Résumé

Le multilatéralisme, dans sa dimension normative, apparaît au xixe siècle lorsque les acteurs internationaux tentent de résoudre des problèmes d’intérêt commun. À la fois ressource et contrainte pour les plus puissants, il redéfinit les logiques de puissance. Ses transformations renouvellent la problématique de la coopération internationale, désormais posée en termes de gouvernance.

Le multilatéralisme est une forme d’action collective internationale qui a pour finalité de produire « de[s] normes et de[s] règles visant à établir un ordre international coopératif régissant les interdépendances internationales » (Franck Petiteville). Parce qu’elle est plus qu’une simple technique de coopération entre au moins trois États, la notion n’englobe pas seulement l’idée de coexistence mais aussi l’intention de résoudre des problèmes d’intérêt commun, qu’ils soient économiques (création de la Commission centrale pour la navigation du Rhin en 1815), techniques (signature d’une Convention du mètre en 1875), sociaux (création de l’Office international d’hygiène publique en 1907) ou politiques (organisation des conférences de La Haye en 1899 et 1907). Souvent pensée comme une dynamique inter-étatique, la coopération multilatérale est, dès ses débuts, le fruit d’acteurs diversifiés. Le fonctionnement tripartite de l’Organisation internationale du travail (OIT) en témoigne, puisque sont représentés les États, les travailleurs et les employeurs.

Les activités multilatérales se développent aussi bien dans des organisations internationales, universelles (OMC), régionales (UE, ASEAN, ALBA, UA) ou restreintes (OPEP), généralistes (ONU) ou sectorielles (IFI) que dans des cadres moins formels et moins institutionnalisés, tels que les clubs de grandes puissances (G7/G8, G20 (dit financier), BRICS), les groupes à composition non limitée (Open-ended Working Group on Ageing), les groupes d’amis (Amis du peuple syrien), les grandes conférences thématiques – océans (2017), financement dudéveloppement (2015), peuples autochtones (2014). La multiplication de ces institutions internationales depuis le xix e siècle constitue un signe de l’essor du multilatéralisme, qui touche désormais tous les secteurs et tous les acteurs de l’espace mondial.

Les membres de quelques « G », 2018

Sources : The Group of 77 at he United Nations (G77), www.g77.org ; G20, www.g20.org ; OCDE ; Banque mondiale ; FMI ; SIPRI et UN-DAES. 

Commentaire : La carte, bien que n’abordant que quelques « clubs », montre que peu d’États échappent à cette logique de club. Ceux-ci s’organisent sur la base de la puissance (G8 et G20) de façon informelle, permettant un dialogue multilatéral partiel allégé des contraintes des négociations au sein des organisations universelles, ou sur la base d’une coalition d’États défendant les intérêts communs de pays en développement (130 pour le G77) pour les représenter dans les négociations internationales.

Multilatéralisme et puissance

Le multilatéralisme participe à la redéfinition de la puissance et à la reformulation de ses enjeux et de ses moyens légitimes. Les États les plus puissants ont souvent été créateurs d’institutions multilatérales : si le pacte de la SDN fut fortement influencé par les personnalités de Léon Bourgeois et de Woodrow Wilson, l’ordre multilatéral post- seconde guerre mondiale (institutions de Bretton Woods, ONU, GATT) émane des États-Unis. Il arrive que certains États puissants revendiquent un « multilatéralisme à la carte » (Richard Haass), mais ils peuvent difficilement faire fi de la fonction multilatérale de « légitimation collective » (Inis Claude). Loin de n’être qu’une ressource pour les plus puissants, le multilatéralisme les contraint en établissant des règles et des normes qui s’appliquent à tous, en les insérant dans un processus itératif de négociations qui rend la défection plus coûteuse et en les obligeant à prendre en compte les voix des plus nombreux. Petits États ou puissances moyennes et émergentes mobilisent des stratégies diverses (diplomatie de niche, coalitions comme l’AOSIS dans les négociations sur le changement climatique, entreprenariat de normes) pour tenter de participer à la définition des règles du jeu en activant les vertus égalisatrices du multilatéralisme. Ces dernières n’empêchent pas la production d’ « ordres hiérarchiques internationaux » (Vincent Pouliot), qui peuvent différer selon les institutions multilatérales, soulignant ainsi que le multilatéralisme, s’il n’efface pas la puissance, en renouvelle le jeu.

Au fur et à mesure que le multilatéralisme devient une forme d’action internationale normale, il se transforme. Les thèmes se multiplient sur l’agenda (droits humains, environnement, lutte contre le crime transnational, développement durable, égalité des genres). Il attire des acteurs de plus en plus divers (États du Sud / tiers-monde, ONG, mouvements sociaux, firmes multinationales, etc.). Par exemple, Kofi Annan lançait le Pacte mondial en 2000 permettant des échanges entre l’ONU, des ONG et le secteur privé. Les entreprises qui adhèrent volontairement à cette initiative s’engagent à mettre en pratique et à promouvoir les principes du Pacte (droits humains, normes du travail, environnement, lutte contre la corruption) et à rendre compte de leurs efforts dans un rapport.

Entreprises parties prenantes du Pacte mondial des Nations unies, 2000-2017

Source : Global Compact, Nations unies, www.unglobalcompact.org 

Commentaire : Lancé en 2000 sur proposition du Secrétaire général de l’ONU, le Global Compact réunit les entreprises, les ONG et les acteurs onusiens volontaires qui partagent dix normes pour des sociétés plus stables, inclusives et durables (respect des droits humains, normes internationales du travail, environnement et lutte contre la corruption). La carte du nombre d’entreprises engagées par pays montre que l’Europe est pionnière, suivie par l’Amérique du Sud. La courbe d’évolution du nombre des adhésions augmente de plus en plus rapidement (13 000 dans 170 pays fin 2018).

Prolifération institutionnelle

Enfin, les institutions prolifèrent. En parallèle des OI, se développent des clubs définis par trois traits : ils sont restreints, souvent informels ou peu formalisés, et la participation à ces cercles est volontaire, l’adhésion se faisant par choix délibéré et/ou cooptation. L’ensemble de ces changements conduisent à une configuration multilatérale complexe et peu lisible dont les acteurs dénoncent le manque d’efficacité, de transparence, l’absence de coordination entre les institutions, les programmes et les projets. La diffusion des débats sur la gouvernance globale et les revendications autour des biens publics mondiaux et des biens communs de l’humanité redéfinissent la problématique de la coopération internationale. D’une part, les pratiques multilatérales actuelles révèlent la recherche de formes fonctionnelles et plus inclusives de gouvernance, à l’image de la mise en place de partenariats public-privé comme Stop TB. D’autre part, elles soulignent, notamment dans leurs formes minilatérales (G7, G20), les volontés de plusieurs acteurs de perpétuer un statu quo et un entre-soi.

Lutte contre la tuberculose : partenariat public-privé Stop TB, 2018

Source : Stop TB, www.stoptb.org 

Commentaire : Depuis 2001, le partenariat Stop TB fédère des ONG, des communautés, des acteurs privés, des États et des institutions internationales (1 700 partenaires dans plus de 100 pays) afin d’éliminer la tuberculose, maladie évitable qui peut être guérie. Il est reconnu comme un organe international unique doté du pouvoir d’harmonisation des acteurs du monde entier. La carte montre une présence mondiale, mais forte en Afrique et en Asie de l’Ouest où les cas sont les plus nombreux, où la prévention est la plus faible et les soins peu développés.

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