Résumé

Après une période de recul au début du millénaire, le nombre de personnes sous-alimentées dans le monde augmente de nouveau et la famine est de retour ou menace de sévir dans les zones de conflit en Afrique. Pourtant, la quantité d’aliments produite est suffisante pour nourrir tous les habitants de la planète et l’obésité touche 13 % de la population adulte mondiale.

Le débat sur l’adéquation entre populations et ressources a été ouvert par Thomas Malthus au début du xix e siècle. Dans un tout autre contexte aujourd’hui, alors que la quantité d’aliments est suffisante pour nourrir tous les habitants de la planète, le nombre de personnes sous-alimentées, après une période de recul (900 millions en 2000, 777 millions en 2015), repart à la hausse (815 millions en 2016, soit 11 % de la population). En 2017, la famine est de retour dans les zones de conflits au Soudan du Sud et menace ailleurs en Afrique. Face à des projections qui évaluent à plus de 9 milliards la population en 2050, relever le défi alimentaire nécessite la prise en compte de toutes les formes de malnutrition, de tous les types d’acteurs et de la durabilité des systèmes de production alimentaire.

Sous-alimentation, 2014-2016

Source : FAO, www.fao.org 

Commentaire : Selon les estimations de la FAO et en considérant une moyenne sur trois ans (2014-2016), la prévalence de la sous-alimentation (dégradé de couleur) atteint 30 à 50 % de la population dans de nombreux pays africains où la disponibilité en produits alimentaires et la capacité à s’en procurer sont les plus faibles. Cette situation est aggravée par les conflits (qui expliquent l’absence de données pour la RDC, le Soudan, le Soudan du Sud et la Libye). Si l’on considère le nombre d’individus sous-alimentés (les carrés proportionnels), les effectifs importants se situent en Inde (194 millions) et en Chine (134 millions), même si leur part dans la population nationale n’est pas la plus élevée.

Les trois malnutritions

Trois types de malnutrition coexistent et pèsent différemment sur les sociétés. À la sous-nutrition calorique s’ajoutent une surnutrition calorique en forte augmentation et des carences en vitamines et minéraux qui perdurent. Cette « faim cachée » a concerné 2 milliards de personnes en 2015, principalement en Afrique subsaharienne, en Asie du Sud et de l’Est et chez les plus pauvres des pays riches.

Surpoids et sous-poids, 2014

Sources : Organisation mondiale de la santé, www.who.int ; Nations unies, division Population, World Population Prospects : The 2017 Revision, www.un.org  

Commentaire : Ce nuage de points combine la part de la population en sous-poids (en abscisses) à celle en surpoids (en ordonnées) en 2014. Pour presque tous les États, la seconde est plus importante que la première. Les populations d’Amérique, d’Europe et d’autres États (dont l’Égypte et l’Iran) souffrent pour plus de la moitié de surpoids contre moins de 5 % de sous-poids. Celles d’Asie et de certains pays africains présentent une situation intermédiaire (20-30 % de surpoids et 5-15 % de sous-poids). Alors que celles du sous-continent indien présentent les plus forts taux de sous-poids (plus de 20 %, autant que le surpoids).

Les nouveaux modes de consommation et une moindre activité physique sont responsables d’un doublement de la prévalence de l’obésité (600 millions d’adultes soit 13 % de la population adulte mondiale). En 2014, 2,2 milliards de personnes en surpoids ou obèses sont exposées à la surmortalité due au diabète. Les plus pauvres cumulent toutes les malnutritions : dénutrition des enfants, obésité des adultes et des carences qualitatives pour tous. L’ insécurité alimentaire est un facteur de surmortalité, de violence et d’instabilité, surtout dans les sociétés à fortes inégalités et dans les États faibles. L’absence de nourriture ou d’accès à des aliments sains est autant un marqueur de pauvreté et d’injustice que de l’absence de politiques publiques de soutien aux agricultures vivrières, à la mise à disposition d’eau propre, aux services de santé et à l’information nutritionnelle, ce à quoi s’ajoutent les conséquences des conflits et du changement climatique.

Mondialisations agricole et alimentaire

Le modèle de modernisation agro-industrielle de la révolution verte des années 1970, initié par des multinationales et fondations étatsuniennes (mécanisation, semences hybrides, fertilisants et pesticides de l’ agriculture intensive), a permis l’augmentation des quantités produites et la lutte contre les famines mais s’est révélé destructeur pour l’ environnement et les sociétés.

Exportations de produits agricoles et alimentaires, 2016

Source : UN Comtrade, http://comtrade.un.org

Ce même modèle, renforcé par les innovations de l’industrie chimique et génétique et la concentration des entreprises, constitue la base d’un marché mondial des produits agricoles de plus en plus complexe et diversifié quant aux produits, acteurs et connexion entre des lieux. Si les sources statistiques renseignent sur les échanges entre États (à partir des barrières tarifaires et non tarifaires), elles ne disent pas grand-chose des circulations et interdépendances transnationales tout au long d’une chaîne de valeur longue et éclatée. La part des produits agricoles dans le commerce des marchandises a diminué de 20 % à 8 % en 50 ans, mais reste un enjeu économique, géopolitique, social et sécuritaire pour les États qui doivent composer avec les nombreux acteurs privés impliqués (investisseurs, semenciers, producteurs, transporteurs, armateurs, bourses, assureurs, distributeurs, publicitaires, etc.).

Investissements internationaux dans les terres agricoles, 2000-2015

Source : Land Matrix, http://landmatrix.org 

Commentaire : La source de cette carte est Land Matrix. Cette base de données est produite par un réseau mondial et indépendant de chercheurs, décideurs et citoyens qui répertorient les transactions foncières agricoles internationales à partir de multiples sources (recherche académique, organisations internationales, ONG, secteur privé, etc.). Les données varient rapidement (nouveaux contrats, échecs de transactions, etc.) et la base de données est constamment mise à jour. La carte montre donc un état cumulé sur 15 années : outre l’importance mondiale du phénomène, elle montre nettement la géographie des investisseurs (entreprises des pays du Nord, d’Asie et du Golfe) et celle des cibles d’investissements (Afrique, Amérique du Sud, Asie du Sud et Ukraine).

La géographie des flux montre l’émergence de nouveaux grands producteurs comme le Brésil, l’ampleur de la demande chinoise et l’importance des achats internationaux de terres. La hiérarchie des produits se modifie (diminution des céréales, augmentation des volailles et de la viande, explosion de l’huile de palme). Les agricultures vivrières (500 millions de petits agriculteurs dans le monde), sacrifiées par les politiques développementalistes et par le Consensus de Washington, restent encore en dehors de ces échanges.

Ce commerce irrigue une autre mondialisation, celle d’une alimentation industrielle faite de produits standardisés de masse, de médiocre qualité nutritionnelle et bon marché, que les firmes globales de l’agroalimentaire, de la grande distribution et de la restauration rapide fournissent à des consommateurs urbains, y compris dans les pays du Sud et au sein des groupes sociaux pauvres des pays du Nord.

Mieux s’alimenter

Enseignes de fast food mondialisées, 2014

Sources : The Economist, 2015 ; Nations unies, division Population, World Population Prospects : The 2017 Revision, www.un.org

Commentaire : Les grandes enseignes de restauration rapide contribuent à la mondialisation alimentaire (produits standardisés bon marché de médiocre qualité nutritionnelle) et à l’augmentation du nombre de personnes en surpoids et obèses. La répartition des près de 140 000 points de vente dans 148 pays en 2014, selon The Economist, est très inégale (taille des points). À l’image de l’histoire de leur expansion, la moitié se trouve aux États-Unis et de nombreux pays d’Afrique n’en comptent aucun. En rapportant ces chiffres à la population de chaque État (dégradé de couleur), on voit que l’offre par habitant est la plus élevée en Amérique du Nord, Australie et Europe, alors qu’en Chine, deuxième pays pour le nombre de points de vente, l’offre ne concerne qu’une partie marginale de la population.

Produits emballés, sodas, plats cuisinés, hamburgers, pizzas, sushis, kebabs, etc., avec ou sans adaptation locale des goûts, trop riches en sucres et en graisses, contribuent à l’augmentation du nombre de personnes en surpoids et obèses. Ce système alimentaire suscite à la fois une uniformisation (notamment avec une part plus importante de produits de l’élevage) et un métissage.

ONG, organisations internationales, réseaux de chercheurs et de médecins, associations de consommateurs et agriculteurs innovants opposent l’ agroécologie à l’agro-industrie. En produisant des rapports, des bases de données collaboratives, des campagnes éducatives, des actions de groupes et de boycott, ces acteurs promeuvent d’autres façons de se nourrir (agriculture bio, permaculture, flexitarisme, arrêt de la souffrance animale, circuits courts, agriculture urbaine, continuum urbain/rural, commerce équitable, coopératives de semences, labellisation, traçabilité, étiquetage des impacts environnementaux, etc.) et contribuent à l’émergence d’une approche plus intégrée des questions de sécurité humaine et de nutrition dans un espace glocal. Ils pointent aussi l’absence de régulation de marchés très spéculatifs, de contrôle de la recherche et développement agrochimique et biotechnologique, ainsi que des rapports ambigus entre le public et le privé. Tenus par leurs choix politiques, le poids des lobbys et des normes et des arbitrages privés, les États tardent à répondre à ces appels des sociétés civiles, d’autant que les instances de gouvernance sont multiples (diplomatie de clubs) et les organisations internationales éparpillées (FAO, PAM, FIDA, OMC, PNUD, CNUCED, UNEP).

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