Vides et pleins
Croisement de trains dans la banlieue de Calcutta en Inde, 2010
Crédit : UN Photo / Kibae Park / CC BY NC ND
Croisement de trains dans la banlieue de Calcutta en Inde, 2010.
Avec plus de 14 millions d'habitants, Kolkata (Calcutta) absorbe difficilement l'exode rural régional de l'Est de l'Inde et présente des densités de population parmi les plus élevées du monde (ici en 2010). Ses habitants, dont une grande partie réside dans des taudis, bibonvilles ou à même la rue, ne disposent pour se déplacer dans l'immense espace urbain que de transports vétustes et saturés.
Résumé
Malgré une baisse de la fécondité, la croissance de la population mondiale continue à un rythme soutenu, redessinant les équilibres démographiques anciens. Les régions qui connaissent aujourd’hui et connaîtront au cours des décennies futures les plus fortes dynamiques sont les plus pauvres, qui abritent les sociétés les plus fragiles et les plus exposées aux risques environnementaux, économiques, sociaux et sanitaires.
L’humanité comptait 500 millions d’individus au début du xvi e siècle, 1 milliard au début du xix e siècle, 1,5 au début du xx e siècle, 7,6 en 2017 et, selon la Révision 2017 des Perspectives sur la population mondiale des Nations unies, cette tendance à la hausse se poursuivra avec 8,6 milliards en 2030, 9,8 en 2050 et 11,2 en 2100.
Population des États et territoires, 2017

Commentaire : Cette carte montre la population totale des États en 2017. Seules la Chine et l’Inde dépassent le milliard d’habitants. Les autres pays les plus peuplés sont ensuite les États-Unis, l’Indonésie et le Brésil. Ces poids démographiques dépendent beaucoup de la taille des États et des densités de population. La plupart des poids lourds sont très vastes mais le Pakistan, le Bangladesh ou le Japon ne sont pas non plus des États-continents. Et les densités sont très inégales au sein de chaque pays, ce que la carte ne montre pas.
Combien d’humains ?
Les progrès des services d’état civil, les programmes d’aide à la réalisation et la synchronisation des recensements dans les pays du Sud, la mise en cohérence des informations au sein de bases de données révisées et des moyens de calcul toujours plus puissants permettent de disposer de projections démographiques relativement fiables pour les vingt à trente prochaines années. Au-delà, les débats sur l’universalité du modèle de la transition démographique, les incertitudes sur les effets conjugués du vieillissement, des épidémies, des conflits et des dégradations environnementales rendent les prévisions plus incertaines.
La croissance continue de la population mondiale est un défi qui ne pèse pas de la même façon sur les différentes sociétés du monde. Les combinaisons entre l’ excédent naturel et le solde migratoire sont multiples et évolutives et interagissent avec l’ensemble des facteurs sociaux et économiques. Depuis un demi-siècle, l’évolution démographique des grandes régions du monde, très contrastée, modifie durablement les équilibres mondiaux.
Évolution de la population, 1950-2050

Commentaire : Les deux graphiques montrent l’évolution de la population des continents entre 1950 et 2015, puis des projections jusqu’en 2050. Les courbes à gauche reflètent l’évolution : l’Afrique présente la croissance la plus forte, sur toute la période, et l’Europe la plus faible. Les histogrammes à droite indiquent la part des continents dans la population mondiale : les parts de l’Europe et de l’Amérique du Nord ne cessent de baisser, celle de l’Asie a connu son maximum et baisse dorénavant. Seule celle de l’Afrique augmente sur toute la période.
L’Afrique, l’Amérique latine (sauf l’Argentine et le Chili) et l’Asie (sauf la Chine) connaissent une croissance continue, alors que celle-ci est faible en Amérique du Nord, Europe et Australie ou ralentie en Chine et même en diminution en Russie et en Europe de l’Est.
Évolution de la population : Afrique, Chine et Inde, 1950-2050

Commentaire : Ces courbes comparent l’évolution de la population de l’Afrique, de la Chine et de l’Inde entre 1950 et 2050. Après 2015, ce sont des projections « moyennes » de l’ONU. L’échelle logarithmique montre l’évolution de la population par la pente des courbes. La croissance de la Chine ralentit dès 1990 (politique de l’enfant unique), puis de plus en plus jusqu’à diminuer vers 2030 ; la croissance de l’Inde reste soutenue plus longtemps et dépassera la Chine au cours des années 2020 ; enfin, l’Afrique montre une croissance encore plus forte et continue, ne fléchissant que légèrement après 2030.
La Chine, avec 1,4 milliard d’habitants soit 19 % de la population mondiale, et l’Inde, avec 1,3 milliard d’habitants soit 18 %, restent les deux pays les plus peuplés, mais vers 2024 la population de l’Inde devrait dépasser celle de la Chine dont la croissance est freinée par les conséquences de plus de trente années d’une politique de l’enfant unique et par le vieillissement de sa population.
Ce sont donc les populations les plus pauvres appartenant à des sociétés déjà en crise qui vont croître le plus vite, ce qui va aggraver la pauvreté et les défis du développement. Alors que la population de l’Europe dans son ensemble devrait diminuer d’ici à 2050 (de 742 à 716 millions), c’est en Afrique que la croissance sera la plus forte, avec un doublement de la population durant la même période (de 1 256 à 2 528 millions).
La croissance démographique et la question de sa soutenabilité ne peuvent donc être considérées indépendamment des conditions sociales, sociétales, économiques, politiques, civiles et environnementales.
Foyers de peuplement
Le découpage étatique est la base de la comptabilité des populations et permet les comparaisons mais il ne rend pas compte de la diversité des situations au sein des États, le peuplement de la planète étant souvent côtier et de plus en plus urbain. L’Asie (60 % de la population mondiale) se caractérise par une forte urbanisation et des densités rurales très élevées qui nourrissent un exode saisonnier ou permanent vers les villes, alimenté par l’écart croissant de richesse.
Densité de population, 2015

Commentaire : Cette carte des densités de population dans le monde est construite à partir d’un carroyage dont le côté de chaque unité fait une vingtaine de kilomètres, contrairement aux représentations traditionnelles par État qui lissent les différences sur l’ensemble du territoire de chaque État. Cette carte montre avec précision la très inégale répartition spatiale de la population, allant d’immenses espaces vides à de grandes concentrations, généralement côtières, sauf dans la partie orientale de la Chine, en Europe et dans les vallées du Nil et du Gange.
L’Europe intensivement cultivée, anciennement urbanisée et industrialisée, s’organise autour d’un espace urbain quasi continu de production, d’échanges et de circulations – de Londres à l’Italie du Nord en passant par l’axe rhénan. Le peuplement des Amériques, surtout côtier, est plus dense au nord qu’au sud. Durant quatre siècles, la traite a transporté une main-d’œuvre servile d’Afrique vers le sud des États-Unis, les Caraïbes et le Brésil, puis, à la fin du xix e siècle et au début du xx e, l’arrivée massive de migrants européens a profondément transformé à son tour les territoires et les sociétés. La conquête de l’Ouest, en repoussant la frontière du peuplement, a dessiné les grands traits des densités actuelles des États-Unis. En Amérique du Sud, l’espace est moins profondément pénétré. Littoral au Brésil avec la présence de très grandes agglomérations, le peuplement n’est dense que dans l’axe du Rio de la Plata et, de façon moindre et discontinue, dans les Andes. En Afrique, le Maghreb, la vallée du Nil, la région des Grands Lacs et le golfe de Guinée forment des archipels de peuplement très denses, et le Nigeria est un poids lourd démographique (190 millions d’habitants en 2017).
Vides et fronts pionniers
Les espaces vides et supposés vierges ont été considérés, depuis le début du xx e siècle, comme des espaces de rééquilibrage démographique et, plus récemment, de conquête agroforestière et industrielle (Sibérie, déserts d’Asie centrale, Amazonie, forêt africaine, Indonésie) au prix de lourdes prédations environnementales, sociales et culturelles. Quant au Sahara, qu’une vision traditionnelle et déterministe considère comme vide et organisé en bandes Ouest-Est par la pluviométrie, il est en fait un espace de circulations Nord-Sud historiques de marchands, d’éleveurs nomades, de guerriers et de prêcheurs et aujourd’hui de groupes armés, de trafiquants d’hommes, d’armes et de drogue.
- Sud
- Voir Nord et Sud
- transition démographique > Transition démographique
- Du xviiie siècle à nos jours, l’humanité est passée d’un régime démographique de fécondité et mortalité élevées qui s’équilibrent, à un nouveau régime de fécondité et mortalité faibles. Dans un premier temps, les progrès économiques et sanitaires font baisser la mortalité, alors que la fécondité reste élevée, entraînant un excédent des naissances sur les décès et donc une croissance rapide de la population. Dans un second temps, la limitation des naissances réduit cet excédent, situation qui peut aboutir à un non-renouvellement des générations, donc à une diminution de la population s’il n’y a pas d’apport migratoire. Ce modèle théorique, construit à partir de l’observation des évolutions des populations européennes et nord-américaines, postule que toutes les populations du monde vont évoluer de la même façon.
- environnementales > Environnement
- L’environnement est entendu largement comme la biosphère dans laquelle les espèces vivantes cohabitent, tandis que l’écologie étudie les rapports entre ces organismes et leur environnement. L’environnement comprend des milieux naturels très différents allant des forêts vierges laissées intactes aux milieux artificialisés exploités et aménagés par l’être humain. Dans une définition restrictive, on entend par questions environnementales les enjeux se rapportant aux ressources naturelles (gestion, exploitation et dégradation) et à la biodiversité biologique (faune et flore). En tant que problème public transversal, l’environnement concerne les enjeux d’organisation des sociétés (modèles de production, transports, infrastructures, etc.) et leurs effets sur la santé humaine et des écosystèmes.
- excédent naturel > Excédent naturel
- Données calculées par année par les États, collectées et ajustées par les organisations internationales et permettant de mesurer (et prévoir) la croissance démographique. Celle-ci est la somme du rapport entre les naissances et les décès (solde naturel, qui peut être excédentaire ou déficitaire) et du rapport entre entrées et sorties de migrants (solde migratoire qui peut également être excédentaire ou déficitaire). L’indice synthétique de fécondité rapporte le nombre annuel de naissances d’une génération à l’effectif de cette génération, ce qui indique le nombre moyen d’enfants par femme en âge de procréer. On estime qu’il faut atteindre un indice de 2,05 pour un renouvellement des générations.
- solde migratoire > Excédent naturel
- Données calculées par année par les États, collectées et ajustées par les organisations internationales et permettant de mesurer (et prévoir) la croissance démographique. Celle-ci est la somme du rapport entre les naissances et les décès (solde naturel, qui peut être excédentaire ou déficitaire) et du rapport entre entrées et sorties de migrants (solde migratoire qui peut également être excédentaire ou déficitaire). L’indice synthétique de fécondité rapporte le nombre annuel de naissances d’une génération à l’effectif de cette génération, ce qui indique le nombre moyen d’enfants par femme en âge de procréer. On estime qu’il faut atteindre un indice de 2,05 pour un renouvellement des générations.
- vieillissement > Vieillissement
- L’augmentation de la part des personnes âgées et très âgées dans la population d’un État ou d’une région (d’abord des pays du Nord, puis progressivement des pays du Sud) s’explique par l’augmentation du nombre des personnes âgées (allongement de la durée de la vie) et/ou la diminution du nombre de jeunes (baisse de la natalité), que renforce la faiblesse des migrations (pas d’arrivée de populations jeunes).
- pauvreté > Pauvreté
- Désignant initialement le manque de ressources économiques, la notion de pauvreté s’est élargie, au cours des dernières décennies, afin d’inclure les différentes composantes du dénuement : conditions sanitaires déplorables, faible niveau d’éducation, inégalités sociales et de genre, violations des droits humains, atteintes à l’environnement, vulnérabilité accrue face aux catastrophes dites « naturelles ». L’indice de développement humain (IDH) élaboré par le Programme des Nations unies pour le développement au milieu des années 1990 (ainsi que sa variante genrée, l’indice sexospécifique de développement humain, ISDH) ou l’indice de pauvreté multidimensionnelle (IPM) conçu par des chercheurs de l’université d’Oxford en 2010 s’inspirent des travaux d’Amartya Sen sur les capacités (capabilities) en identifiant les privations dont sont victimes les pauvres en termes de santé, d’éducation et de niveau de vie.
- développement > Développement
- Les définitions du développement et de son contraire – le sous-développement – ont beaucoup varié selon les objectifs politiques et les postures idéologiques de ceux qui les énonçaient. Au cours des années 1970, Walt Whitman Rostow le conçoit comme une dynamique quasi mécanique d’étapes successives de croissance économique et d’améliorations sociales, alors que Samir Amin analyse les rapports centre/périphéries, le premier fondant son développement sur l’exploitation des secondes. En Amérique latine, la théorie de la dépendance dénonçait l’ethnocentrisme du modèle universel d’un simple retard à rattraper par la modernisation. Parler de « pays » pauvres ou en développement occulte les inégalités existant aussi à l’intérieur des sociétés (du Nord comme du Sud) et les connexions des individus aux processus de mondialisation.
- urbanisation > Urbanisation
- Processus de concentration des populations et des activités dans des espaces restreints caractérisés par la densité et la diversité des activités sociales. La longue histoire de l’urbanisation du monde s’est brusquement accélérée à partir de la seconde moitié du xxe siècle, par l’augmentation du nombre de villes (de toutes tailles, particulièrement dans les nouveaux États postcoloniaux) et par l’augmentation de leur taille (en nombre d’habitants et en surface) : les plus grandes deviennent d’immenses agglomérations. Cette croissance, très différenciée dans le monde, est la plus rapide (par exode rural et par croissance démographique propre) dans les pays les plus pauvres aux politiques publiques urbaines les plus faibles. Les coûts environnementaux de l’étalement et des migrations pendulaires quotidiennes (pollution de l’eau et de l’air, gestion des déchets, approvisionnement des habitants, grignotage de l’espace agricole, etc.) sont aujourd’hui à mettre en balance avec les avantages de la densité des échanges, des compétences et des innovations que permet l’urbain dense.
- espace > Espace
- Terme aux sens et usages multiples, catégorie bien moins abordée par les philosophes que celle du temps et qui a longtemps constitué une difficulté théorique (non consensuelle) pour les géographes dont ce devrait être l’objet central. Contrairement aux représentations courantes d’une étendue naturelle que rempliraient les sociétés, l’espace est un produit social sans cesse reconstruit par les interactions sociales. Il constitue l’une des dimensions de la vie sociale, à la fois matérielle et culturelle. Parler d’espace social n’augure pas de sa forme, territoriale, réticulaire, ou les deux à la fois.
- circulations > Circulation
- Hommes, marchandises, services, capitaux, informations, idées, valeurs et modèles sont objets de transferts et d’échanges de plus en plus importants. L’augmentation, la diversification et l’accélération des circulations caractérisent les processus actuels de mondialisation. Elles mettent en relation des espaces économiques et sociaux, par l’intermédiaire de réseaux qui, selon leur densité, leur fluidité, leur débit et leur hiérarchie peuvent profondément les différencier. De toutes les circulations, l’information au sens le plus large du terme est celle qui connaît la croissance la plus rapide, alors que celle des hommes est celle qui rencontre le plus d’obstacles.
- traite > Traite négrière
- La traite ou commerce des esclaves africains par les marchands arabo-musulmans existe dès le viie siècle (transsaharienne et vers la péninsule Arabique). Les Européens créent le troisième grand marché d’esclaves entre l’Afrique et les Amériques à partir du milieu du xvie siècle. Ce commerce triangulaire consiste à troquer avec les trafiquants africains des esclaves contre des armes, des objets manufacturés, des textiles, etc., puis à revendre les survivants du voyage aux colons américains (du nord du Brésil au sud des États-Unis), et enfin à revenir en Europe avec les produits tropicaux. Dénoncé par les Encyclopédistes durant la seconde moitié du xviiie siècle, puis par les sociétés abolitionnistes en France et en Angleterre, la traite puis l’esclavage cessent dans les Amériques au cours de la seconde moitié du xixe siècle.
- migrants > Migrant
- Déplacement d’individus quittant durablement leur pays (émigration) pour se rendre dans un autre pays (immigration), de façon volontaire ou forcée (guerre, pauvreté, chômage, atteinte aux droits humains, conditions climatiques, etc.), et souvent en séjournant de façon plus ou moins temporaire dans différents pays dits de transit. Inhérents à l’histoire de l’humanité, les processus migratoires suscitent la mise en place de différents dispositifs de politiques publiques liés au contexte politique, économique et culturel ainsi qu’à la conception de la nationalité. Les États d’accueil s’efforcent d’organiser, parfois d’attirer (besoin de main-d’œuvre, exploitation de certains territoires, naturalisations, etc.), et plus souvent de restreindre l’immigration (contrôle aux frontières, quotas, titres de séjour, etc.). Les États de départ tentent, dans la plupart des cas, de maintenir des relations avec les nationaux et communautés diasporiques installées à l’étranger.
- Nord-Sud > Nord et Sud
- Métaphores spatiales récentes qui, comme les autres appellations autour du sous- ou mal-développement, insistent davantage sur l’homogénéité de chacun des deux mondes, les oppositions entre eux, les lignes de fracture, au risque de faire oublier que les circulations et les échanges (économiques, démographiques, culturels, politiques) relient et que des fractures sociales et politiques sont présentes dans chacun des deux ensembles.
- nomades > Nomade
- Le nomadisme pastoral pour lequel le territoire est un parcours de lieu en lieu régresse sous l’effet de contraintes étatiques (contrôle des frontières, contrôle social, attribution de territoires et de points d’eau, coupure des parcours), de crises politiques et de conflits, de politiques de développement inadéquates et de crises climatiques et écologiques. La sédentarisation en milieux urbains précaires mène à la disparition des nomades ou à leur rébellion (Touaregs). On qualifie aussi de nomadisme les mobilités contemporaines (physiques et virtuelles) à l’échelle planétaire. Métropolisation, mobilité résidentielle, tourisme international, délocalisations/relocalisations des entreprises, migrations, développement des technologies de l’information modifient les rapports aux lieux et les comportements.