Pays émergents
Réunion entre Barack Obama et les chefs d’État des BASIC (Brésil, Afrique du Sud, Inde et Chine) lors de la dernière journée de la COP 15 de Copenhague sur les changements climatiques, Danemark, 18 décembre 2009
Crédit : Pete Souza (Official White House Photo) / Domaine public
Réunion entre Barack Obama et les chefs d’État des BASIC (Brésil, Afrique du Sud, Inde et Chine) lors de la dernière journée de la COP 15 de Copenhague sur les changements climatiques, Danemark, 18 décembre 2009.
Alors que la COP 15 est présentée comme un moment décisif dans les négociations sur le changement climatique, les États parties ne parviennent pas à s’entendre. L’Accord de Copenhague négocié entre les États-Unis et les pays émergents réunis dans la coalition BASIC est présenté à l’issue de la COP mais n’est pas adopté par la Conférence. Il montre la tentation des émergents de négocier avec les plus puissants en excluant les plus nombreux (les pays dits du Sud). Néanmoins, rapidement après cette réunion, les BASIC ont pris soin de réinscrire leurs actions dans le cadre du G77 + Chine.
Résumé
Le terme émergent permet d’analyser l’insertion internationale de plusieurs pays ainsi qualifiés, qu’ils revendiquent ou refusent cette étiquette. S’ils ont en commun la contestation d’un ordre international qu’ils souhaitent plus juste et plus représentatif, les pays émergents diffèrent tant dans leurs trajectoires que dans leurs stratégies diplomatiques.
Initialement utilisé à la fin du xx e siècle par les acteurs financiers pour qualifier des marchés aux taux de rendement élevés malgré des investissements plus risqués, l’adjectif émergent a ensuite été repris dans les champs diplomatique et politique.
Une notion à géométrie variable
La qualification de pays émergents s’est appliquée aux pays invités aux sommets du G8 dans le cadre du processus de dialogue Heiligendamm (Chine, Mexique, Inde, Brésil, Afrique du Sud), aux États du G20 (dit financier) non membres du G8, aux participants à des clubs d’émergents tels que l’IBAS (Inde, Brésil, Afrique du Sud), créé en 2003, aux BRICS (Brésil, Russie, Inde, Chine, Afrique du Sud) se réunissant officiellement à partir de 2009 et, depuis 2013, aux MIKTA (Mexique, Indonésie, Corée du Sud, Turquie, Australie). Si le terme se diffuse, ses diverses occurrences ne permettent pas d’identifier clairement l’objet de cette émergence (marchés, économies, pays, puissances, États), ni même les critères permettant de les distinguer, et la comparaison des indicateurs sociaux-économiques ne fait pas apparaître de similitudes suffisamment fortes susceptibles de les distinguer. La géométrie variable de la notion est liée aux usages différents qu’en font ces acteurs : en 2001, l’acronyme BRIC inventé par Jim O’Neill de Goldman Sachs ne désigne qu’une addition d’économies prometteuses, tandis que depuis 2008-2009, BRIC (devenu BRICS en 2011 après l’entrée de l’Afrique du Sud dans le club) renvoie aussi à une initiative diplomatique collective.
Commentaire : Cette carte montre que la catégorie des pays dits « émergents » émane d’abord du monde de la finance : ici à travers les groupes d’analyse et de notation FTSE Russell et Standard & Poor’s ou la banque Morgan Stanley. Cette classification présente des recouvrements avec des organisations politiques (BRICS ou G20). Néanmoins, ces « émergents » ne présentent pas une géographie d’ensemble particulière, bien qu’ils soient peu nombreux en Afrique, ni de profil individuel particulier, des États-continents côtoient de petits États.
Plutôt que de partir à la recherche infructueuse d’une homogénéité statistique ou d’une hiérarchie fondée sur des indicateurs, mieux vaut s’interroger sur les stratégies d’insertion internationale des acteurs ainsi qualifiés, – qu’ils revendiquent ou contestent ce qualificatif – et d’analyser leurs discours et leurs pratiques.
Contester et réformer l’ordre international
L’insertion des pays émergents se caractérise par une contestation de l’ordre international actuel et par une revendication de réforme afin de le rendre « plus juste, plus équitable, plus démocratique et plus représentatif » ainsi que le proclame le paragraphe 2 de la Déclaration de Xiamen formulée par les dirigeants des BRICS en septembre 2017. En témoignent le refus de ces pays d’être marginalisés dans les processus de prises de décision (mobilisation du G20 (dit commercial) lors de la conférence ministérielle de l’OMC à Cancun, en 2003), la création de nouvelles institutions (établissement par les BRICS, en 2014, d’une institution financière internationale, la Nouvelle Banque de développement), l’élaboration de discours et de pratiques présentés comme des alternatives à ceux des pays du Nord et/ou occidentaux. Par exemple, la coopération Sud-Sud, décrite comme égalitaire, horizontale et reposant sur la réciprocité, se veut un renouvellement des pratiques d’ aide au développement tout en permettant aux émergents de s’insérer dans les débats sur la gouvernance globale de l’aide, comme le montrent Isaline Bergamaschi et Folashadé Soulé-Kohndou.
L’insertion internationale des pays émergents a des effets non linéaires, du blocage des négociations (à l’OMC par exemple) à des réformes modestes mais symboliques (réforme du système des voix au FMI), en passant par des coups diplomatiques (tentative de médiation turco-brésilienne sur le dossier nucléaire iranien en 2010).
Commentaire : Cette carte montre les quotes-parts des États au FMI : ce sont les voix dont ils disposent à chaque vote. Les États-Unis en possèdent le plus, ils détiennent aussi un droit de veto, devant le Japon et la Chine. La dernière réforme accorde plus de poids à des pays dits « émergents » (Chine, qui double sa part, Brésil, Mexique, Corée du Sud, Iran, Turquie, Colombie ou Pologne), alors que celui de ceux dits « anciennement industrialisés » baisse (États-Unis et Canada, Europe occidentale et du Nord, Japon).
Si elle est porteuse de changements, elle contribue aussi à la légitimation et à la reproduction de modes de fonctionnement et de hiérarchies héritées. Le comportement des BASIC à la COP15 à Copenhague, en 2009, dénoncé par le G77, relève de logiques proches de celles de la diplomatie de connivence étudiée par Bertrand Badie, tandis que l’organisation en clubs tend à exclure la société civile et à susciter sa contestation, comme le montrent les mobilisations du réseauBRICS from Below.
Pluralité des trajectoires et des stratégies diplomatiques
En dépit de convergences autour de certaines revendications et d’actions collectives de contestation, les pays émergents se distinguent les uns des autres par leurs trajectoires historiques, leurs régimes politiques, leurs systèmes sociaux, leurs caractéristiques démographiques, leurs choix économiques, leurs formes de capitalisme, leurs stratégies diplomatiques.
Commentaire : À travers l’évolution d’indicateurs économiques depuis 1980, ces graphiques montrent l’hétérogénéité des pays « émergents ». Ils présentent des évolutions de PIB très variables, la Chine la plus forte croissance. Lorsque leur PIB est ramené par habitant, tous les émergents possèdent des valeurs faibles (l’Inde et l’Indonésie surtout, mais aussi la Chine), hormis la Corée du Sud et l’Arabie Saoudite. Les inégalités internes de revenus sont élevées, souvent davantage que dans les pays « anciennement industrialisés ».
Ce constat incite à considérer les stratégies différenciées des pays émergents. Ainsi, le cas des clubs d’émergents montre que les États appartenant à un même club ne partagent pas nécessairement les mêmes objectifs (par exemple, la Chine et l’Inde à propos de la Nouvelle Banque de développement), qu’un État ne s’investit pas nécessairement de manière similaire dans les clubs auxquels il appartient (l’Inde dans l’IBSA ou les BRICS), que l’unité d’un club n’est pas toujours préservée dans d’autres arènes. La comparaison dans le temps permet aussi d’analyser combien les stratégies d’insertion diffèrent selon les dirigeants comme le soulignent les évolutions politiques et diplomatiques du Brésil au cours des dernières années.
- G8 > G7/G8
- Suite aux rencontres informelles du Library Group (composé des représentants des États-Unis, de la France, de la RFA, du Japon et du Royaume-Uni), le président français Valéry Giscard d’Estaing réunit les chefs de gouvernement de six États en 1975 (l’Italie est ajoutée à la liste). Devenu G7 (Canada) en 1976, puis G8 (Russie) en 1997, il est aujourd’hui revenu à une configuration à sept depuis la suspension de la Russie (en raison de ses positions en Crimée). D’abord essentiellement économique et financier, l’agenda du G7-G8 s’est ensuite élargi pour traiter de questions de sécurité, politiques et sociales. Ce club de grandes puissances paraît peu légitime et peu représentatif et ses sommets donnent régulièrement lieu à des manifestations.
- G20 (dit financier)
- Club composé des membres du G8, de 11 autres États développés (Corée du Sud, Australie) ou émergents (Afrique du Sud, Arabie Saoudite, Argentine, Brésil, Chine, Inde, Indonésie, Mexique, Turquie) et de l’Union européenne. Il se réunit au niveau des ministres des Finances et des gouverneurs des banques centrales depuis 1999, à la suite de nombreuses crises économiques. Devenu une rencontre au plus haut niveau (chefs d’État et de gouvernement) depuis 2008, il traite de questions financières, commerciales et de développement.
- puissances > Puissance
- Capacité d’un acteur politique à imposer sa volonté aux autres. Comparable à la notion de pouvoir à l’échelle interne, la puissance n’existe pas dans l’absolu mais s’inscrit dans la relation à l’autre puisqu’elle dépend des rapports de force et de la perception qu’en ont les acteurs. Pivot de l’approche réaliste des relations internationales, elle y est conçue dans un registre géostratégique (hard power fondé sur la contrainte et la coercition, notamment militaire). La vision transnationaliste en propose une interprétation plus diversifiée, intégrant des facteurs d’influence (soft power économique, culturel, etc., de Joseph Nye) et soulignant l’importance de maîtriser les différents registres de puissance, du hard au soft (« puissance structurelle » de Susan Strange).
- G20 (dit commercial)
- Il s’agit d’une coalition créée lors de la conférence ministérielle de l’OMC à Cancún en 2003. L’appellation G20 renvoie aux 20 États qui ont signé la proposition sur l’agriculture alternative à celle des États-Unis et de l’Union européenne le 2 septembre 2003 (Afrique du Sud, Argentine, Bolivie, Brésil, Chili, Chine, Colombie, Costa Rica, Cuba, Équateur, Guatemala, Inde, Mexique, Pakistan, Paraguay, Pérou, Philippines, Salvador, Thaïlande, Venezuela). Ce groupe, qui a pour leaders le Brésil et l’Inde, réunit des pays très variés en termes de trajectoires économiques et politiques mais également de stratégies diplomatiques et d’intérêts (y compris sur les questions agricoles).
- institutions > Institutions
- Le terme institution désigne des structures sociales (règles, normes, pratiques, actions, rôles) durables, organisées de façon stable et dépersonnalisée, qui participent à la régulation des rapports sociaux. Elle peut être formalisée dans des organisations (internationales ou non). L’institutionnalisme en science politique aborde les objets de l’analyse politique par une étude de leur fondement structurel et de leur modèle organisationnel plutôt que par la prise en compte de leur rapport à la société.
- institution financière internationale > Institutions financières internationales
- Nées de la conférence internationale de Bretton Woods en juillet 1944 qui prévoit la création du Fonds monétaire international (FMI) et de la Banque mondiale, elles participent de la logique libérale, œuvrent à garantir la stabilité monétaire par le respect des taux de change et à aider la reconstruction d’après-guerre. Le poids des États-Unis et des pays industrialisés est prépondérant dans le FMI et, à partir de 1982, la crise de la dette lui donne un rôle croissant. Il promeut des politiques d’ajustement structurel en Afrique et Amérique latine et dans les anciens pays communistes après 1989. Les crises économiques et/ou financières (années 1990 et 2000) les obligent à évoluer (États stables, non corrompus, capables de mener des politiques de lutte contre la pauvreté incluant des organisations de la société civile).
- Nord
- Voir Nord et Sud
- aide au développement > Aide publique au développement
- Dons et prêts accordés par les pays développés (aide bilatérale) et les institutions internationales (aide multilatérale) aux pays en développement et moins avancés : aide alimentaire, assistance technique, assistance militaire, remises de dette, etc. L’aide bilatérale (2/3 de l’aide mondiale) génère des liens de dépendance (obligation d’acheter biens et services aux entreprises du donateur). Mise en place durant la guerre froide et les décolonisations, elle a été utilisée pour créer ou maintenir des liens entre les États-Unis et l’URSS et leur bloc, les anciennes métropoles et leurs anciens empires. L’objectif de porter l’APD à 0,7 % du PIB des pays développés, fixé en 1970 par l’ONU, n’a, sauf exceptions, jamais été atteint. L’Union européenne est la première pourvoyeuse mondiale d’aide. L’aide multilatérale est conditionnée au respect de critères de « bonne gouvernance », économiques et politiques.
- gouvernance > Gouvernance
- Inspirée de la gestion et de l’entreprenariat, l’expression gouvernance globale renvoie aux institutions formelles et informelles, mécanismes et processus par lesquels s’établissent et se structurent les relations entre États, citoyens, marchés et organisations internationales et non gouvernementales à l’international. Le système de gouvernance globale tend à articuler les intérêts collectifs, à établir des droits et obligations, à arbitrer les différends et à déterminer les modes de régulation appropriés aux objets et acteurs concernés. La gouvernance prend différentes formes : gouvernance multilatérale universelle, gouvernance de club (réservée à certains membres comme le G7/8/20), gouvernance polycentrique (juxtaposition d’instruments de régulation et de gestion à différentes échelles), etc.
- négociations > Négociation
- Pratique destinée à obtenir un accord entre des acteurs publics ou privés pour satisfaire les intérêts matériels et symboliques des participants par des concessions mutuelles. Les négociations internationales constituent l’une des modalités de résolution pacifique des différends et peuvent se dérouler bilatéralement (entre deux acteurs) ou multilatéralement (trois acteurs ou plus). Elles débouchent souvent sur un document officiel (déclaration commune, accord de paix, traité commercial, convention internationale). Les négociations collectives désignent les négociations se déroulant au sein d’une entreprise entre l’employeur et les représentants du personnel (appartenant généralement aux organisations syndicales) concernant l’application du droit du travail.
- médiation > Médiation
- Mode de résolution pacifique des différends impliquant le recours à un intermédiaire, le médiateur, afin d’aider les parties en conflit à trouver une issue négociée par des concessions mutuelles. Le médiateur est censé intervenir avec impartialité et en toute indépendance. Réglementée sur le plan international par la Convention de La Haye (1907), la médiation s’est déployée dans le cadre de la Société des Nations (SDN) puis surtout de l’Organisation des Nations unies. La médiation est également pratiquée au sein des États démocratiques afin de résoudre des litiges mineurs (médiation familiale, culturelle, judiciaire, etc.).
- G77
- Le G77 est une coalition de plus de 130 États. Il se présente comme un groupe de « pays en développement ». La solidarité du G77 se cristallise lors des négociations de la première Conférence des Nations unies sur le commerce et le développement en 1964. Initialement mobilisé sur les thématiques du développement, le G77 est aujourd’hui également actif dans d’autres négociations, comme celles concernant le changement climatique par exemple.
- société civile > Société civile
- À l’échelle nationale, la société civile désigne une entité sociale distincte de l’État et dépassant les individus et les groupes qui la composent (classes sociales, catégories socioprofessionnelles, générations…). La notion de société civile mondiale est apparue au cours des années 1970 (John Burton, World Society) et désigne l’ensemble des relations sociales construites hors du contrôle de l’État sur la scène internationale par la mobilisation de ressortissants de tous les pays pour revendiquer des régulations infra ou supranationales. L’expression masque toutefois une grande diversité. La notion de société-monde apparaît pendant les années 1990 chez les géographes et désigne le processus le plus englobant de création d’un espace social à l’échelle de la planète.
- réseau > Réseau
- La géographie classique a toujours survalorisé les surfaces, les territoires, les pays et les terroirs, mais l’analyse des réseaux est maintenant placée au cœur de sa démarche. Ils sont définis comme un espace où la distance est discontinue, et composés de nœuds reliés par des lignes. Ils sont soit matériels (réseaux de transport de personnes, de biens ou d’énergie, câbles informatiques et autoroutes de l’information), soit immatériels. Partiellement dématérialisés (internet par exemple), ils sont le fait aussi bien d’individus que d’organisations. Les philosophes (Gilles Deleuze et Félix Guattari), les sociologues (Manuel Castells), les politistes (James Rosenau) et les économistes utilisent ce concept pour analyser les logiques réticulaires de fonctionnement des individus.
- régimes politiques > Régime politique
- Au sens courant du terme, la notion désigne les institutions politiques d’un État, tandis que celle de système politique, plus vaste, intègre les divers acteurs politiques et sociaux agissant en leur sein (partis politiques, syndicats, médias, associations, électeurs, etc.). Les nombreux critères de différenciation entre les régimes politiques varient selon les auteurs et les périodes, tendant à se démultiplier et à se sophistiquer (nombre des dirigeants, procédures de désignation des gouvernants, degré de séparation des pouvoirs entre législatif, exécutif et judiciaire, relations entre gouvernants et gouvernés, etc.).
- capitalisme > Capitalisme
- Système économique reposant sur la propriété privée des moyens de production et la liberté de marché (liberté d’entreprendre, libre-échange, libre concurrence, etc. ; les fondements du libéralisme). Dans ce système, les détenteurs du capital (distincts des employés qui forment la force de travail et qui, selon Marx, sont exploités) cherchent à maximiser leurs profits (accumulation du capital). Après avoir émergé avec la fin du féodalisme, il s’est imposé lors de la révolution industrielle. Aujourd’hui adopté dans tous les pays (sauf les pays communistes), ce système est multiforme, incluant toujours une intervention (plus ou moins grande) de l’État, comme régulateur (notamment dans le modèle rhénan ou d’économie sociale de marché des pays scandinaves) ou comme acteur et planificateur (Japon, Singapour, France, etc.).