Transitions colombiennes
Pendant un demi-siècle un conflit armé d’une grande complexité a opposé en Colombie les groupes paramilitaires (démobilisés entre 2003 et 2006 et recyclés en bandes criminelles, les BACRIM), les guérillas des forces armées révolutionnaires (FARC) et de l’Armée de libération nationale (ELN) et les forces de l’État. Le Registre unique des victimes du gouvernement dénombre 267 297 morts directs, 728 096 morts indirects, 169 201 disparus, 7 358 248 déplacés et 36 578 personnes enlevées. La drogue (la cocaïne essentiellement, mais aussi l’héroïne et le cannabis) a nourri et entretenu la violence et le conflit. L’Accord de paix signé en novembre 2016 par le gouvernement colombien et les FARC est donc porteur d’un programme de lutte contre la drogue. En janvier 2017, les deux parties ont présenté le Programme national intégral de substitution des cultures d’usage illicite (coca, pavot et cannabis) et, en novembre 2017, l’ONU et le gouvernement ont signé un accord d’aide de 315 millions de dollars pour l’éradication des plants et le renforcement du développement rural (reconversion des familles et assistance technique).
Des années d’inefficacité des politiques d’éradication
Depuis 40 ans, le gouvernement colombien, avec l’aide des États-Unis, a tenté de lutter contre la production de drogue – 1978-1982, puis 1982-1986 et, à partir de 1999-2000, le Plan Colombie. Ce dernier, largement dénoncé par l’Union européenne, les organisations internationales et les ONG, a plus renforcé la capacité militaire de l’État colombien dans sa lutte contre les guérillas qu’il n’a incommodé les trafiquants. L’épandage massif de glyphosate Monsanto par fumigations aériennes (commencé dès 1982-1986, suspendu en 2005 et interdit par la Cour constitutionnelle en 2017) a eu de graves conséquences sur l’environnement et la santé publique alors que ses effets sur la réduction de la production ont été mitigés. Les déficiences de l’État, la très forte concentration foncière, la pauvreté, la violence permanente et le faible intérêt des cultures de substitution faute d’accès au marché ont contribué à une augmentation régulière de la production.
Commentaire : Les données d’enquête de l’UNODC montrent la très forte augmentation des prix (et des bénéfices) au long de la chaîne de production de la cocaïne, qui mobilise des acteurs nombreux et variés, depuis les paysans qui cultivent la coca jusqu’aux différentes étapes de transformation et la commercialisation, contrôlée par des trafiquants locaux et transnationaux. Les prix varient de 1 dollar le kilo de feuilles à 1 633 dollars le kilo de cocaïne, laquelle est coupée et revendue aux consommateurs européens entre 50 et 80 euros le gramme.
Entre les feuilles de coca récoltées et la cocaïne vendue au consommateur, l’augmentation des prix et des gains à chaque étape de transformation est considérable. Pour réduire la dépendance à la production de drogue des agriculteurs très pauvres, les accords de paix ont initialement mis l’accent sur des plans de substitution volontaire. Après à la victoire du « non » au plébiscite pour la paix, le gouvernement a dû négocier de nouveaux accords qui prévoient des éradications forcées (voire des aspersions aériennes) en cas d’échec ou de refus des substitutions volontaires. La politique de substitution volontaire porte sur l’ensemble des conditions sociales et économiques à l’aide d’une méthode à la fois inclusive (producteurs, communautés, FARC, organisations internationales et ONG) et élargie à la lutte contre tous les acteurs (producteurs, transporteurs, importateurs de précurseurs, transformateurs, exportateurs, blanchisseurs des gains, corrupteurs, etc.). Elle prévoit des programmes durables de revalorisation agricole (production de café, cacao, fruits), la consultation et le renforcement des communautés, des aides mensuelles, la sécurisation et la préparation des terres, le désenclavement territorial et l’accès au marché, la mise en place d’un minimum de services publics, une stabilisation foncière, la sécurité des personnes, le respect des droits humains et le renforcement de l’appareil judiciaire.
- conflit > Guerre
- Affrontement violent entre groupes armés sur des valeurs, des statuts, des pouvoirs ou des ressources rares, et dans lequel le but de chacun est de neutraliser, d’affaiblir ou d’éliminer ses adversaires. Cette violence armée collective organisée peut être le fait d’États (via leurs armées nationales) ou de groupes non étatiques ; elle peut opposer plusieurs États (guerre interétatique) ou se dérouler à l’intérieur d’un État (guerre civile). Progressivement codifiées et encadrées par le droit, les premières sont devenues rares, tandis que les secondes, aujourd’hui essentiellement causées par la défaillance institutionnelle des États, tendent à s’internationaliser, à perdurer (parfois des décennies) et à être extrêmement meurtrières, surtout pour les populations civiles.
- déplacés > Déplacés
- Selon l’Organisation internationale pour les migrations, le terme désigne les personnes ou groupes qui ont été forcés ou contraints à fuir ou quitter leur foyer ou leur lieu de résidence habituel, notamment en raison d’un conflit armé, de situations de violence généralisée, de violations des droits de l’homme ou de catastrophes naturelles ou provoquées par l’homme ou pour en éviter les effets, et qui n’ont pas franchi les frontières internationalement reconnues d’un État. En anglais IDPs (internally displaced persons).
- organisations internationales > Organisation internationale
- Selon Clive Archer, une OI est « une structure formelle, durable, établie par un accord entre ses membres (gouvernementaux et/ou non gouvernementaux), à partir de deux ou plusieurs États souverains, dans le but de poursuivre un intérêt commun aux membres ». Marie-Claude Smouts désigne trois traits distinctifs des OI : elles procèdent d’un « acte fondateur » (traité, charte, statut), s’inscrivent dans un cadre matériel (siège, financement, personnel), et constituent un « mécanisme de coordination ».
- communautés > Communauté
- Selon le sociologue allemand Ferdinand Tönnies (1855-1936), la communauté (Gemein-schaft) s’oppose à la société (Gesellschaft) et désigne toute forme d’organisation sociale dans laquelle les individus sont liés entre eux par une solidarité, naturelle ou spontanée, et animés par des objectifs communs. Selon l’usage courant, il s’agit de toute collectivité sociale à laquelle on prête une unité, quel que soit son mode d’intégration (communauté internationale, Communauté européenne ou andine ou encore croyants de telle ou telle religion). Le terme ambigu de communauté internationale désigne un ensemble vague d’acteurs politiques (États, organisations internationales, ONG, individus, etc.) fondé sur l’idée d’une humanité unie par des valeurs et des objectifs communs ou une allégeance à des institutions politiques centrales, ce qui est loin d’être le cas.
- services publics > Service public
- Activité d’intérêt général exercée par une collectivité publique, ou un organisme privé sous le contrôle de l’administration. Les missions attribuées au service public se sont étendues, des fonctions régaliennes traditionnelles (police, défense, justice, finances publiques, diplomatie) au secteur administré non marchand (éducation, santé, protection sociale, activités culturelles et sportives, etc.) et au secteur marchand, industriel et commercial (transports, énergie, eau, télécommunications, etc.). Le service public repose sur quelques principes fondamentaux : l’égalité d’accès et de traitement des usagers, la continuité, l’accessibilité, la neutralité et la transparence des services, et leur adaptation aux évolutions de l’intérêt général. Les notions de service d’intérêt général et de service universel, déployées au sein des institutions européennes et de certaines institutions internationales, redéfinissent – non sans controverses – le périmètre de l’action publique face à la libéralisation de certains de ses secteurs.