Résumé

La multiplication et la durée des conflits et des crises politiques dans le monde suscitent des flux de plus en plus importants de personnes victimes de déplacements forcés (65,5 millions en 2016). La séparation juridique étanche entre misère économique et misère politique n’est plus fonctionnelle dans un monde d’échanges généralisés et d’inégalités croissantes. Ces deux types de misères et les violences qu’elles imposent se cumulent et se renforcent.

La révolution russe, la première guerre mondiale et le démembrement des empires ont engendré un flux de 5 millions de réfugiés vers l’Europe, pour lesquels la Société des Nations a créé l’Office international Nansen pour les réfugiés. Avec la seconde guerre mondiale, leur nombre a explosé (40 millions) et les Nations unies ont mis en place en 1950 une nouvelle organisation, le Haut-Commissariat des Nations unies pour les réfugiés (HCR) dont l’existence ne devait être que temporaire. Si les migrations économiques sont encadrées par le droit commun de chaque État, les réfugiés relèvent de la Convention de Genève (1951) qui définit, au côté des protocoles additionnels et des conventions régionales, leurs droits et les obligations des États signataires (asile, non-refoulement et aide au rapatriement librement consenti). Conçu pour des situations conjoncturelles, ajusté à des configurations plus complexes et pérennes et élargi aux déplacés internes, le dispositif multilatéral qui a aidé plus de 50 millions de personnes reste cependant imparfait et trop peu contraignant pour les États.

Réfugiés et demandeurs d’asile, situation fin 2016

Sources : UNHCR (Haut-Commissariat des Nations unies pour les réfugiés) ; UNRWA (Office de secours et de travaux des Nations unies pour les réfugiés de Palestine dans le Proche-Orient).

Commentaire : Réalisée à partir des données du Haut-Commissariat des Nations unies pour les réfugiés, la carte présente des flèches qui ne sont pas des flux de réfugiés au cours de l’année 2016 mais plutôt une photographie des effectifs (stocks) selon leurs pays d’origine et d’arrivée jusqu’en 2016. La géographie de ces déplacements montre le lien étroit avec les conflits, ainsi qu’avec les crises économiques, sociales et environnementales. Les déplacements les plus massifs proviennent du Moyen-Orient (principalement la Syrie), de l’Afrique subsaharienne (principalement la région des Grands Lacs) et d’Afghanistan.

D’abord des Européens déracinés par la seconde guerre mondiale, puis des individus fuyant le communisme ou bien des victimes d’une crise politique localisée (partition Inde/Pakistan/Bangladesh), les réfugiés sont aujourd’hui de tous statuts sociaux et proviennent de régions du monde très diverses. La multiplication et la durée des conflits et des crises politiques dans le monde engendrent des flux de plus en plus importants, avec un record historique en 2016 de 65,5 millions de personnes victimes de déplacements forcés pour cause de conflit, de persécution et violation de leurs droits (33,9 en 1997). Parmi eux 22,5 millions sont des réfugiés (pour 50 % des mineurs de moins de 18 ans) dont la moitié provient de Syrie, d’Afghanistan et du Soudan du Sud. Contrairement aux idées reçues, une majorité (56 %) trouve refuge en Afrique et au Moyen-Orient.

Réfugiés et demandeurs d’asile, 1960-2016

Source : UNHCR, http://popstats.unhcr.org 

Commentaire : Réalisée à partir des données du Haut-Commissariat des Nations unies pour les réfugiés, cette collection de courbes sur l’origine des réfugiés et demandeurs d’asile, pour les pays qui en comptent le plus durant les 50 dernières années, montre de grandes différences d’amplitude et de rythme. Des conflits qui se poursuivent sur plusieurs générations nourrissent des flux de départs très importants et constants (Afghanistan), alors que des mouvements massifs mais spasmodiques caractérisent les conflits plus récents (Rwanda, Irak, Syrie, Soudan du Sud).

Le nombre, la violence et la soudaineté de ces mouvements nécessitent des interventions d’urgence où s’articulent avec difficulté des situations et logiques locales, régionales et internationales et les motivations et actions d’acteurs de types très différents, qu’il s’agisse des organisations internationales (Haut-Commissariat pour les réfugiés et Organisation internationale pour les migrations principalement), des ONG, des États, des entrepreneurs politiques, des sociétés civiles et des mafias.

Méditerranée

Au cours de voyages par étapes, longs, périlleux et souvent mortels, migrants et demandeurs d’asile utilisent les mêmes routes et moyens de transport.

Migrants morts et disparus, janvier 2014 - mars 2018

Source : Organisation internationale pour les migrations (OIM), Missing Migrants Project, https://missingmigrants.iom.int 

Commentaire : Développé depuis octobre 2013 par l’Organisation internationale pour les migrations, le projet Missing Migrants comptabilise les décès et disparitions aux frontières extérieures des États ou le long des routes migratoires dans le monde (accidents, naufrages, attaques, problèmes médicaux…) quel que soit le statut juridique des personnes. L’organisation internationale rassemble, croise et vérifie des informations issues de sources diverses : des États (gardes-côtes, légistes), des ONG, de la Croix-Rouge et du Croissant-Rouge, de l’Agence des Nations unies pour les réfugiés (HCR) ou des médias.

La Méditerranée, espace multiséculaire de circulation et d’échanges, est aujourd’hui celui de la rencontre dramatique des crises sociales, économiques et politiques qui affectent le Maghreb, les Balkans et le Proche-Orient. D’après l’Organisation internationale pour les migrations, au cours de l’année 2016, 345 831 migrants sont arrivés en Europe par la mer et 4 757 noyés ont été recensés, en 2017 on compte 164 779 arrivées et plus de 3 000 morts. Depuis la fermeture de la route des Balkans en 2016, les ports italiens sont devenus les principaux points d’entrée (plus de 70 % en 2017). Face à l’urgence humanitaire diversement médiatisée, les ONG et les sociétés civiles se sont mobilisées. L’Union européenne, quant à elle, tente de renforcer sa politique migratoire peu efficace, mal coordonnée, focalisée sur le contrôle de sesfrontières extérieures, en externalisant les tris dans les pays de départ.

« Crise des réfugiés »

La séparation juridique étanche entre misère économique et misère politique à laquelle s’accrochent les États inquiets, autant pour des questions de souveraineté que de politique intérieure, n’est plus fonctionnelle dans un monde d’échanges généralisés, d’ inégalités croissantes et d’institutions étatiques en crise.

Migrants morts et disparus par régions, 2014 - mars 2018

Source : OIM, Missing Migrants Project, https://missingmigrants.iom.int 

Commentaire : La base de données de l’Organisation internationale pour les migrations (Missing Migrants) comptabilise les décès et disparitions aux frontières extérieures des États ou le long des routes migratoires dans le monde (accidents, naufrages, attaques, problèmes médicaux...). Cette collection de diagrammes par régions montre la place particulière de la Méditerranée qui totalise 60 % du total mondial recensé, avec plus de 3 000 morts par an pendant la période et un record de plus de 5 000 en 2016. Viennent ensuite l’Afrique et la frontière entre le Mexique et les États-Unis.

Ces deux violences participent de la même histoire, s’entretiennent et se renforcent mutuellement. Le tri et l’abandon des individus à l’économie mafieuse, à l’exploitation, au vol et au viol, les murs et les politiques répressives sont une violence sociale à courte vue qui générera d’autres violences, dans les sociétés de départ comme dans les sociétés d’arrivée. Les expressions communes de « crise des réfugiés » et « crise migratoire » masquent une crise humanitaire sans précédent qui est aussi une crise morale des démocraties et une crise conceptuelle et politique de la communauté internationale. Les États et leurs différentes constructions interétatiques ne peuvent plus échapper à l’urgence de la construction collective d’une gouvernance des mobilités. Les ONG et des organisations internationales prônent une vision où les migrations ne seraient plus vues comme un fléau ou une menace mais comme un bénéfice pour les migrants comme pour les sociétés d’accueil, et contribuent aux consultations qui devraient aboutir en décembre 2018 à la signature du Pacte mondial pour des migrations sûres, ordonnées et régulières.

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