Résumé

L’augmentation du nombre de migrants, la diversification de leurs origines, de leurs profils et des causes de leur départ excluent toute explication simple. Les réseaux transnationaux des migrations de travail sont un moyen de lutte contre la pauvreté. Ils drainent des fonds largement supérieurs à ceux de l’aide au développement et sous-tendent le changement social et l’hybridation des sociétés.

En 2017, les migrants sont 258 millions dans le monde, soit 3,4 % de la population mondiale, ce qui représente une augmentation de 50 % depuis 2000. Par migrations, on entend tous les types de mouvements de population impliquant un changement du lieu de résidence, quelles qu’en soient la cause, la distance et la durée. En 2017, 65,3 millions de personnes ont quitté leur pays, dont 21,3 millions sont des réfugiés (parmi lesquels plus de la moitié a moins de 18 ans) contraints au départ par les conflits et les persécutions et protégés par le droit international. Ceux qui n’ont pu fuir au-delà des frontières sont considérés comme des déplacés, qui continuent à relever de la protection de leur État souverain. Quant aux migrants environnementaux, ils restent encore mal définis et peu protégés. Si les migrations de travailleurs internes aux États peuvent être massives comme en Chine, les migrations internationales de travailleurs sont les plus importantes. Qu’ils soient légaux ou clandestins, qualifiés ou non qualifiés, hommes, femmes ou jeunes, permanents ou pendulaires, ces migrants économiques dépendent de la législation de chaque État d’accueil.

Évolution des flux migratoires, 1960-2015

Source : Guy J. Abel, International Migration Review, “Estimates of Global Bilateral Migration Flows by Gender between 1960 and 2015”, 2017.

Commentaire : Ce diagramme présente plus d’un demi-siècle de flux migratoires, par grandes régions de départ, en identifiant les départs vers d’autres pays de la région ou vers d’autres régions du monde. Le pas de temps de cinq années permet de voir l’irrégularité des courbes, témoignant de la soudaineté et de l’importance de certains mouvements (crises politiques, économiques, conflits). En Afrique, Europe et ex-URSS, les flux intra-régionaux sont plus importants ou proches du nombre des départs hors de la région. En Amérique latine et Caraïbes et en Amérique du Nord, les départs hors de la région sont largement dominants et dans une moindre mesure en Asie du Sud-Est. Le sous-continent indien et le Moyen-Orient (bien qu’avec des effectifs très différents) montrent une rupture spectaculaire, vers l’extérieur de la région à partir de 1990 pour la première et au contraire vers l’intérieur de la région à partir de 2000 pour la seconde.

Contrairement aux idées reçues, les migrations Sud/Sud sont légèrement supérieures aux migrations Sud / Nord (plus de 85 % des migrations africaines sont intracontinentales) et de grands ensembles migratoires structurent les flux de l’Amérique du Sud vers l’Amérique du Nord, de l’Asie de l’Ouest vers les pays du Golfe et du monde entier vers l’Europe, fondés sur des liens anciens (ex- colonies, diaspora, langue, etc.), la proximité spatiale et/ou un besoin de main-d’œuvre.

Flux de migrants entre 2010 et 2015

Source : Guy J. Abel, International Migration Review, « Estimates of Global Bilateral Migration Flows by Gender between 1960 and 2015 », 2017.

Commentaire : Bien que les données soient regroupées par grandes régions (sauf trois pays qui ont été isolés : Syrie, Inde et Mexique), cette carte montre à quel point la circulation des individus, au cours des cinq dernières années, est un phénomène généralisé, et ce, malgré les obstacles qu’ils peuvent rencontrer. L’Amérique du Nord se caractérise par des flux très importants, venant du monde, tout comme l’Europe, mais qui connaît aussi des départs vers le monde et de fortes migrations internes. La principale destination des Africains reste l’Europe, mais les mouvement internes équivalent les départs vers les autres régions. Les flux d’Amérique du Sud, des Caraïbes et du Mexique convergent vers les États-Unis, ceux du sous-continent indien et de l’Inde vers les pays du Golfe et la fuite massive de Syriens concerne d’abord le Moyen-Orient.

Migrations de travail

Si la décision de migrer reste individuelle, elle s’inscrit dans le contexte mondial des inégalités économiques croissantes d’une économie de marché mondialisée, des déséquilibres démographiques, du mal- développement et des crises politiques des États postcoloniaux. La combinaison de ces facteurs alimente en permanence le désir et le besoin de migration des individus vers un ailleurs où un avenir pourrait être construit. En s’agrégeant, ces choix individuels coûteux et dangereux constituent ou renforcent des filières familiales, villageoises ou communautaires.

Palliatif aux échecs du développement, les remises des migrants vers leurs pays d’origine sont le fruit d’une épargne méthodique qui représente un volume trois fois supérieur à l’ aide publique au développement.

Remises des migrants vers leur pays d’origine, 2016

Source : Banque mondiale, https://data.worldbank.org 

Commentaire : Transnationales et échappant en partie aux circuits réguliers de transferts d’argent pour éviter les coûts de transaction élevés, les remises des migrants restent encore difficiles à évaluer. La Banque mondiale publie annuellement une série de données sur les envois des migrants et des diasporas de deuxième génération. La carte, en comparant les remises perçues et leur part dans le PIB, met en évidence leur importance vitale dans les pays les plus pauvres.

À travers ces réseaux transnationaux familiaux, économiques et culturels, circulent à la fois les subsides nécessaires à ceux qui restent pour se nourrir, se soigner et scolariser les enfants et des savoirs et savoir-faire porteurs de profonds changements sociaux. Passeurs et bâtisseurs, les migrants prennent en charge collectivement la création des équipements de base que les États n’assurent pas. Pour autant, le développement ainsi amorcé n’implique pas la diminution des flux migratoires mais, au contraire, stimule les mobilités, notamment des plus qualifiés.

Contingentement ou gouvernance ?

Phénomène transnational massif reliant lieux et sociétés, les migrations économiques sont au cœur des tensions entre les logiques de fluidité d’acteurs non étatiques et les rigidités des souverainetés étatiques territoriales. Alors qu’aucun des facteurs de mobilité ne tend à s’atténuer, les réponses des États du Nord prônent toutes la restriction de ces flux. Le contingentement qu’ils organisent crée cependant plus de problèmes qu’il n’en résout. Refus de visas, murs, gardes-côtes, fermeture des ports et camps de rétention signifient la fin des circulations et parachèvent le processus, amorcé au cours des années 1970, de territorialisation de migrants précaires dans des sociétés qui les avaient pensés comme de passage. Cette clôture spatiale a non seulement posé la question de l’ intégration mais aussi suscité l’afflux de clandestins et la création d’une économie mafieuse de trafic de personnes. Les coûts considérables de contrôles n’ont pas fait sensiblement diminuer les flux, tout au plus ont-ils changé de trajectoires, et les migrants prennent toujours plus de risques pour tenter d’améliorer leur sort et celui de leur famille. La priorité sécuritaire a ouvert un espace à la stigmatisation des acteurs engagés dans l’aide humanitaire en faveur des migrants sans répondre aux peurs (de perte d’emploi, d’ identité, de sécurité, etc.), cultivées et instrumentalisées par les populismes xénophobes, notamment à destination des populations les plus fragilisées par les crises économiques. La criminalisation des mobilités, doublée d’une ethnicisation et de phobies culturelles et religieuses, sape dangereusement les fondements démocratiques des pays d’accueil et bloque tout débat sur la mobilité, la transnationalité et l’ altérité.

Part des migrants dans la population des États, 2017

Source : Nations unies, division Population, Trends in International Migrant Stock: The 2017 Revision.

Commentaire : La base de données des Nations unies estime (à partir des données nationales et d’estimations calculées) le stock de migrants internationaux (population du pays née à l’étranger et, à défaut, population détenant une citoyenneté étrangère) présents dans chaque pays en 2017 rapporté à la population totale du pays à la même date. Ce nombre peut être sous-estimé, les nouveaux résidents au statut juridique incertain n’étant pas recensés. L’amplitude de la série montre la très grande variété de situations (de 0,1 % pour la Chine, le Vietnam, Cuba, l’Indonésie, Madagascar et Myanmar, à 88 % aux Émirats arabes unis).

Devant cette impasse, l’association de l’ensemble des acteurs publics et privés à l’échelle mondiale est indispensable pour la construction de mesures partagées d’accompagnement. Malgré une amélioration de la connaissance et de la quantification des migrations, l’émiettement perdure entre les initiatives des organisations internationales (Organisation internationale pour les migrations, Organisation internationale du travail, Banque mondiale, Office des Nations unies contre la drogue et le crime, etc.). Dix ans séparent le rapport du Secrétaire général de l’ONU de 2006, qui soulignait la nécessité de construire cette gouvernance, de la Déclaration de New York de 2016, qui a mis sur l’agenda l’adoption pour fin 2018 d’un Pacte mondial pour les migrations.

MobilitésMobilités d’hier en héritageMobilitésMigrations environnementalesretour en haut