Criminalités transnationales
Récolte des feuilles de coca, Province de Chapare, Bolivie, 1991
Crédit : UN Photo / J Sailas
Récolte des feuilles de coca, Province de Chapare, Bolivie, 1991.
Après récolte les feuilles de coca séchées sont emballées pour être transportées vers les laboratoires de transformation en cocaïne destinée au marché mondial. Avec la Colombie et le Pérou la Bolivie est un grand producteur de cocaïne, l’Office des nations unies contre la drogue et le crime y est présent depuis 1985. En appui à la lutte contre la culture et la production illicites, elle recueille des données sur les plants, les laboratoires, les éradications, les saisies et contribue à la recherche de solutions alternatives. Les accords passés avec les États s’avèrent cependant fragiles et très dépendants des conjonctures politiques internes (comme en Colombie).
Résumé
Cybercriminalité, criminalité environnementale, trafic de drogue, d’êtres humains, de médicaments et d’armes, etc., les acteurs du crime organisé transnational ne cessent de diversifier leurs activités, qui détruisent des individus, gangrènent les sociétés et les États et déstructurent les économies.
Les acteurs du crime organisé transnational ne cessent de diversifier leurs activités, facilitées par certaines politiques publiques et par la corruption et fluidifiées par le darknet, les smartphones et les crypto-monnaies. La cybercriminalité et la criminalité environnementale s’ajoutent aux trafics de drogue, d’êtres humains, de médicaments et d’armes.
La criminalité transnationale gangrène les sociétés et les États et déstructure les économies. Les capitaux considérables qu’elle dégage stimulent aussi bien l’investissement et le produit intérieur brut (PIB) que la corruption, le blanchiment et les prix de l’immobilier qui creusent les inégalités, faussent la concurrence et dissuadent les IDE (investissements directs à l’étranger). Corruption, trafics, pauvreté, conflits et terrorisme s’entretiennent et se renforcent mutuellement. L’opacité, vitale pour les réseaux mafieux, rend les connaissances partielles et sous-estimées, comme le montrent les limites des données publiées par l’Office des Nations unies contre la drogue et le crime (UNODC).
Commentaire : Par définition opaque, la corruption ne peut être abordée que par des enquêtes que l’ONG Transparency International mène annuellement depuis 1995. L’indice de perception de la corruption est un indice composite, mondial, fondé sur des expertises indépendantes menées dans les pays évalués ; il évalue les pratiques des agents publics, les pots-de-vin, les passations de marchés publics et les détournements de fonds. La grande majorité des pays sont affectés par la corruption, mais les niveaux sont les plus élevés dans les États du Sud (en Afrique, au Moyen-Orient et en Amérique centrale) mais aussi en Russie.
Drogues
Le trafic des drogues représente plus du quart des revenus de la criminalité transnationale et constitue sa deuxième source de revenus après la contrefaçon. Selon l’UNODC, 5 % de la population mondiale a fait au moins une fois l’usage de drogue au cours de l’année 2015 et 30 millions de personnes sont victimes des troubles qui en découlent. Aux grands cartels historiques (Mexique, Japon, Russie, Italie) s’ajoute aujourd’hui une nébuleuse de réseaux plus diffus. La répartition des saisies confirme le caractère mondial du phénomène.
Toutes les drogues connaissent une augmentation de leur production et une diversification de leur diffusion. En 2015-2016, la culture du pavot a procuré 6 380 tonnes d’opium dont l’Afghanistan fournit les deux tiers. Parmi les opiacés, la consommation d’héroïne est particulièrement porteuse de risques directs et indirects (décès, hépatite C, VIH, tuberculose). Les talibans contrôlent la production destinée aux marchés d’Europe et des Amériques par la route des Balkans (Iran, Turquie et Europe centrale), la route du Sud (Asie du Sud et Moyen-Orient) et la route du Nord (Asie centrale et Russie). Les revenus financent les armes et la guerre dont les Afghans sont les premières victimes.
Cultivée en Colombie, au Pérou et en Bolivie, la coca a permis la production de 1 125 tonnes de cocaïne pure en 2015, consommée par 0,4 % de la population mondiale (1,8 % en Amérique du Nord, 1,1 % en Europe). En Colombie, les FARC (Forces armées révolutionnaires colombiennes) ont joué un rôle dans cette production qui, selon l’accord de paix signé en 2016, devrait cesser.
Outre les flux traditionnels vers l’Amérique du Nord et l’Europe, la route d’Afrique de l’Ouest, plus récente (par le Brésil puis le Nigeria ou le Cap-Vert, le Ghana, le Mali, le Niger et le Tchad), constitue un facteur important d’instabilité de la région (liens avec Boko Haram et AQMI [Al Qaeda Maghreb islamique]). Dans l’ensemble de l’Amérique du Sud, la puissance des cartels, soutenus par des élites économiques transnationales et par la pénétration de leurs réseaux dans les sociétés, provoque des violences sociales et politiques.
Commentaire : L’Office des Nations unies contre la drogue et le crime (UNODC) collecte et produit des données sur la consommation, la production et le trafic des drogues illicites. Cette carte de synthèse montre la géographie mondiale des drogues, sauf pour le cannabis dont la production et la consommation sont diffuses. Les géographies des trois principales drogues sont assez distinctes : 1. la culture du pavot à opium se concentre en Afghanistan et, dans une moindre mesure, au Myanmar, les flux d’opiacés (héroïne notamment) alimentent les consommateurs d’Europe, de Russie, d’Asie et du Moyen-Orient ; 2. la culture de coca se cantonne aux Andes (Colombie, Pérou et Bolivie) et fournit les marchés d’Amérique du Nord (et du Sud) et d’Europe via de multiples routes, parfois indirectes comme en Afrique ; 3. les réseaux des drogues de synthèse sont moins bien connus, plus fluctuants, en raison de la multitude de petits laboratoires clandestins qui produisent ces substances chimiques.
Première drogue dans le monde (183 millions de consommateurs en 2015), le cannabis est cultivé dans 135 pays. Le Maroc, l’Afghanistan, le Liban, l’Inde et le Pakistan sont en tête des pays producteurs de résine alors que la production de l’herbe est plus diffuse partout dans le monde. La consommation augmente en Afrique, en Asie et aux États-Unis (13,5 % de la population). Quant aux drogues de synthèse comme le LSD, l’ecstasy (22 millions de consommateurs), les amphétamines et méthamphétamines (37 millions), elles sont produites dans le monde entier, sous différentes formes, en quantités difficiles à évaluer mais qui augmentent en Asie de l’Est et du Sud-Est.
Commentaire : Ces diagrammes sont construits à partir des estimations (cercles imbriqués de moyennes basse et haute) de l’UNODC. Ils montrent le nombre de consommateurs de drogue (taille des cercles) et leur prévalence, soit leur part dans la population nationale (dégradé de couleur). Bien qu’étant nettement plus consommé que les drogues dures montrées dans ce graphique, le cannabis n’est pas représenté. À l’échelle mondiale, les drogues de synthèse (de type amphétamine et ecstasy) sont les plus consommées ; les opiacés sont plus consommés en Asie, en Europe et au Moyen-Orient, alors que la cocaïne l’est davantage en Amérique et en Europe. L’Amérique du Nord se distingue par une prévalence élevée de consommation de cocaïne et d’ATS (supérieure à 1,5 % de la population), c’est aussi le cas du Moyen-Orient avec les opiacés.
Les politiques centrées sur la lutte contre l’offre, les éradications forcées sans alternatives suffisantes pour des paysans pauvres et la répression des consommateurs sont critiquées par les ONG qui promeuvent un débat sur les orientations et le peu d’efficacité de ces politiques et valorisent les alternatives qui cherchent à réduire les risques par l’éducation, l’accès aux traitements et l’inclusion sociale.
Traite des personnes
Exploitation sexuelle (54 %), travail forcé (40 %), mendicité, mariages forcés, enfants soldats, vente des bébés, production pornographique, prélèvements d’organes… la traite des personnes, ou esclavage moderne, est globale et multisectorielle. 79 % des victimes sont des femmes et des enfants et l’impunité subsiste malgré la ratification par 170 États du Protocole contre la traite des personnes des Nations unies (2000). Pauvreté et conflits sont les premiers facteurs de vulnérabilité des victimes et fournissent les meilleures opportunités aux trafiquants, aussi la fréquence de la traite augmente-t-elle le long des routes des migrants et réfugiés et dans les zones de conflits : 2 000 enfants soldats en Sierra Leone au cours des années 1990, au moins 6 000 en République centrafricaine en 2014, plus de 4 000 en RDC et, plus récemment, filles et enfants enlevés par Boko Haram au nord du Nigeria, plus de 3 000 femmes et enfants Yazidis retenus par Daech.
Commentaire : Les données de l’OIT et de la fondation australienne Walk Free Foundation estiment le nombre d’individus en situation d’esclavage, identifient ses formes et sa géographie. Le diagramme et les cartes montrent que 25 millions de personnes subissent le travail forcé dans le monde (exploitation, sexe, et imposé par l’État), principalement en Asie-Pacifique et en Europe et Asie centrale (avec une prévalence de 3,5 à 4,8 pour 1 000), et que 15 millions subissent un mariage forcé (en majorité des femmes et des enfants), surtout en Asie-Pacifique et en Afrique (qui présente la plus forte prévalence).
- environnementale > Environnement
- L’environnement est entendu largement comme la biosphère dans laquelle les espèces vivantes cohabitent, tandis que l’écologie étudie les rapports entre ces organismes et leur environnement. L’environnement comprend des milieux naturels très différents allant des forêts vierges laissées intactes aux milieux artificialisés exploités et aménagés par l’être humain. Dans une définition restrictive, on entend par questions environnementales les enjeux se rapportant aux ressources naturelles (gestion, exploitation et dégradation) et à la biodiversité biologique (faune et flore). En tant que problème public transversal, l’environnement concerne les enjeux d’organisation des sociétés (modèles de production, transports, infrastructures, etc.) et leurs effets sur la santé humaine et des écosystèmes.
- États > État
- L’État est un système politique centralisé (différent du système féodal), différencié (de la société civile, espace public/privé), institutionnalisé (dépersonnalisation de l’institution), territorialisé (un territoire dont les frontières marquent de manière absolue les limites de sa compétence), qui prétend à la souveraineté (détention du pouvoir ultime) et se doit d’assurer la sécurité de sa population. En droit international public, l’État se définit par une population qui vit sur un territoire borné par des frontières sous l’autorité d’un pouvoir politique (État national territorial).
- produit intérieur brut > Produit intérieur brut
- Indicateur économique mesurant la richesse produite par les investissements et les dépenses de consommation des ménages, des entreprises et de l’État à l’intérieur d’un pays (à distinguer du revenu national brut, qui mesure la richesse créée globalement par les seuls acteurs économiques nationaux). Très utilisé par les économistes (en particulier le PIB par habitant), il comprend de nombreux biais : il ne considère que les activités marchandes, ne tient pas compte des externalités négatives (destruction de l’environnement pas exemple), élude la question des inégalités sociales et spatiales, et postule (à tort) l’existence d’une corrélation entre richesse et niveau de développement. D’autres outils statistiques ont été développés pour tenter de pallier ces défauts (indice de développement humain, indice de Gini, etc.).
- IDE > Investissement direct à l’étranger
- Tout investissement motivé par la volonté d’une entreprise d’acquérir un intérêt durable (participation supérieure à 10 % des droits de vote) et une influence significative dans la gestion d’une entreprise résidant dans un autre pays. Cette opération, impliquant une relation à long terme (à l’inverse des investissements dits « spéculatifs »), peut se faire par la création d’une entreprise nouvelle ou, plus généralement, par la prise de contrôle de tout ou partie d’une entreprise existante par le biais d’achats et de fusions. Les IDE, dont la majorité concerne des flux Nord-Nord, sont à la base de la mondialisation des firmes multinationales.
- conflits > Guerre
- Affrontement violent entre groupes armés sur des valeurs, des statuts, des pouvoirs ou des ressources rares, et dans lequel le but de chacun est de neutraliser, d’affaiblir ou d’éliminer ses adversaires. Cette violence armée collective organisée peut être le fait d’États (via leurs armées nationales) ou de groupes non étatiques ; elle peut opposer plusieurs États (guerre interétatique) ou se dérouler à l’intérieur d’un État (guerre civile). Progressivement codifiées et encadrées par le droit, les premières sont devenues rares, tandis que les secondes, aujourd’hui essentiellement causées par la défaillance institutionnelle des États, tendent à s’internationaliser, à perdurer (parfois des décennies) et à être extrêmement meurtrières, surtout pour les populations civiles.
- réseaux > Réseau
- La géographie classique a toujours survalorisé les surfaces, les territoires, les pays et les terroirs, mais l’analyse des réseaux est maintenant placée au cœur de sa démarche. Ils sont définis comme un espace où la distance est discontinue, et composés de nœuds reliés par des lignes. Ils sont soit matériels (réseaux de transport de personnes, de biens ou d’énergie, câbles informatiques et autoroutes de l’information), soit immatériels. Partiellement dématérialisés (internet par exemple), ils sont le fait aussi bien d’individus que d’organisations. Les philosophes (Gilles Deleuze et Félix Guattari), les sociologues (Manuel Castells), les politistes (James Rosenau) et les économistes utilisent ce concept pour analyser les logiques réticulaires de fonctionnement des individus.
- contrefaçon > Contrefaçon
- La contrefaçon qualifie la reproduction, l’imitation ou l’utilisation totale ou partielle d’un droit de propriété intellectuelle sans l’autorisation de son propriétaire (marque, modèle, brevet, droit d’auteur, logiciel, etc.) et en vue de tromper l’acheteur. Elle concerne tous les secteurs économiques et est aujourd’hui stimulée par le e-commerce. C’est une composante importante de la criminalité transnationale (500 milliards de dollars en 2016) dans laquelle les producteurs chinois tiennent une place dominante. Les populations des pays en développement sont particulièrement exposées aux dangers de la vente de médicaments contrefaits, surtout en Afrique.
- esclavage > Esclavage
- Du début du xviie siècle à la fin du xixe siècle, l’esclavage constitue la base du développement économique et de l’organisation des sociétés du Nouveau Monde (États du Sud des États-Unis, Antilles, Brésil…). La main-d’œuvre africaine, domestique et agricole, importée et échangée comme marchandise, permet le développement des plantations de sucre, tabac, coton et l’exploitation des métaux précieux. Aujourd’hui, l’Organisation internationale du travail (OIT) définit l’esclavage moderne par la somme des victimes du travail forcé public ou privé (domestique, construction, agriculture), de l’exploitation sexuelle et du mariage forcé.
- Pauvreté
- Désignant initialement le manque de ressources économiques, la notion de pauvreté s’est élargie, au cours des dernières décennies, afin d’inclure les différentes composantes du dénuement : conditions sanitaires déplorables, faible niveau d’éducation, inégalités sociales et de genre, violations des droits humains, atteintes à l’environnement, vulnérabilité accrue face aux catastrophes dites « naturelles ». L’indice de développement humain (IDH) élaboré par le Programme des Nations unies pour le développement au milieu des années 1990 (ainsi que sa variante genrée, l’indice sexospécifique de développement humain, ISDH) ou l’indice de pauvreté multidimensionnelle (IPM) conçu par des chercheurs de l’université d’Oxford en 2010 s’inspirent des travaux d’Amartya Sen sur les capacités (capabilities) en identifiant les privations dont sont victimes les pauvres en termes de santé, d’éducation et de niveau de vie.
- migrants > Migrant
- Déplacement d’individus quittant durablement leur pays (émigration) pour se rendre dans un autre pays (immigration), de façon volontaire ou forcée (guerre, pauvreté, chômage, atteinte aux droits humains, conditions climatiques, etc.), et souvent en séjournant de façon plus ou moins temporaire dans différents pays dits de transit. Inhérents à l’histoire de l’humanité, les processus migratoires suscitent la mise en place de différents dispositifs de politiques publiques liés au contexte politique, économique et culturel ainsi qu’à la conception de la nationalité. Les États d’accueil s’efforcent d’organiser, parfois d’attirer (besoin de main-d’œuvre, exploitation de certains territoires, naturalisations, etc.), et plus souvent de restreindre l’immigration (contrôle aux frontières, quotas, titres de séjour, etc.). Les États de départ tentent, dans la plupart des cas, de maintenir des relations avec les nationaux et communautés diasporiques installées à l’étranger.
- réfugiés > Réfugié
- Personne se trouvant à l’extérieur de son pays et à qui le pays dans lequel elle se trouve a reconnu le statut de réfugié tel que défini dans la Convention de Genève de 1951, qui accorde la protection et l’assistance du Haut-Commissariat des Nations unies pour les réfugiés (HCR) à toute personne « craignant avec raison d’être persécutée du fait de sa race, de sa religion, de sa nationalité, de son appartenance à un certain groupe social ou de ses opinions politiques, et qui se trouve hors du pays dont elle a la nationalité et qui ne peut ou, du fait de cette crainte, ne veut se réclamer de la protection de ce pays ». Ce terme ne doit pas être confondu avec celui de demandeur d’asile, correspondant aux personnes ayant fui leur pays et ayant déposé auprès des autorités du pays d’accueil ou du HCR une demande d’asile afin de bénéficier du statut de réfugié. Un réfugié a donc été demandeur d’asile mais tous les demandeurs d’asile ne voient pas leur demande acceptée (ces déboutés du droit d’asile doivent alors quitter le territoire).