Résumé

La croissance urbaine, en effectifs et en surface, aggrave les problèmes de circulation, de pollution, de consommation énergétique, de logement et d’inégalités sociales. Organisations internationales, ONG et sociétés civiles appellent à des changements de politiques publiques pour une transition vers des villes à faibles émissions de carbone, plus compactes, économes en ressources et socialement plus justes.

Plus de la moitié de la population mondiale vit aujourd’hui dans des villes (55 % en 2015 contre 30 % en 1950 et probablement 68 % en 2050). Cette mondialisation de l’urbain, de plus en plus dense, étendu et connecté, concentre à la fois les innovations et les pathologies des sociétés contemporaines. Les villes géantes se multiplient : 513 agglomérations dépassent le million d’habitants contre 16 seulement en 1900 et aucune au début du xix e siècle ; 5 d’entre elles comptent plus de 20 millions d’habitants (Tokyo, Delhi, Shanghai, Mexico City, São Paulo).

Des villes en réseaux

Les grandes agglomérations mondiales constituent l’architecture des processus de mondialisation dont elles sont à la fois les pôles décisionnels et les nœuds des réseaux physiques. Un double mouvement combine une dispersion de plus en plus grande des activités de production grâce au développement des mobilités matérielles (transports) et immatérielles (télécommunications), et une surconcentration urbaine de l’innovation (économies d’échelle et surtout densité des interactions).

150 premières agglomérations selon la population et le PIB, 2014-2015

Sources : European Commission, JRC, Global Human Settlement, http://ghsl.jrc.ec.europa.eu ; Global Metro Monitor 2014, www.brookings.edu

Commentaire : La comparaison de ces deux cartes des 150 premières agglomérations mondiales montre de très fortes distorsions entre la population et la richesse. D’un côté quelques agglomérations de 10 à 20 millions d’habitants disposent d’un PIB élevé (New York, Los Angeles, Londres, Paris), de l’autre elles sont très nombreuses, surtout en Asie, à avoir une population très importante et un PIB faible ou très faible. Rappelons que le PIB total d’une agglomération masque des écarts de richesse parfois considérables entre groupes sociaux et/ou entre quartiers.

Les concepts concernant l’urbain ne sont ni stables ni partagés et les sources statistiques utilisent des définitions différentes. Durant les années 1960, la mégalopole de la côte Est des États-Unis (la Mégalopolis) était définie comme une conurbation concentrant capitaux, puissance et pouvoirs (Jean Gottmann) ; à la fin des années 1980 on compte trois mégalopoles dans le monde : la côte Est des États-Unis, Tokyo-Osaka-Kobé au Japon et la dorsale européenne Londres-Milan (Roger Brunet), et à la fin des années 1990, apparaît la notion d’archipel mégalopolitain mondial (Olivier Dollfus) qui désigne l’ensemble des grandes villes concentrant les activités de commandement et d’innovation. La position hiérarchique d’une ville dans le système urbain mondial peut se définir par son degré de connexions de tous types (informationnel, intellectuel, bancaire et réseaux de transport), mais à cette analyse hiérarchique est aujourd’hui préférée l’étude d’un vaste ensemble réticulaire complexe (Jacques Lévy).

Territorialisation des inégalités

La croissance démographique au sein des villes et la persistance de l’exode rural vers les villes expliquent la rapidité de l’urbanisation et créent une demande de logements, d’infrastructures et de services à laquelle beaucoup d’agglomérations ne sont pas capables de répondre.

15 premières agglomérations, 2030

Source : Nations unies, division Population, World Urbanization Prospects : The 2014 Revision, www.un.org

Commentaire : Selon les prévisions de l’ONU, parmi les 15 premières agglomérations dans le monde en 2030, toutes auront un effectif très proche ou supérieur à 20 millions d’habitants, 7 entre 20 et 25, 4 autour de 30 et 2 plus de 35 (Delhi et Tokyo). Cependant ces valeurs résultent d’évolutions variables au cours des 80 dernières années : très rapides pour les agglomérations d’Asie et d’Afrique, elles sont plus lentes à New York ou au Japon. Les agglomérations des pays les plus pauvres augmentent le plus vite.

Cette pression est la plus forte dans les villes du Sud, où l’exode des plus pauvres alimente en permanence des bidonvilles (ou slums), constitués d’habitations précaires à la périphérie ou à l’intérieur même des villes, dans les espaces non constructibles, insalubres et dangereux.

Bidonvilles et autres types d’habitat informel, 2014

Source : Nations unies, Sustainable Development Goals Indicators, www.unstats.un.org

Commentaire : La carte de la population vivant dans des bidonvilles et d’autres habitats informels est particulièrement contrastée. En part de la population urbaine (les plages de couleur), ce taux est supérieur à 40 % dans la majorité des pays d’Afrique, dépassant 90 % au Soudan du Sud, en République centrafricaine ou au Soudan. En effectifs (les cercles proportionnels), les pays émergents très peuplés (Chine, Inde, Brésil) présentent un nombre important de personnes vivant dans des bidonvilles, alors que leur part dans la population urbaine reste moins élevée qu’en Afrique.

Sans titres de propriété, les populations très pauvres qui y vivent n’ont accès ni à l’eau potable ni à l’assainissement. Selon les chiffres d’ONU-Habitat, en 2015, au moins 881 millions de personnes vivent dans des espaces d’informalité, d’exclusion spatiale et sociale surpeuplés. Si, entre 2000 et 2014, la part de la population urbaine des pays du Sud vivant dans les bidonvilles a diminué (de 39 % à 30 %), les chiffres en valeur absolue continuent à croître et renvoient à des situations très diverses dans l’espace et dans le temps. Dans certains cas, après avoir tenté de rendre ces espaces invisibles (entourés de hauts murs), puis de les raser (ils renaissaient ailleurs), les autorités des villes ont finalement réalisé un minimum de viabilisation et de services, parfois des légalisations, ou ont fourni des matériaux pour l’amélioration des constructions (dite durcification). Dans d’autres cas, les habitants sont livrés à eux-mêmes, plus ou moins organisés en communautés appuyées par des ONG, subissant la violence de l’ économie informelle ou mafieuse. Malgré la coupure spatiale et sociale, ces bidonvilles ne sont pas étrangers à la ville formelle à laquelle ils fournissent, au prix de migrations pendulaires souvent très longues, la main-d’œuvre domestique, le travail précaire et les commerces de rue.

À cette ségrégation résidentielle subie et par défaut s’opposent des formes de territorialisations choisies par les riches. Il peut s’agir de la gentrification d’anciens quartiers populaires centraux dégradés, dont les populations sont chassées, ou de la création de quartiers résidentiels fermés abritant un entre-soi sécurisé (gated communities). D’abord développés aux États-Unis à partir des années 1970 en périphérie des villes, ils sont aujourd’hui largement présents dans les pays émergents et du Sud, contribuant à l’extension de la tache urbaine.

Réinventer la ville ?

Cette double croissance des villes, en population et dans l’espace, se traduit par l’augmentation des mobilités quotidiennes, de la pollution (trois quarts des gaz à effet de serre mondiaux) et de la consommation de matières premières et d’énergie dans des proportions qu’elles ne peuvent plus soutenir.

Évolution de la tache urbaine de quelques villes, 1975-2015

Source : European Commission, Joint Research Centre (JRC), « GHS Settlement grid following the REGIO model 2014 in application to GHSL Landsat and CIESIN GPW v4-multitemporal (1975-1990-2000-2015) ».

Commentaire : L’extension de la tache urbaine des sept exemples sélectionnés montre des rapports très différents entre la surface la plus densément urbanisée (ville verticale) et ses extensions horizontales (géographiques) qui gagnent sur l’espace rural le plus souvent (maisons ou bidonvilles). Certaines structures sont polynucléaires, reliées par des axes densément peuplés (Pakistan, Vietnam), alors que d’autres, surtout la région urbaine Hong Kong/Shenzhen/Guangzhou/Macao, présentent de très fortes densités dans un périmètre de plus de 150 kilomètres de diamètre.

Depuis la fin des années 1970 les conférences internationales successives ont incité à des changements des politiques publiques pour une transition vers de faibles émissions de carbone, des villes plus compactes, économes en ressources et socialement justes (Déclaration de Vancouver de 1976, Conférence de Rio et Agenda 21 en 1992, Sommet d’Istanbul en 1996 et Habitat III à Quito en 2016). Les réseaux de villes (les 80 villes du C40 Cities Climate Leadership Group), les smart cities ou villes intelligentes, les écoquartiers, les slow cities ou encore les expériences d’agriculture urbaine témoignent d’une prise de conscience et proposent des évolutions dans les domaines des transports, de la gestion des déchets, des énergies, de l’eau et dans la construction, mais celles-ci laissent souvent de côté les questions d’équité et d’inclusion sociale.

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