Résumé

Plus de 40 millions de personnes en 2017 sont des déplacés internes, exilés dans leur propre pays pour se protéger de violences ou de persécutions. Dans un continuum de misère, d’errance et de camps, les retours ne sont possibles qu’avec la reconstruction d’un minimum de sécurité humaine, sans laquelle les déplacés internes ne tarderont pas à devenir de futurs migrants ou réfugiés.

Exilés dans leur propre pays, les déplacés internes sont des civils – en majorité des femmes et des enfants – contraints de fuir leur lieu de vie pour tenter de se protéger de violences ou de persécutions. Cette catégorie exclut aujourd’hui les victimes des catastrophes naturelles mais dont la protection est en débat notamment depuis l’initiative Nansen de 2012.

Évolution des réfugiés et déplacés internes, 1990-2016

Sources : IDMC, www.internal-displacement.org ; UNHCR, www.unhcr.org  

Commentaire : En croisant les données du Haut-Commissariat pour les réfugiés de l’ONU et de l’ONG IDMC (Internal Displacement Monitoring Centre) – qui surveille et agrège pour l’ONU les données des déplacements internes provoqués par les conflits –, on peut voir que depuis la fin de la guerre froide, le nombre de déplacés internes (qui ne sont pas protégés par le droit international) est toujours supérieur à celui des réfugiés, jusqu’à atteindre plus du double aujourd’hui.

Majorité invisible pas ou peu protégée

En 2017, 40,3 millions de personnes sont déplacées à l’intérieur de leur pays du fait de conflits, soit 62 % du nombre total de personnes déplacées dans le monde, et 26 millions du fait de catastrophes, soit 500 000 de moins qu’en 2015. Il n’existe pas d’instrument universel juridiquement contraignant pour les déplacés, qui ne peuvent bénéficier de l’assistance (hébergement et aide alimentaire) et de la protection (contre les abus et les retours forcés) auxquelles les réfugiés ont droit selon la Convention de 1951 (dont l’application dans les faits est déjà problématique). Ils dépendent donc de leur État – généralement miné par des conflits internes intenses, récurrents et durables – où leurs droits sont systématiquement violés : attaques, mauvais traitements, viols et violences sexuelles, destruction des biens, impossibilité d’accéder aux services de base, etc. En 1998, la Commission des droits de l’homme des Nations unies a adopté des principes directeurs non contraignants et rappelé le droit international des droits de l’homme et le droit international humanitaire dont la violation est aux sources des déplacements. En 2005, une approche dite sectorielle a été mise en place pour plus de cohérence entre les parties prenantes dans l’action, et le Haut-Commissariat des Nations unies pour les réfugiés (HCR) a été chargé de veiller à la protection, l’hébergement, la coordination et la gestion de tous les camps de déplacés.

Déplacés internes, 2016

Source : IDMC, www.internal-displacement.org  

L’angle mort juridique dans lequel se trouvent les déplacés a des conséquences sur le caractère tardif et incomplet de la collecte de données fiables, rendue déjà complexe par la multicausalité et le caractère cumulatif et itératif des déplacements. Centrées sur les crises, les données ne disent rien sur les déplacés très anciens et sur les situations plus discrètes mais récurrentes de violations des droits, d’expulsions forcées, de concurrence pour les ressources minières et foncières, etc. Seuls des programmes de recherche, des financements importants et une volonté politique permettraient au HCR, à l’Organisation internationale pour les migrations (OIM), au Comité international de la Croix-Rouge et à l’ Internal Displacement Monitoring Centre (IDMC, ONG spécialisée fondée en 1998) de les améliorer.

Évolution des déplacés internes, 1993-2016

Source : UNHCR, http://popstats.unhcr.org 

Commentaire : Construit avec les données du HCR, ce diagramme montre les volumes et l’évolution dans le temps du nombre des déplacés internes dans quelques pays en conflit. L’irrégularité des courbes met en évidence le caractère spasmodique de la violence, obligeant des masses de civils à fuir hors des lieux de combats. Le tri selon les pics de déplacements montre qu’au cours de la période la plus récente, quatre États concentrent plus de la moitié des déplacés dans le monde : Syrie, Colombie, Irak et Soudan.

Afrique et Moyen-Orient

L’Afrique et le Moyen-Orient concentrent plus de la moitié des déplacés dans le monde, soit 59,3 % en 2009 et 62,7 % en 2016, avec 12,6 millions pour chacune des deux régions. Si la violence des conflits au Moyen-Orient a entraîné un triplement des déplacés pendant la période, l’Afrique compte toujours les effectifs les plus élevés. Dans le prolongement des travaux de l’Union africaine (UA) et de l’ONU sur la région des Grands Lacs à la fin des années 1990, l’ampleur, la durée et le caractère cyclique des déplacements ont poussé l’UA et les États à établir en 2009 la Convention de Kampala, sur la protection et l’assistance aux personnes déplacées sur le continent. Ce texte, sans précédent dans le monde, précis sur les causes des déplacements, cherche à combler les vides du droit international, à contraindre les États à l’intégrer dans le droit national et à établir des ponts parmi l’ensemble des acteurs internes et internationaux et les politiques de développement. Signée en 2017 par 40 États sur 56, son application se heurte néanmoins à de nombreux obstacles et ne semble guère produire d’effets, ce dont témoignent les ONG engagées sur le terrain.

Mixité des flux et continuum des mobilités

Les camps de réfugiés et de déplacés sont un des symptômes à la fois de la faillite des institutions étatiques, des nouvelles formes de conflits, de la désintégration et de l’exclusion sociales et des inégalités internationales.

Lieux de passage devenus lieux d’ancrage et de pérennisation du précaire, ils sont une caractéristique majeure du monde contemporain. Leur nombre – difficile à préciser mais qui se compte par milliers –, leur durée (par exemple le camp de Somaliens de Dadaab au Kenya existe depuis les années 1990) et les conditions dans lesquelles y vivent leurs habitants focalisent les regards sur le problème humanitaire, voire sécuritaire et même écologique qu’ils soulèvent alors qu’il faudrait élargir la réflexion à l’ensemble des mobilités et des questions de développement. Le non-raccordement des données sur les déplacements internes, les réfugiés et les migrants économiques ajouté à la difficulté à connaître les histoires individuelles très différentes occultent les relations fortes et complexes entre ces trois types de mobilités. Tous les flux migratoires sont mixtes, leur étude dans le temps montre que les déplacés sont probablement de futurs migrants ou futurs réfugiés et que les flux de retour dans des conditions qui n’assurent pas la sécurité des personnes susciteront de futurs déplacés. Cette errance des misères est en fait un continuum de mobilités dont l’occultation condamne par avance les illusions du contingentement. Seuls les objectifs de réduction de la pauvreté, de lutte contre la désintégration sociale et l’exclusion et de satisfaction des besoins élémentaires peuvent permettre de construire un espace mondial de protection et de promotion des mobilités associant l’ensemble des acteurs étatiques et locaux, les entités régionales, les organisations internationales, les ONG, les sociétés civiles et le secteur privé.

Lieux de passage devenus lieux d’ancrage et de pérennisation du précaire, ils sont une caractéristique majeure du monde contemporain. Leur nombre – difficile à préciser mais qui se compte par milliers –, leur durée (par exemple le camp de Somaliens de Dadaab au Kenya existe depuis les années 1990) et les conditions dans lesquelles y vivent leurs habitants focalisent les regards sur le problème humanitaire, voire sécuritaire et même écologique qu’ils soulèvent alors qu’il faudrait élargir la réflexion à l’ensemble des mobilités et des questions de développement. Le non-raccordement des données sur les déplacements internes, les réfugiés et les migrants économiques ajouté à la difficulté à connaître les histoires individuelles très différentes occultent les relations fortes et complexes entre ces trois types de mobilités. Tous les flux migratoires sont mixtes, leur étude dans le temps montre que les déplacés sont probablement de futurs migrants ou futurs réfugiés et que les flux de retour dans des conditions qui n’assurent pas la sécurité des personnes susciteront de futurs déplacés. Cette errance des misères est en fait un continuum de mobilités dont l’occultation condamne par avance les illusions du contingentement. Seuls les objectifs de réduction de la pauvreté, de lutte contre la désintégration sociale et l’exclusion et de satisfaction des besoins élémentaires peuvent permettre de construire un espace mondial de protection et de promotion des mobilités associant l’ensemble des acteurs étatiques et locaux, les entités régionales, les organisations internationales, les ONG, les sociétés civiles et le secteur privé.

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