Des ONG plurielles
Agent de santé communautaire (BRAC) dans un bidonville du Bangladesh, 2011
Crédit : Lucy Milmo / DFID / CC BY
Agent de santé communautaire (BRAC) dans un bidonville du Bangladesh, 2011.
Jeune femme agent de santé communautaire dans le bidonville de Korail à Dhaka au Bangladesh, le plus grand du pays, en 2011. Ce projet de santé communautaire est financé par la Fondation Gated et géré par l'ONG bangladaise BRAC. Au premier contact avec les populations elle est responsable de 2 000 ménages, répertorie et signale les femmes enceintes afin qu'elles soient conseillées, les accompagne à la cabane des naissances et participe à l'accouchement. Malgré une réduction de la mortalité maternelle celle-ci reste la première cause de mortalité féméinine dans le monde. ONG et Organisations internationales tentent de pallier aux carences des États.
Résumé
Il existe une large palette d’organisations non gouvernementales (ONG) aux degrés d’indépendance variés, suivant le contexte de leur création et les modalités de leur financement. Cette pluralité tend à se renforcer avec l’émergence de nouveaux acteurs de l’aide et du développement, qu’il s’agisse d’ONG issues des Suds ou d’acteurs situés à la croisée des secteurs marchand et non marchand.
Les ONG (organisations non gouvernementales) recouvrent une pluralité d’ acteurs, souvent associés à un engagement d’intérêt général dans les domaines de la solidarité internationale ou de la défense des droits. Elles se situeraient ainsi à l’avant-poste de la formation d’une société civile mondiale organisée, mobilisée pour des causes qui transcendent les frontières étatiques. Au-delà de cette représentation simplifiée, il faut observer la grande diversité des ONG et notamment celle de leurs degrés d’indépendance. La pluralité de leur action résulte aussi de l’émergence d’ONG du Sud et du brouillage de la frontière entre secteurs marchand et non marchand.
Pluralité et uniformisation des référents
Si les ONG se qualifient par leur indépendance à l’égard des gouvernements, la réalité est celle d’une variété de situations, liées à la fois à leurs thématiques d’intervention (droits humains, solidarité internationale et développement, urgence et conflits), aux contextes dans lesquels elles émergent (la reconnaissance de la liberté d’association et d’expression n’étant pas uniforme à l’échelle mondiale), et à leurs modes de coordination (indépendance à l’égard de leurs États d’origine) et de financement (donateurs individuels, entreprises ou fonds publics).
Différents acronymes ont été imaginés pour désigner les degrés variables d’indépendance des ONG. On peut ainsi citer la notion de GONGOs (government-organized non-governmental organizations, formées par des États pour promouvoir leurs intérêts, par exemple l’organisation russe World Without Nazism) ou celle de QUANGOs (quasi-autonomous non-governmental organisations, dont le financement lié à un acteur principal – public ou privé – met en doute l’autonomie ; plus de 60 % du budget de l’ONG étatsunienne CARE provient par exemple du gouvernement des États-Unis).
Cette diversité n’entrave pas une dynamique d’uniformisation des référents et modes d’action des ONG, liée d’une part à leur professionnalisation et d’autre part à leur besoin de reconnaissance et de financements. Les Nations unies participent de cette logique, notamment à travers les appels à projets lancés par le PNUD (Programme des Nations unies pour le développement) ou la réforme de l’action humanitaire de 2005, qui tendent à uniformiser les modèles d’ONG et domaines d’intervention susceptibles d’être reconnus. Les ONG sont demandeuses de l’aura légitimatrice que peut leur fournir la reconnaissance onusienne, comme en témoigne le nombre important d’entre elles ayant sollicité et obtenu un statut consultatif auprès du Conseil économique et social des Nations unies (4 862 ONG en 2017).
Émergence d’ONG des Suds
Parallèlement, on assiste à l’émergence d’ONG issues des Suds, capables de déployer des fonds et ressources humaines importants. Elles sont désormais des acteurs incontournables de l’ aide globale en dépit de leur moindre visibilité. Souvent constituées pour intervenir dans leur État d’origine, elles commencent à déployer leur activité vers d’autres terrains, modifiant ainsi la représentation conventionnelle d’organisations ancrées au Nord et intervenant dans les Suds.
Le cas de BRAC (Bangladesh Rural Advancement Committee) illustre cette dynamique. Fondée à Dhaka en 1972, l’ONG compte plus de 125 000 salariés et un budget annuel dépassant 680 millions de dollars, essentiellement alimenté par des micro-entreprises plutôt que par des fonds publics. Initialement focalisée sur la mise en œuvre de programmes de santé publique et d’éducation dans les zones rurales du Bangladesh, elle intervient désormais en Afghanistan et dans plusieurs pays d’Afrique où elle devient un acteur clé.
Commentaire : L’ONG bangladaise BRAC est ancienne (créée en 1972) et l’une des plus importantes (près de 100 000 employés). Longtemps spécialisée sur le microcrédit – l’attribution de prêts de faibles montants à des individus qui ne peuvent accéder aux prêts bancaires classiques – au Bangladesh – où les encours s’élèvent à 1,6 milliard de dollars en 2016 –, ses programmes portent aussi sur la santé, l’éducation et l’assistance aux victimes de catastrophes et se sont internationalisés ces dernières années en Afrique et en Asie.
Il faut enfin souligner la superposition croissante entre acteurs des secteurs marchand et non marchand, renouvelant les modes d’action et de financement des ONG tout en compliquant la lecture de leurs degrés d’indépendance.
D’une part, l’émergence de grandes fondations telles que la fondation Bill & Melinda Gates, dotée d’un capital de 43,5 milliards de dollars, est devenue un paramètre incontournable du financement des ONG. La fondation Gates consacre ainsi à la lutte contre le paludisme et le VIH un budget supérieur à celui de l’Organisation mondiale de la santé (OMS), une partie de ces fonds étant reversés à des ONG de terrain. Les intérêts de l’entreprise et les actions financées par la fondation (par exemple la distribution de logiciels dans le cadre de ses programmes éducatifs) se superposent parfois, illustrant la confusion entre les deux mondes, de même que les méthodes managériales qui gouvernent l’action de la fondation et celle de ses partenaires.
Commentaire : Avec un budget annuel supérieur à 4 milliards de dollars, la Fondation Bill & Melinda Gates « pèse » autant que des organisations internationales massives telles que l’Organisation mondiale pour la santé (OMS) ou le Programme des Nations unies pour le développement (PNUD). Bien que le siège de la fondation soit localisé à Seattle, elle s’organise autour d’un réseau mondial de bureaux, les programmes portant sur les multiples volets du développement (éducation, santé, finance, agriculture, sanitaire, etc.) dans les pays dits « en développement ».
D’autre part, l’action même des ONG se situe parfois au carrefour des deux secteurs, à travers par exemple le financement d’actions de développement directement inspirées du secteur privé. C’est notamment le cas des micro-entreprises et des systèmes de microfinance, qui fournissent 75 % du budget d’une ONG comme BRAC. Les ONG qui interviennent à la croisée des deux mondes transforment ainsi les pratiques de la solidarité autant que celles du secteur privé.
- acteurs > Acteur
- Individu, groupe, organisation dont les actions affectent la distribution des valeurs et ressources à l’échelle planétaire. L’État a longtemps été considéré comme l’acteur principal sur la scène internationale, mais les acteurs non étatiques se sont multipliés et diversifiés (firmes, organisations non gouvernementales, groupes d’intérêt, mafias, acteurs religieux, etc.) au cours des décennies récentes. La mondialisation contemporaine se traduit par la complexification des rapports entre ces acteurs.
- société civile > Société civile
- À l’échelle nationale, la société civile désigne une entité sociale distincte de l’État et dépassant les individus et les groupes qui la composent (classes sociales, catégories socioprofessionnelles, générations…). La notion de société civile mondiale est apparue au cours des années 1970 (John Burton, World Society) et désigne l’ensemble des relations sociales construites hors du contrôle de l’État sur la scène internationale par la mobilisation de ressortissants de tous les pays pour revendiquer des régulations infra ou supranationales. L’expression masque toutefois une grande diversité. La notion de société-monde apparaît pendant les années 1990 chez les géographes et désigne le processus le plus englobant de création d’un espace social à l’échelle de la planète.
- Sud
- Voir Nord et Sud
- droits humains > Droits de l’homme
- Corps de droits et devoirs fondamentaux inaliénables, imprescriptibles et universels, attachés à la personne humaine. Circonscrits aux seuls « droits naturels » (libertés fondamentales considérées comme consubstantielles à la nature humaine) aux xviie et xviiie siècles, les droits humains sont élargis pour inclure les droits civils, politiques, économiques, sociaux, culturels et environnementaux aux fondements de la liberté et de la dignité humaines. Les droits humains ont été constitutionnalisés dans la plupart des régimes démocratiques. Ils font également l’objet de nombreux textes de protection à l’échelle régionale et internationale.
- reconnaissance > Reconnaissance
- Validation par un individu, un groupe ou une institution d’une pratique, d’une situation ou d’une identité revendiquée. Intrinsèquement relationnelle et socialisatrice, la reconnaissance peut être formelle ou informelle, réciproque ou unilatérale. La réflexion sur la reconnaissance, très présente en philosophie (notamment chez Hegel), a fait l’objet de développements plus récents en sciences sociales autour de la « lutte pour la reconnaissance » (Axel Honneth) et du déni de reconnaissance. La reconnaissance internationale est un acte discrétionnaire par lequel un sujet de droit international (généralement un État ou une organisation internationale) accorde une valeur juridique à une situation ou une action (accession au pouvoir d’un gouvernement de façon non constitutionnelle, déclaration unilatérale d’indépendance, intervention militaire, etc.).
- aide > Aide publique au développement
- Dons et prêts accordés par les pays développés (aide bilatérale) et les institutions internationales (aide multilatérale) aux pays en développement et moins avancés : aide alimentaire, assistance technique, assistance militaire, remises de dette, etc. L’aide bilatérale (2/3 de l’aide mondiale) génère des liens de dépendance (obligation d’acheter biens et services aux entreprises du donateur). Mise en place durant la guerre froide et les décolonisations, elle a été utilisée pour créer ou maintenir des liens entre les États-Unis et l’URSS et leur bloc, les anciennes métropoles et leurs anciens empires. L’objectif de porter l’APD à 0,7 % du PIB des pays développés, fixé en 1970 par l’ONU, n’a, sauf exceptions, jamais été atteint. L’Union européenne est la première pourvoyeuse mondiale d’aide. L’aide multilatérale est conditionnée au respect de critères de « bonne gouvernance », économiques et politiques.
- Nord
- Voir Nord et Sud
- développement > Développement
- Les définitions du développement et de son contraire – le sous-développement – ont beaucoup varié selon les objectifs politiques et les postures idéologiques de ceux qui les énonçaient. Au cours des années 1970, Walt Whitman Rostow le conçoit comme une dynamique quasi mécanique d’étapes successives de croissance économique et d’améliorations sociales, alors que Samir Amin analyse les rapports centre/périphéries, le premier fondant son développement sur l’exploitation des secondes. En Amérique latine, la théorie de la dépendance dénonçait l’ethnocentrisme du modèle universel d’un simple retard à rattraper par la modernisation. Parler de « pays » pauvres ou en développement occulte les inégalités existant aussi à l’intérieur des sociétés (du Nord comme du Sud) et les connexions des individus aux processus de mondialisation.
- microfinance > Microcrédit
- Crédit de faibles montants accordé à des personnes ou entreprises ayant des ressources insuffisantes pour recourir au système bancaire traditionnel. Alors qu’il caractérisait à l’origine des pratiques informelles, le microcrédit est aujourd’hui encouragé par les institutions internationales. En 2006, le prix Nobel de la paix a été attribué à Muhammad Yunus et à la banque qu’il a fondée, la Grameen Bank. Forme ancienne de microcrédit répandue sur tous les continents, la tontine constitue une forme d’épargne collective dans laquelle les membres d’un groupe bénéficient à tour de rôle des crédits (monétaires ou non) cumulés par ce groupe.