Résumé

L’histoire de l’humanité est faite de mobilités permanentes, dont certaines sont encore mal connues. Leur nature est très variée, qu’elles soient volontaires ou forcées, à différentes échelles de temps et d’espace, et leur capacité de transformation des sociétés et des territoires est plus ou moins grande. Mais toutes amènent à réfuter les mythes de pureté et à accepter l’évidence d’une humanité métissée.

Le lent découpage territorial du monde en États-nations et les grands récits auxquels il a donné lieu ont occulté une histoire de l’humanité faite de mobilités permanentes sur de très longues distances. Le développement des recherches interdisciplinaires (archéologie, anthropologie, géohistoire, climatologie, génétique et biologie) et celui des outils (datation et séquençage des génomes) permettent peu à peu d’affiner des hypothèses et de commencer à dessiner le passé mobile des humains. Que les migrations soient volontaires ou contraintes, plus ou moins massives, sur des distances très variables, brusques ou progressives, impliquant de profondes transformations techniques, spatiales et sociales ou seulement des hybridations par contact, il existe une très grande variété de configurations dont beaucoup restent à découvrir.

Mieux connu à partir de l’Antiquité, le monde d’ espaces approximativement découpés est sillonné de routes maritimes et terrestres, ponctuées de nœuds de réseaux que sont les comptoirs et les villes-marchés. La circulation humaine véhicule des marchandises (sel, épices, soies, or, ivoire, ambre, fourrures, porcelaine), des biens immatériels (savoirs, savoir-faire et pratiques sociales), des langues et des religions nourrissant à l’infini les métissages. Selon les pays et les périodes, cet héritage migratoire est plus ou moins valorisé ou occulté dans la construction de l’ identité nationale, comme en témoignent sa place dans les programmes de recherche, son intégration dans les grands récits et sa mise en scène dans des lieux d’histoire et de mémoire.

Traites négrières

Durant plus de treize siècles, des migrations forcées d’une extrême violence ont prélevé les forces vives de l’Afrique. Du vii e au xx e siècle, la traite orientale contrôlée par les négriers musulmans aurait déporté 17 millions d’esclaves africains vers le Maghreb et le Moyen-Orient.

Traites négrières occidentale et orientale, VIIe-XIXe siècle

Sources : compilation d’après Olivier Pétré-Grenouilleau, La Traite des Noirs, Paris, PUF, coll. « Que sais-je ? », 1998 ; L’Argent de la traite. Milieu négrier, capitalisme et développement : un modèle, Paris, Aubier Histoires, 1998 ; Bernard Lugan, Atlas historique de l’Afrique, des origines à nos jours, Paris, Éditions du Rocher, 2001 ; L’Histoire, « La vérité sur l’esclavage », numéro spécial, octobre 2003 ; L’Histoire, 126, octobre 1989 ; Catherine Coquery-Vidrovitch, L’Afrique et les Africains au XIXe siècle. Mutations, révolutions, crises, Paris, Armand Colin, 1999 ; Joseph Ki-Zerbo, Histoire de l’Afrique noire, d’hier à demain, Paris, Hatier, 1994 ; Jean Sellier, Bertrand de Brun et Anne Le Fur, Atlas des peuples d’Amérique, Paris, La Découverte, 2005 ; Hubert Deschamps, Histoire de la traite des Noirs, de l’Antiquité à nos jours, Paris, Fayard, 1972.

Commentaire : Réalisée à partir de nombreuses sources, cette carte synthétise l’ensemble des déplacements forcés des Africains réduits en esclavage sur une longue période. Pour la traite atlantique vers les Amériques (intense pendant trois siècles, de mieux en mieux étudiée et connue), comme pour la traite orientale (vers le Maghreb et le Moyen-Orient, d’une durée beaucoup plus longue mais moins bien connue), cette carte montre l’organisation du réseau des ports, les principales zones de capture et les régions de destination. En revanche, ni les effectifs ni leurs évolutions dans le temps ne sont représentés.

La traite atlantique organisée par les négriers européens a déporté 12 millions d’hommes et, dans une moindre mesure, de femmes vers les Amériques entre le xv e et le xix e siècle. À ces deux traites s’ajoute une importante traite intra-africaine.

Beaucoup moins étudiée que le commerce triangulaire (rareté des archives et absence de mouvement abolitionniste), la traite orientale a joué un rôle important dans l’exploitation des richesses minières (le sel et l’or) et l’agriculture de plantation ou les travaux d’irrigation. La traite coloniale espagnole et portugaise des Amériques est une importation de main-d’œuvre organisée pour les besoins considérables de la production et la commercialisation des produits demandés par le marché européen (bois, sucre, café, cacao, tabac, argent et or). Les très nombreuses archives montrent son organisation, le rôle des différents acteurs (armateurs, négociants, planteurs, États – Portugal, Espagne, Angleterre, France) et son poids dans l’enrichissement européen. Le Brésil, les Antilles et le sud des États-Unis en portent l’héritage dans leur structuration sociale, spatiale et culturelle entre métissage, ségrégation et créolisation.

Durant la seconde moitié du xix e siècle et jusqu’en 1914, l’Europe connaît à la fois une très forte croissance démographique, une grande pauvreté, des crises économiques, des famines (1846-1848 en Irlande), des crises politiques et des flambées de violences antisémites en Europe centrale et en Russie.

Grande migration transatlantique, fin XIXe-début XXe siècle

Source : compilation des auteurs.

Commentaire : Réalisée à partir de la compilation de nombreuses sources, cette carte détaille une des grandes migrations mondiales. Entre la fin du XIXe siècle et le début du XXe siècle, des millions d'Européens venus de différents pays émigrent vers les Amériques. La proportionnalité des flèches donne l'importance relative des pays d'origine. La première destination sont les États-Unis, dont le point d’entrée est Ellis Island, mais ces migrants sont aussi nombreux vers le sud du Brésil et le nord de l’Argentine. Le diagramme précise leur part, très variable, dans la population des pays d’accueil.

Au total plus de 60 millions d’Européens émigrent, dont la majorité vers les Amériques, attirés par des politiques d’incitation des États en manque de main-d’œuvre, par la diminution des temps et coûts de transport, par les espoirs d’eldorado et par le mythe du self-made man.

L’État fédéral organise et contrôle les arrivées à partir du centre d’immigration d’Ellis Island à New York où les personnes candidates sont triées, examinées, interrogées et enregistrées (la base de données publique en compte 51 millions) puis envoyées vers les emplois urbains et ruraux sur tout le territoire (1 à 2 % de refus).

L’Europe terre d’immigration

La reconstruction de l’Europe ruinée par la guerre puis la croissance des Trente Glorieuses engendrent un fort appel à la main-d’œuvre étrangère. En France, l’introduction de « bons éléments d’immigration » est encadrée par les ordonnances de 1945 et par l’Office national de l’immigration qui recrute et contrôle individus, contrats et acheminements. La complexité de procédures rigides incite les employeurs au recrutement direct, notamment des « musulmans d’Algérie » (Français à part entière, libres de circuler depuis 1947), mais à partir du début de la guerre d’Algérie (1954), les recrutements sont réorientés vers l’Espagne et le Portugal. Une masse de travailleurs immigrés sans garantie durable, intégrés dans des circulations relativement fluides mais pas dans les sociétés, porte la croissance industrielle, occupant les emplois les plus mal rémunérés dans les mines, la métallurgie, l’industrie chimique et automobile, le bâtiment, vivant à la merci des marchands de sommeil en garnis, bidonvilles puis en foyers et cités de transit. En 1973, les étrangers sont 3 millions en France, 2,8 en République fédérale d’Allemagne et le Royaume-Uni compte 1,6 million de coloured people, mais le choc pétrolier et la crise économique marquent la fin de la fluidité.

Migrants vers la France, 1931-2012

Sources : Recensement de la population, 1931, Statistiques générales de France ; Recensement de la population, 1975 et 2012, INSEE, www.insee.fr

Commentaire : Construite à partir du dépouillement des recensements de la population française (pendant la période coloniale et après les indépendances), cette collection de cartes montre de façon précise l’évolution progressive des lieux de provenance des migrants, d’abord européens, puis issus de l’ex-empire et enfin du monde entier. La proportionnalité des points, dont l’échelle est commune aux trois cartes, ce qui permet la comparaison dans le temps, met en évidence le poids de chacune des nationalités

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