Résumé

Invention européenne du XVII e siècle, l’État-nation s’est diffusé au monde entier au gré des vagues de colonisations et décolonisations ; sept individus sur dix dans le monde ont un passé colonial et les États dits faillis témoignent de la difficile généralisation du modèle européen de l’État-nation. D’anciens liens coloniaux perdurent sous différentes formes, nationalité et citoyenneté se recouvrent rarement et des peuples sont en attente d’État.

Grandes découvertes et premier partage du monde

Source : compilation des auteurs

Commentaire : Cette carte construite à partir de la compilation de plusieurs atlas historiques utilise une projection qui met en évidence l’espace atlantique où se situe la ligne de partage, arbitrée par la papauté, entre les deux puissances coloniales de la fin du xve siècle (les empires espagnol et portugais). Elle montre deux formes spatiales différentes : le réseau mondial des comptoirs portugais jusqu’à la Chine d’une part, et la logique territoriale andine des conquêtes espagnoles d’autre part.

Invention européenne du xvii e siècle, l’ État-nation est l’adéquation d’un territoire, d’une nation et d’un gouvernement. Colonisations et décolonisations ont diffusé ce modèle avec plus ou moins de succès à travers la planète. Sa version « à la française », où la nation est produite par l’État et où s’applique le droit du sol, se révèle souvent inadaptée aux États dotés de frontières découpées par les puissances coloniales. Sa version « à l’allemande », fondée sur le partage d’une culture « héréditaire » et sur le droit du sang, a provoqué épurations et massacres ethniques au xx e siècle. De fait, nationalité et citoyenneté se recouvrent rarement. Les rythmes et modalités de la diffusion du principe étatique varient selon les continents, les objectifs et les pratiques des colonisateurs et des colonisés. Dès le début du xix e siècle, l’Amérique latine est divisée en États indépendants territorialement stables.

Fins et traces d’empires

Avec ou sans guerre de décolonisation, les empires austro-hongrois et ottoman s’effondrent à l’issue de la première guerre mondiale, puis, durant la seconde moitié du xx e siècle, les empires coloniaux anglais, français et portugais subissent le même sort. Enfin, l’éclatement de l’URSS et de la Yougoslavie durant les années 1990 produit une vingtaine de nouveaux États. Au total, près de cent cinquante États sont issus de quatorze empires coloniaux ou multinationaux.

Colonies et indépendances africaines

Sources : F. W. Putzger, Historischer Weltatlas, Berlin, Cornelsen, 1995 ; J. Sellier, Atlas des peuples d’Afrique, Paris, La Découverte, 2011. D’après Afrique contemporaine, 235, 2010.

Commentaire : Cette collection de cartes montre l’histoire des découpages de l’Afrique de la fin du xixe siècle à nos jours. La première représente les premières concurrences coloniales juste avant la Conférence de Berlin (1885), durant laquelle les puissances européennes se partagent le continent ; la deuxième en montre le résultat territorial à la veille de la première guerre mondiale, issue en partie de l’aggravation de ces concurrences impériales ; la troisième illustre la fin du processus avec les décolonisations, plus ou moins violentes, depuis la fin des années 1950, dessinant la carte des États africains actuels.

Dans le monde, sept individus sur dix ont un passé colonial. D’anciens liens coloniaux perdurent et se manifestent sous différentes formes : partenariats publics, investissements directs étrangers, flux migratoires, minorités nationales, diasporas, diplomatie culturelle et linguistique, liens universitaires ou appui militaire ou policier. Ces coopérations peuvent être construites ou perçues comme de nouvelles formes d’allégeance impérialiste, voire d’ ingérence. Depuis les années 1980, les approches dites postcoloniales (postcolonial studies), initialement en provenance de pays anglophones et d’anciennes colonies britanniques, contestent l’ ethnocentrisme occidental, redonnent une place à l’histoire et à la culture des anciens pays colonisés, et réévaluent les conséquences culturelles du fait colonial (rencontre de l’ altérité, représentations croisées, hybridations, transculturalisme, etc.).

États « faillis » ?

Avec la fin de la bipolarité, le déclin du tiers-mondisme et les difficultés des États postcoloniaux apparaît la notion d’ État effondré (expression du politologue américain William Zartman en 1995) dont la Somalie est l’exemple. Au cours de la même période, la Banque mondiale en appelle à la bonne gouvernance dans les pays du Sud (dans son Rapport de 1997). Puis la notion d’ État failli désigne les États dans l’incapacité d’assurer le contrôle de leur territoire national, la mise en place et le suivi des services de base pour leurs populations (eau, éducation, santé, etc.) et leur protection vis-à-vis des ingérences extérieures.

À partir du 11 septembre 2001 cette notion devient de plus en plus instrumentale dans le cadre de la lutte contre le terrorisme que la faillite des États nourrirait. Face à cette menace pour la paix, l’ensemble des bailleurs de fonds et organisations internationales doivent agir pour les reconstruire (state building). Issues de l’expertise à destination des gouvernements conservateurs, ces notions ont été critiquées par de nombreux chercheurs en sciences sociales pour leur manque de clarté, leurs présupposés ethnocentrés et idéologiques et leur peu d’intérêt pour les pathologies sociales qui minent les pays concernés. The Failed States Index, conçu en 2005 par un think tank américain, combine 12 variables ayant trait à la société, à l’économie, à la politique afin de qualifier et classer les États dits fragiles, faillis (failed) ou défaillants (failing). Depuis, de nombreux autres index ont été proposés, plus complets mais qui n’échappent pas à la conception d’universalisation d’un modèle westphalien classique dont ces nouveaux États montrent justement la faillite. La mondialisation accélérée, l’augmentation des flux transnationaux, le rôle croissant des acteurs non étatiques, l’échec des politiques de développement et l’aggravation des inégalités condamnent l’échec de ces programmes et actions de reconstruction d’États dont les problèmes sociaux alimentent des conflits qui s’internationalisent.

L’Assemblée générale de l’ONU déclare en 1960 que tous les peuples ont le droit de déterminer librement leur statut politique et leur développement économique, social et culturel. Aujourd’hui, non seulement les processus de décolonisation ne sont pas terminés, mais encore de nombreux peuples ne se reconnaissent pas dans les États aux territoires issus des découpages coloniaux où leur altérité et leurs droits ne sont pas pris en compte. Les minorités (quantitatives ou qualitatives, selon la langue, l’ ethnie, la religion, etc.) sont très nombreuses dans le monde et de statuts très divers. La Déclaration des Nations unies sur les droits des peuples autochtones (2006-2007) réaffirme les principes et les droits, mais tarde à produire ses effets. Les peuples sans État tentent de s’organiser à l’échelle mondiale pour se faire entendre, notamment depuis 1991 au sein de l’ UNPO (Unrepresented Nations and Peoples Organization) qui affirme en 2017 regrouper 44 membres allant des peuples indigènes aux minorités, aux États non reconnus et aux territoires occupés.

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