). Ces évolutions correspondent davantage aux dynamiques démographiques régionales qu’aux facteurs religieux (conversions, etc.).

Repères démographiques

Cinq ensembles religieux rassemblent l’immense majorité des croyants : les deux grandes religions d’Asie (hindouisme et bouddhisme) et les trois monothéismes inspirés de l’Ancien Testament (judaïsme, christianisme et islam). Si l’on peut localiser leurs origines géographiques (sous-continent indien pour les religions asiatiques, Proche-Orient pour les religions du Livre), ces religions se sont diffusées à l’échelle planétaire par le jeu des flux migratoires et des conversions, entraînant la diversification de leurs pratiques et leur scission en différents courants ou dénominations.

Troisième religion au plan démographique (environ 1 milliard de croyants ou 13,8 % de la population mondiale en 2010 selon le CIA World Factbook), l’hindouisme, dont les origines remontent au xv e siècle av. J.-C., est aussi l’une des plus anciennes encore pratiquées. Les hindouistes vivent en majorité dans le sous-continent indien (Inde et Népal), berceau de leurs traditions, mais la religion s’est étendue à d’autres continents à travers les conquêtes impériales (l’Asie du Sud-Est fut hindouisée à partir du iv e siècle), les transferts de population à l’ère coloniale (Suriname, île Maurice, Malaisie) ou des migrations plus récentes (Moyen-Orient et reste du monde).

Le bouddhisme, fondé en Inde vers le vi e siècle av. J.-C., était originellement considéré comme une secte hindouiste. Les estimations divergent quant au nombre exact de bouddhistes dans le monde, entre 200 millions et 1 milliard de pratiquants, les plus classiques tournant entre 400 et 500 millions. Cette fourchette s’explique par la présence de gouvernements limitant la liberté religieuse dans plusieurs pays de tradition bouddhiste (Chine, Corée du Nord, Vietnam, Laos) et par la popularité de cette religion dans les pays occidentaux. Le bouddhisme serait celle connaissant la plus forte croissance aux États-Unis et en Europe occidentale depuis les années 1990. Toutefois, sa pratique, souvent individuelle, n’est pas nécessairement recensée.

Bouddhistes et hindouistes, 2010

Source : Pew Research Center, www.pewresearch.org  

Commentaire : Ces cartes utilisent une légende commune aux autres sur les religions en 2010 : les cercles montrent les effectifs des croyants et les dégradés leur part dans la population de chaque pays. Les bouddhistes se situent majoritairement en Asie, de l’Est en particulier (plus des trois quarts de la population en Thaïlande ou au Myanmar) ; les hindouistes se concentrent en Inde et au Népal. Pour ces deux religions, des effectifs modestes mais visibles montrent les diasporas asiatiques (Amérique du Nord, Golfe, Australie/Nouvelle-Zélande et Afrique du Sud).

Le judaïsme, premier-né des monothéismes, opère un lien étroit entre nation (les Juifs en tant que peuple) et religion (les juifs en tant que croyants), au fondement de l’État d’Israël (1948). Les estimations font part d’environ 13,75 millions de juifs répartis sur les cinq continents, chiffre intrinsèquement discutable puisque la définition de la judéité varie selon les courants (le judaïsme orthodoxe ne reconnaissant que la transmission matrilinéaire de la religion, tandis que des communautés libérales acceptent sa transmission par le père et les conversions). Le nombre de juifs a augmenté de deux millions depuis la Shoah, qui fit six millions de victimes parmi les neuf millions de juifs résidant en Europe avant la seconde guerre mondiale, mais diminue en proportion de la population mondiale car la majorité d’entre eux vivent dans des pays ayant achevé leur transition démographique. On compte ainsi 5,9 millions de juifs en Israël, seul État où ils sont majoritaires, mais davantage à l’étranger (5,4 millions aux États-Unis, 480 000 en France).

Juifs, 2010

Source : Pew Research Center, www.pewresearch.org 

Commentaire : Cette carte utilise une légende commune aux autres sur les religions en 2010 : les cercles montrent les effectifs des croyants et les dégradés leur part dans la population de chaque pays. Les juifs sont (légèrement) plus nombreux aux États-Unis qu’en Israël mais ils y sont majoritaires dans le second et pèsent moins de 2 % de la population du premier. Des populations juives moins nombreuses sont présentes en Europe occidentale et orientale et, dans une moindre mesure, en Amérique du Sud.

Le christianisme désigne l’ensemble des religions suivant le message délivré par Jésus-Christ au premier siècle de notre ère. Toutes dénominations confondues, il compte environ 2,3 milliards de baptisés, soit près du tiers de la population mondiale, principalement répartis entre les Églises catholique romaine (16,8 % de la population), protestante (6,15 %, eux-mêmes répartis en de nombreuses dénominations) et orthodoxe (3,9 %). Majoritaires dans 126 pays, les religions chrétiennes prédominent en Europe, dans les Amériques et en Afrique subsaharienne, mais aussi dans certains pays d’Asie et d’Océanie. Si la pratique religieuse tend à décliner en Europe occidentale, le christianisme reste dynamique dans les Suds, notamment du fait de l’activité missionnaire des communautés pentecôtistes et charismatiques.

Chrétiens : catholiques, protestants et orthodoxes, 2010

Source : Pew Research Center, www.pewresearch.org 

Commentaire : Ces cartes utilisent une légende commune aux autres sur les religions en 2010 : les cercles montrent les effectifs des croyants et les dégradés leur part dans la population de chaque pays. Les catholiques sont majoritaires et nombreux en Amérique latine, en Europe de l’Ouest et du Sud et, plus ponctuellement, aux Philippines, en Pologne ou en Irlande. Des effectifs importants se situent en Afrique et aux État-Unis. Les protestants sont davantage présents en Europe du Nord, aux États-Unis et en Afrique subsaharienne ; ils sont aussi présents en Amérique latine, en Europe et en Asie, mais y pèsent moins du quart de la population. Les orthodoxes se concentrent en Russie, en Europe de l’Est et dans les Balkans et, de manière plus isolée, en Éthiopie et en Érythrée.

L’islam, troisième monothéisme abrahamique, a été fondé au vii e siècle par Mahomet. On compte aujourd’hui environ 1,6 milliard de musulmans, soit 23 % de la population mondiale (CIA World Factbook), qui font de l’islam la deuxième religion mondiale en nombre de croyants mais aussi la plus dynamique du point de vue démographique. La religion musulmane est largement majoritaire parmi les populations du Moyen-Orient, son berceau historique, mais près des deux tiers des musulmans vivent en Asie. Dans le reste du monde, ils constituent des minorités importantes (l’islam est la seconde religion en Occident, avec environ 20 millions de musulmans dans l’Union européenne et 7 millions aux États-Unis).

Musulmans, 2010

Source : Pew Research Center, www.pewresearch.org 

Commentaire : Cette carte utilise une légende commune aux autres sur les religions en 2010 : les cercles montrent les effectifs des croyants et les dégradés leur part dans la population de chaque pays. En part de la population, les musulmans sont nettement majoritaires dans le nord de l’Afrique, au Moyen-Orient et en Asie centrale, de même qu’au Pakistan, au Bangladesh et en Indonésie. En revanche, les effectifs les plus importants sont davantage asiatiques : Indonésie, sous-continent indien et, ensuite seulement, au Nigeria, en Égypte, en Iran et en Turquie.

Diversité interne des grands ensembles religieux

Alors que les groupes religieux sont généralement représentés de façon monolithique, leur expansion géographique s’est traduite par leur diversification, entraînant des effets de scission ou d’ hybridation avec des pratiques ou croyances locales – de la « javanisation » de l’islam indonésien à partir du xv e siècle à l’occidentalisation du bouddhisme en Europe ou aux États-Unis.

La capacité de syncrétisme de l’hindouisme qui, en l’absence de clergé centralisé, s’accommode des innovations théologiques et s’hybride avec les traditions locales, explique l’infinie diversité de croyances et de pratiques qui se côtoient en son sein. Au fil de l’extension spatiale de l’hindouisme sont apparues une multitude de sectes, qui se distinguent par les divinités auxquelles elles consacrent l’essentiel de leur culte et par la forme même des rites pratiqués.

Le bouddhisme s’est diffusé en Asie à travers deux principales écoles : la plus ancienne, celle du bouddhisme theravada (bouddhisme du petit véhicule), est principalement pratiquée en Asie du Sud-Est (Sri Lanka, Cambodge, Laos, Myanmar, Thaïlande), tandis que le bouddhisme mahayana (bouddhisme du grand véhicule) domine en Asie du Nord et de l’Est. Le bouddhisme mahayana reconnaît une plus grande diversité d’enseignements et de pratiques, adaptés aux spécificités culturelles de ses zones d’implantation (du bouddhisme tibétain au zen).

La diversification du judaïsme s’est opérée sur des bases géographiques, culturelles et doctrinales. Une distinction d’origine géographique et culturelle existe entre juifs ashkénazes (originaires des pays germaniques et slaves) et sépharades (originaires de la péninsule Ibérique puis du monde arabe), bien que cette frontière tende aujourd’hui à s’effacer. Différentes dénominations religieuses correspondent par ailleurs à des nuances de pratiques religieuses, établissant une distinction entre des conceptions orthodoxes et libérales du judaïsme.

L’histoire du christianisme a été marquée par deux divisions majeures, entérinées lors de conciles (ou synodes), grandes réunions de clercs cherchant à établir les règles de foi et de discipline communes sous formes de canons (lois) depuis le I er Concile de Nicée en 325. Après la séparation de 1054 entre Églises d’Orient (orthodoxe) et d’Occident (romaine), le second schisme a distingué l’Église catholique romaine des Églises protestantes issues de la Réforme au xvi e siècle, sous l’impulsion du moine allemand Martin Luther et du pasteur français Jean Calvin.

L’islam est également divisé en différentes dénominations. Les deux principales, chiisme et sunnisme, rassemblent plus de 95 % des musulmans. Leur distinction s’est opérée peu après l’assassinat du troisième calife, Othman, en 656. Largement majoritaires (80 à 90 % des musulmans), les sunnites sont eux-mêmes divisés en quatre écoles juridiques. Les chiites (10 à 20 %) quant à eux ne sont majoritaires qu’en Iran, à Bahrein et en Irak. D’autres branches chiites existent (ismaéliens, zaydites ou druzes), de même que des minorités ne se revendiquant ni du chiisme, ni du sunnisme (ibadites, mahdavites, ahmadis, etc.).

Contrastes et inégalitésFracture(s) numérique(s)MobilitésVides et pleinsretour en haut