Migrations environnementales
Inondations à Pathanamthitta, Kerala, Inde, août 2018
Crédit : AJP / Shutterstock
Inondations à Pathanamthitta, Kerala, Inde, août 2018.
Alors que les changements climatiques affectent la variabilité pluviométrique et rendent les saisons plus instables et imprévisibles, l’urbanisation croissante et chaotique associée à l'insuffisance de politiques publiques de prévention des catastrophes accentuent le risque d’inondations et de déplacements forcés.
Résumé
Il n’est plus contesté que les dégradations environnementales et climatiques ont des conséquences migratoires. La multicausalité des déplacements complique autant la qualification de la migration environnementale que la mise en œuvre d’instruments juridiques de protection. La repolitisation de ce type de migration est donc centrale pour pouvoir formuler des politiques publiques adaptées aux plus vulnérables.
En 2018, un rapport de la Banque mondiale estime qu’en raison du changement climatique, d’ici à 2050, plus de 143 millions de personnes pourraient être forcées à se déplacer à l’intérieur de leur pays en Afrique subsaharienne, Asie du Sud et Amérique latine. Cette étude fait écho à l’intérêt croissant, scientifique et politique, pour le lien entre migration et environnement. La multicausalité des déplacements de population complique néanmoins la qualification de la migration environnementale et la mise en œuvre d’instruments juridiques destinés à protéger les personnes déplacées à cause de l’environnement.
Projections de migrations climatiques internes, 2018-2050

Commentaire : Les migrations climatiques touchent d’abord les pays du Sud ou d’abord les plus pauvres et les plus vulnérables. Le rapport de la Banque mondiale qui sert de source à ce graphique se focalise sur l’Amérique latine, l’Afrique subsaharienne et le sous-continent indien. Selon ces prévisions, les déplacements forcés à l’intérieur de leur propre pays pour des raisons environnementales d’ici 2050 varient de 31 à 145 millions. Selon le scénario de référence, le plus pessimiste, l’Afrique subsaharienne sera la plus touchée avec plus de 3 % de la population des États, soit 71 millions de personnes.
Qualifier la migration environnementale
Les êtres humains se sont toujours déplacés pour des raisons environnementales : pour acquérir de meilleures terres agricoles, pour s’adapter à de nouvelles conditions climatiques ou pour fuir des désastres naturels, tels le tremblement de terre de Lisbonne en 1755 et le Dust Bowl aux États-Unis durant les années 1930. Ce n’est qu’au cours des années 1980, en parallèle de la politisation et de l’internationalisation des problèmes environnementaux et climatiques, que le débat sur les migrations environnementales s’est intensifié.
Deux écoles se sont opposées : les maximalistes porteurs d’un discours alarmiste annonçant des mouvements migratoires de masse en conséquence de l’aggravement des dégradations environnementales, et les minimalistes considérant l’environnement comme un facteur de migration parmi d’autres. Alors que les premiers, majoritairement spécialistes de l’environnement, annonçaient des millions de « réfugiés environnementaux », les plus sceptiques, principalement des experts des migrations, mettaient en garde contre la dépolitisation des causes de départ et la fragilisation du système de l’asile par l’utilisation de ce terme.
Aujourd’hui, les recherches ont pris en compte la complexité du phénomène pour exposer les changements récents liés à la multiplication d’événements climatiques extrêmes et aux causes structurelles plus profondes liées à l’urbanisation et aux inégalités socio-économiques. Elles montrent les multiples dimensions à considérer : la distance (les migrations environnementales sont bien plus souvent internes qu’internationales), la temporalité (s’agit-il d’un déplacement temporaire ou permanent ? résulte-t-il d’une dégradation lente ou d’un événement ponctuel ?), les conditions du déplacement (est-il forcé ? volontaire ? accompagné ? légal ?). D’où la définition de travail suivante, formulée par l’ Organisation internationale pour les migrations (OIM) : « Les personnes ou groupes de personnes qui, essentiellement pour des raisons liées à un changement environnemental soudain ou progressif influant négativement sur leur vie ou leurs conditions de vie, sont contraintes de quitter leur foyer habituel ou le quittent de leur propre initiative, temporairement ou définitivement, et qui, de ce fait, se déplacent à l’intérieur de leur pays ou en sortent. »
Enjeux de projection et de protection
S’il n’est plus contesté que les dégradations environnementales et climatiques ont des conséquences migratoires, la production de données précises reste délicate. Selon l’ OIM, les prévisions varient entre 25 millions et 1 milliard de migrants environnementaux d’ici à 2050, l’estimation la plus souvent citée étant de 200 millions. Le caractère multifactoriel, l’accès difficile à certaines régions et la dimension potentiellement temporaire de la migration ne facilitent pas le décompte des déplacements passés ni l’exercice de projection. Les données fiables concernent principalement les déplacements survenus à la suite de catastrophes naturelles : selon l’ IDMC (International Displacement Monitoring Centre), en moyenne depuis 2008, les désastres soudains ont provoqué 25,3 millions de déplacements par an.
Personnes déplacées à cause de catastrophes naturelles, 2008-2017

Populations déplacées, par type de catastrophes naturelles, 2008-2016

Commentaire : Cette carte montre des estimations du nombre de personnes déplacées par pays en raison de catastrophes naturelles entre 2008 et 2017. À l’exception des États-Unis et du Japon, les catastrophes naturelles causent nettement plus de déplacements dans les pays dits « du Sud » et en particulier en Asie : plus de 70 millions en dix ans en Chine, plus de 30 millions sur la même période en Inde et aux Philippines. Ces totaux par pays masquent néanmoins des géographies propres aux trois catastrophes les plus importantes (inondations, tempêtes et séismes).
Aux problèmes de projection s’ajoutent les questions de protection juridique. Alors que les États insulaires du Pacifique pourraient susciter l’apparition des premiers « apatrides du climat », aucun accord juridique international ne protège les droits des migrants environnementaux. Mais certains États ont accordé un droit d’asile temporaire aux victimes de catastrophes naturelles, divers instruments régionaux sur les droits humains contiennent des dispositions touchant aux déplacements environnementaux et l’ initiative Nansen a produit un Agenda de la protection pour les déplacements liés aux désastres, validé par 109 gouvernements.
Il n’existe donc pas de statut juridique officiel de protection du réfugié climatique. Certains travaux ont d’ailleurs démontré l’instrumentalisation politique d’une telle figure. Tout d’abord, les réfugiés climatiques ont été dépeints comme représentant une menace pour la sécurité des pays développés, dans le but d’alerter sur l’urgence climatique. En réponse à cette approche néomalthusienne, un deuxième discours, porté par des ONG et des pays en développement (PED) comme le Bangladesh, a revendiqué les droits fondamentaux de ces « premières victimes du climat ». Un troisième discours a transformé ce statut de victime passive en celui d’un entrepreneur résilient qui migre pour s’adapter. Bien qu’initialement soutenue par la communauté scientifique, cette dernière perspective a ensuite été critiquée comme justifiant des politiques de relocalisation et rejetant la responsabilité sur les plus pauvres. La repolitisation de la question des migrations environnementales est donc centrale pour pouvoir formuler des politiques publiques et créer des outils juridiques à même d’accompagner et de protéger les plus vulnérables.
- changement climatique > Changements climatiques
- L’ONU définit les changements climatiques comme « des changements de climat qui sont attribués directement ou indirectement à une activité humaine altérant la composition de l’atmosphère mondiale et qui viennent s’ajouter à la variabilité naturelle du climat observée au cours de périodes comparables » (Convention-cadre des Nations unies sur les changements climatiques [CCNUCC], 1992). L’expression est utilisée pour décrire le réchauffement global à la surface de la Terre dont l’ampleur et la rapidité sont sans précédent dans l’histoire de la planète, et qui est le résultat de l’augmentation des émissions anthropiques de gaz à effet de serre (principalement dioxyde de carbone ou CO2, mais aussi méthane, protoxyde d’azote, perfluorocarbones, hydrofluorocarbones et hexafluorure de soufre).
- environnement > Environnement
- L’environnement est entendu largement comme la biosphère dans laquelle les espèces vivantes cohabitent, tandis que l’écologie étudie les rapports entre ces organismes et leur environnement. L’environnement comprend des milieux naturels très différents allant des forêts vierges laissées intactes aux milieux artificialisés exploités et aménagés par l’être humain. Dans une définition restrictive, on entend par questions environnementales les enjeux se rapportant aux ressources naturelles (gestion, exploitation et dégradation) et à la biodiversité biologique (faune et flore). En tant que problème public transversal, l’environnement concerne les enjeux d’organisation des sociétés (modèles de production, transports, infrastructures, etc.) et leurs effets sur la santé humaine et des écosystèmes.
- migration environnementale > Migrant environnemental
- La migration environnementale rend compte des déplacements de populations, volontaires ou forcés, de courte durée ou permanents, sur des distances plus ou moins longues, en raison des conditions environnementales de départ (dégradations progressives, catastrophes naturelles soudaines, etc.). L’Organisation internationale pour les migrations définit les migrants environnementaux comme « les personnes ou groupes de personnes qui, essentiellement pour des raisons liées à un changement environnemental soudain ou progressif influant négativement sur leur vie ou leurs conditions de vie, sont contraints de quitter leur foyer habituel ou le quittent de leur propre initiative, temporairement ou définitivement, et qui, de ce fait, se déplacent à l’intérieur de leur pays ou en sortent ».
- personnes déplacées > Déplacés
- Selon l’Organisation internationale pour les migrations, le terme désigne les personnes ou groupes qui ont été forcés ou contraints à fuir ou quitter leur foyer ou leur lieu de résidence habituel, notamment en raison d’un conflit armé, de situations de violence généralisée, de violations des droits de l’homme ou de catastrophes naturelles ou provoquées par l’homme ou pour en éviter les effets, et qui n’ont pas franchi les frontières internationalement reconnues d’un État. En anglais IDPs (internally displaced persons).
- réfugiés > Réfugié
- Personne se trouvant à l’extérieur de son pays et à qui le pays dans lequel elle se trouve a reconnu le statut de réfugié tel que défini dans la Convention de Genève de 1951, qui accorde la protection et l’assistance du Haut-Commissariat des Nations unies pour les réfugiés (HCR) à toute personne « craignant avec raison d’être persécutée du fait de sa race, de sa religion, de sa nationalité, de son appartenance à un certain groupe social ou de ses opinions politiques, et qui se trouve hors du pays dont elle a la nationalité et qui ne peut ou, du fait de cette crainte, ne veut se réclamer de la protection de ce pays ». Ce terme ne doit pas être confondu avec celui de demandeur d’asile, correspondant aux personnes ayant fui leur pays et ayant déposé auprès des autorités du pays d’accueil ou du HCR une demande d’asile afin de bénéficier du statut de réfugié. Un réfugié a donc été demandeur d’asile mais tous les demandeurs d’asile ne voient pas leur demande acceptée (ces déboutés du droit d’asile doivent alors quitter le territoire).
- inégalités > Inégalité
- Répartition inégale des biens, matériels et/ou immatériels, considérés comme nécessaires ou désirables. Outre les inégalités de revenus (internes, internationales et mondiales), les inégalités, cumulatives, se mesurent également en matière d’accès aux services publics (accès à la santé, à l’éducation, à l’emploi, à un logement, à la justice, à une sécurité effective, etc.), à la propriété et plus largement aux ressources naturelles, ainsi qu’en matière d’expression politique ou de capacité de réaction face au risque écologique. Lorsque ces inégalités se fondent sur des critères prohibés par la loi, elles constituent des discriminations.
- catastrophes naturelles > Catastrophe naturelle
- Terme générique utilisé pour qualifier un événement météorologique, climatique ou géophysique ayant des conséquences sur les sociétés humaines (victimes, pertes économiques et dégâts matériels). La catastrophe dépend de l’événement déclencheur et du degré de vulnérabilité des sociétés. Le terme est utilisé pour décrire des phénomènes soudains (tremblement de terre, ouragan, tempête, etc.) et à évolution lente (sécheresse, désertification, acidification des océans, etc.). La qualification de catastrophe « naturelle » est souvent critiquée comme dissimulant les causes structurelles des crises et les responsabilités politiques engagées tant dans le déclenchement du désastre (mauvaise gestion des ressources, absence de politiques préventives, etc.) que dans les réponses apportées.
- droits humains > Droits de l’homme
- Corps de droits et devoirs fondamentaux inaliénables, imprescriptibles et universels, attachés à la personne humaine. Circonscrits aux seuls « droits naturels » (libertés fondamentales considérées comme consubstantielles à la nature humaine) aux xviie et xviiie siècles, les droits humains sont élargis pour inclure les droits civils, politiques, économiques, sociaux, culturels et environnementaux aux fondements de la liberté et de la dignité humaines. Les droits humains ont été constitutionnalisés dans la plupart des régimes démocratiques. Ils font également l’objet de nombreux textes de protection à l’échelle régionale et internationale.
- pays développés > Pays développé
- Lors de son discours d’investiture de 1949, le président des États-Unis Harry S. Truman dessine, dans son 4e point, les contours d’un programme d’aide aux « pays sous-développés ». Cette expression désigne l’ensemble des pays considérés comme « en retard » par rapport à ce qui devient désormais un modèle à atteindre : celui des pays développés, industrialisés, dont la croissance est alors plus forte et le niveau de vie plus élevé. Pays sous-développés, en voie de développement, ou en développement (selon l’évolution de la terminologie), pays développés, aucune expression ne vient modifier la perspective linéaire et évolutionniste de cette vision, ni nuancer le caractère homogénéisant et réifiant de ces ensembles.
- néomalthusienne > Néomalthusianisme
- L’approche néo-malthusienne postule que la planète Terre est un système fini dont les ressources naturelles sont limitées et mises en péril par la croissance démographique et économique (toutes deux corrélées). Elle s’inspire de Thomas Malthus qui, au XVIIIe siècle, a examiné la relation entre production agricole et croissance démographique, présageant des mécanismes autorégulateurs (guerres, famines, épidémies) pour retrouver l’équilibre. Les fondements empiriques (scénarios irréalistes), les bases théoriques (la croissance économique ne renforce pas la croissance démographique, bien au contraire) et les implications éthiques et politiques (politiques coercitives de contrôle des naissances, etc.) de ces théories ont fait l’objet de nombreuses critiques depuis leur réapparition au cours des années 1960.
- ONG > Organisation non gouvernementale
- L’usage de cette expression s’est développé à la suite de son insertion dans l’article 71 de la Charte des Nations unies. Il n’existe pas de statut juridique international des ONG, si bien que ce sigle désigne des acteurs très différents selon les discours et les pratiques. Il s’agit généralement d’associations constituées de manière durable par des particuliers en vue de réaliser des objectifs non lucratifs, souvent liés à des valeurs et des convictions (idéologiques, humanistes, écologiques, religieuses, etc.) et non des intérêts. Actives tant à l’échelle locale que mondiale, sur des thèmes divers, les ONG se comptent aujourd’hui par dizaines de milliers, mais sont d’importances très inégales en termes de budget, de personnel et de développement.
- résilient > Résilience
- Le concept de résilience revêt un grand nombre d’acceptions en fonction de la discipline concernée : en psychologie, il s’agit de la capacité d’un individu à s’adapter après un traumatisme ; en écologie, de la capacité des écosystèmes à faire face à un changement d’état, à reprendre leur état initial ou à maintenir leurs fonctions essentielles. Utilisée pour qualifier individus, communautés, États, ou encore systèmes économiques, la résilience est passée d’une notion descriptive à un instrument prescriptif pour orienter les politiques d’adaptation aux changements climatiques. Son utilisation a été critiquée car elle tend à perpétuer le système en place, plutôt que de le transformer, et à attribuer la responsabilité de l’adaptation aux individus plutôt qu’aux États responsables des changements climatiques.