Entre patrimoine et marché, une mondialisation culturelle ambivalente
Les sociétés réinventent en permanence leurs cultures et leurs traditions. Ainsi, contrairement aux idées reçues, le monde culturel se diversifie plus qu’il ne s’uniformise. Depuis les années 1990, la concentration des industries culturelles s’amplifie et les organisations internationales cherchent à harmoniser les règles commerciales (OMC) ou bien à protéger le patrimoine des logiques commerciales (UNESCO). Selon les lieux, les sociétés et les régimes politiques, la culture est perçue comme un élément d’identification et de cohésion nationale et/ou de puissance étatique (soft power), comme une richesse à protéger ou au contraire comme une source de danger venu d’ailleurs (replis et censure) ou enfin comme un produit commercial dont il faudrait encourager la commodification tout en le protégeant du piratage. La consommation de produits culturels se mondialise sans pour autant exclure la coexistence, les réappropriations, hybridations et métissages avec d’autres formes et pratiques culturelles. Les deux premiers pays producteurs de films sont l’Inde et le Nigeria, mais les États-Unis, à la troisième place, représentent la majorité des entrées en salles de cinéma. La culture érudite se démocratise, qu’il s’agisse de la circulation des grandes expositions, de la diffusion des spectacles ou de l’accès aux ouvrages des bibliothèques, aux archives et aux collections des musées sur internet. Mais, faute de pouvoir consommer, circuler, échanger, accéder à un ordinateur ou faute d’éducation, une majorité d’individus reste exclue de cette extraordinaire diversification de l’offre.
Depuis 1972, la Convention de l’Unesco sur la protection du patrimoine mondial culturel et naturel (ratifiée par 193 États) a permis l’inscription de 1 073 sites de valeur universelle exceptionnelle sur la Liste du patrimoine mondial de l’humanité. Ces protections ont été étendues en 2003 à celle du patrimoine immatériel, incluant les traditions orales, arts du spectacle, pratiques sociales, fêtes et rituels, savoir-faire de l’artisanat traditionnel dont la dimension est autant patrimoniale qu’ identitaire, individuelle et collective.
Commentaire : Ce graphique présente le nombre d’éléments inscrits par l’Unesco, à la demande des États, sur les listes du patrimoine culturel et naturel (Convention de 1972) et du patrimoine culturel immatériel (Convention de 2003) dans le but de les protéger. Dans les deux cas, les pays d’Afrique et d’Amérique latine ont les nombres les plus faibles avec une évolution lente, l’Asie en revanche occupe une place intermédiaire avec une augmentation rapide, l’ensemble Amérique du Nord et Europe reste dominant (même si l’Asie le dépasse de quelques points pour le patrimoine culturel immatériel). Ces très grandes différences sont en partie expliquées par les écarts de capacité des États à identifier, sauvegarder et protéger leur patrimoine.
- cultures > Culture
- Ce qui distingue l’existence humaine de l’état de nature, c’est-à-dire les processus par lesquels l’homme utilise et développe ses capacités intellectuelles. Selon Clifford Geertz (1973), la culture est un système de significations communément partagées par les membres d’une collectivité sociale, qui en font usage dans leurs interactions. Les cultures ne sont donc pas figées, elles se transforment au gré des pratiques sociales et sont à la fois porteuses de logiques d’inclusion et d’exclusion. Le culturalisme est une conception qui considère que les croyances supposées collectives et les appartenances à telle ou telle culture prédéterminent les comportements sociaux.
- organisations internationales > Organisation internationale
- Selon Clive Archer, une OI est « une structure formelle, durable, établie par un accord entre ses membres (gouvernementaux et/ou non gouvernementaux), à partir de deux ou plusieurs États souverains, dans le but de poursuivre un intérêt commun aux membres ». Marie-Claude Smouts désigne trois traits distinctifs des OI : elles procèdent d’un « acte fondateur » (traité, charte, statut), s’inscrivent dans un cadre matériel (siège, financement, personnel), et constituent un « mécanisme de coordination ».
- nationale > Nation
- Communauté politique fondée sur la conscience de caractéristiques partagées et/ou d’une volonté de vivre ensemble. On oppose habituellement une conception politique et une conception culturelle de la nation, qui, dans la pratique, s’influencent mutuellement et tendent à se rapprocher. Dans la conception politique, la nation est inventée et produite par un État, le territoire précède la nation et en dessine les contours (conception dite française, fondée sur le creuset républicain et le droit du sol). Dans l’acceptation culturelle de la nation, une culture communément partagée produit la nation. Le projet national consiste à rassembler cette population sur un même territoire (conception culturelle ou romantique ou « allemande » de la nation, fondée sur le droit du sang). Cette conception est en soi porteuse de conflits et peut conduire à l’épuration ethnique ou au génocide (Allemagne nazie, Grande Serbie, etc.).
- commodification > Commodification
- Francisation du terme anglo-saxon commodity utilisé en économie pour désigner les biens normalisés disponibles en grande quantité sur le marché mondial (matières premières, produits agricoles et chimiques de base, composants électroniques, etc.). Par commodification, on désigne le processus de transformation en biens marchands d’une grande partie de l’activité sociale (biens, services, idées, etc.) comme par exemple les forêts, l’eau, les gènes, les services publics, ou la culture, situation devant laquelle les individus et ONG s’interrogent, s’inquiètent ou s’organisent.
- hybridations > Hybridation
- Croisement entre deux variétés d’une même espèce, l’hybridation renvoie par extension à la formation de tout système politique, religieux, institutionnel, économique, culturel, etc., synthétisant différentes influences.
- métissages > Métissage
- Mélange ou hybridation, biologique et/ou culturel, il s’accélère à la période contemporaine mais concerne les temps longs de l’histoire de l’humanité. C’est l’obsession du modèle de l’État national territorial fermé aux circulations et homogène en termes d’identité (voire d’ethnie ou de race dans certains cas) et de culture, qui occulte cette dimension présente dans presque toutes les sociétés du monde. Certaines périodes de mobilité accrue des populations sont des accélérateurs de métissage (« découverte » du Nouveau Monde, colonisation du xixe siècle et depuis la fin du xxe siècle). Certains régimes politiques ont tenté ou tentent de le nier et le combattent (obstacles aux mariages « mixtes », relégations, ghettoïsation, déplacements de populations, épurations ethniques, exterminations, génocides).
- internet > Internet
- Interconnexion à l’échelle mondiale de réseaux informatiques locaux permettant d’échanger textes, images, sons, vidéos grâce à un protocole unique (TCP/IP). Inventé aux États-Unis (années 1960) par des chercheurs et militaires, le réseau n’a cessé de croître, de se ramifier et d’innover. Au début des années 1990, les navigateurs rendent internet accessible au grand public. Les connexions à haut débit permettent les transferts de données de plus en plus volumineuses, la multiplication des activités en ligne et le passage d’une logique de stock d’informations à celle de flux continu. Le web 2.0, communautaire et interactif, stimule les échanges entre usagers, modifie les comportements sociaux et les mobilisations en leur donnant une visibilité instantanée. Les États non démocratiques en pratiquent régulièrement la censure. L’internet des objets désigne la connexion entre le réseau et des objets de types variés dits objets connectés.
- identitaire > Identité
- Notion ambiguë, plurielle, subjective, souvent instrumentalisée ou manipulée. Aucune identité n’est prédestinée ni naturelle, mieux vaut donc parler de construction identitaire, ou de processus de construction de représentations élaborées par un individu ou un groupe. Ces représentations ne sont ni stables ni permanentes et définissent l’individu ou le groupe à la fois par lui-même, par rapport ou en opposition aux autres, et par les autres. Les individus et les groupes en usent selon leurs intérêts et les contraintes propres à la situation dans laquelle ils se trouvent ; il s’agit donc d’une construction dans l’interaction. Cette combinaison d’appartenances, d’allégeances et de reconnaissance interne et externe est un processus complexe, plus ou moins conscient et contradictoire, toujours dans la combinaison et la recomposition.