Guerres de l’eau
En février 2013, le délégué égyptien déclare au Conseil de sécurité de l’ONU que « la sécheresse et la désertification croissantes aggravent définitivement les causes de conflit au Sahel. Le Moyen-Orient, l’autre région à laquelle l’Égypte appartient, est le lieu le plus pauvre en eau de la planète. Des études ont prédit que les futures guerres dans ces deux régions seraient des guerres de l’eau ». Pourtant, le concept de « guerre de l’eau » est controversé : en matière d’eau potable, la coopération est la règle, alors que le conflit militaire reste l’exception. La Commission internationale pour la protection du Rhin a par exemple été fondée dès 1950, avant l’adoption d’une série d’accords de coopération intergouvernementale à partir de 1963.
Au xx e siècle, seules sept guerres ont pu être directement corrélées à des questions hydriques alors que, durant la même période, 145 traités ont été signés sur ce sujet. Les ressources en eau font l’objet de conflits politiques mais ils ne conduisent que rarement à des actions militaires. Il importe néanmoins de comprendre les tensions politiques persistantes. Tout d’abord, elles dépendent des conditions matérielles dont les ressources en eau font l’objet : quantité (pénurie ou abondance), qualité (pollution, salinité, régularité des saisons, etc.), répartition (notamment entre pays riverains) et principaux usages (domestiques et industriels). Dans une approche néomalthusienne, la pénurie d’eau est analysée comme facteur indirect de conflits. Les travaux en écologie politique ont mis l’accent sur les relations de pouvoir et de dépendance pour comprendre les tensions hydriques, comme dans le cas du Nil.
Bien qu’en aval du fleuve, l’ hydro-hégémonie de l’Égypte réside dans son pouvoir régional et ses avantages historiques acquis en 1929 (accord avec l’Empire britannique) et 1959 (accord avec le Soudan). Elle résulte aussi de sa forte dépendance envers les eaux du fleuve (agriculture, énergie), qui incite le pays à y revendiquer des droits absolus. Elle est toutefois contestée par les pays en amont, notamment dans le cadre de l’ Initiative du Bassin du Nil mise en œuvre en 1999 et par le biais de la construction de barrages comme en Éthiopie.
Commentaire : Illustration classique des tensions politiques autour des ressources en eau potable, le bassin du Nil a fait l’objet de nombreuses recherches sur l’évolution historique des jeux de pouvoir et des relations d’interdépendance entre les États riverains. Les changements politiques dans cet ensemble (Égypte et Soudan notamment) tendent à reconfigurer en permanence les enjeux autour de la répartition des eaux. Cette carte qui synthétise plusieurs sources montre, entre l’amont et l’aval, le nombre de pays concernés (et donc l’importance des populations concernées), leur degré de dépendance au Nil (Égypte 97 % de la consommation totale en eau du pays, Soudan 77 %, Érythrée 55 %, etc.) et l’importance relative des barrages : plus de 10 existants, de capacités très différentes, et de nombreux projets en cours.
- néomalthusienne > Néomalthusianisme
- L’approche néo-malthusienne postule que la planète Terre est un système fini dont les ressources naturelles sont limitées et mises en péril par la croissance démographique et économique (toutes deux corrélées). Elle s’inspire de Thomas Malthus qui, au XVIIIe siècle, a examiné la relation entre production agricole et croissance démographique, présageant des mécanismes autorégulateurs (guerres, famines, épidémies) pour retrouver l’équilibre. Les fondements empiriques (scénarios irréalistes), les bases théoriques (la croissance économique ne renforce pas la croissance démographique, bien au contraire) et les implications éthiques et politiques (politiques coercitives de contrôle des naissances, etc.) de ces théories ont fait l’objet de nombreuses critiques depuis leur réapparition au cours des années 1960.
- conflits > Guerre
- Affrontement violent entre groupes armés sur des valeurs, des statuts, des pouvoirs ou des ressources rares, et dans lequel le but de chacun est de neutraliser, d’affaiblir ou d’éliminer ses adversaires. Cette violence armée collective organisée peut être le fait d’États (via leurs armées nationales) ou de groupes non étatiques ; elle peut opposer plusieurs États (guerre interétatique) ou se dérouler à l’intérieur d’un État (guerre civile). Progressivement codifiées et encadrées par le droit, les premières sont devenues rares, tandis que les secondes, aujourd’hui essentiellement causées par la défaillance institutionnelle des États, tendent à s’internationaliser, à perdurer (parfois des décennies) et à être extrêmement meurtrières, surtout pour les populations civiles.
- écologie politique > Écologie politique
- Branche des sciences sociales transdisciplinaire, à la croisée de la géographie humaine, de la sociologie et de la science politique. Aucune définition uniforme n’est proposée mais elle se caractérise par une approche critique et des thèmes touchant au lien entre environnement et société. Les travaux d’écologie politique s’attachent en particulier à démontrer les effets des relations de dépendance (droits de propriété, relations périphéries-centre, imbrication des échelles locales, nationales et internationales, etc.), de la construction sociale des vulnérabilités et des rapports de pouvoir dans la gestion, l’appropriation et l’exploitation de l’environnement, dénonçant l’inégale répartition des coûts environnementaux.
- hydro-hégémonie > Hydro-hégémonie
- L’hégémonie hydrologique qualifie la position dominante d’un acteur, principalement un État, sur des ressources en eau partagées. Les hégémons maintiennent l’asymétrie des relations entre États riverains grâce à des avantages relatifs dans trois domaines : position physique d’accès aux ressources (en amont et en aval), puissance (hard et soft power), et capacités matérielles à capter et conserver les ressources. C’est bien la combinaison des trois attributs qui permet l’hydro-hégémonie. Alors que la Thaïlande est un exemple d’hydro-hégémon situé en amont (bassin partagé avec le Vietnam), l’Inde (bassin partagé avec le Népal) et l’Afrique du Sud (bassin partagé avec le Lesotho) illustrent une hydro-hégémonie en aval.