Régionalismes
Inauguration du XLIIIe Sommet des chefs d'État du MERCOSUR et des États associés, Mendoza, Argentine, 29 juin 2012
Crédit : Fernanda LeMarie / CC BY SA
Inauguration du XLIIIe Sommet des chefs d'État du MERCOSUR et des États associés, Mendoza, Argentine, 29 juin 2012.
Le Marché commun du Sud (MERCOSUR), créé en 1991 par le Traité d’Asunción, s’institutionnalise progressivement depuis. Son agenda, multidimensionnel, comprend des questions économiques, politiques (défense de la démocratie par exemple) ou encore sociales (à l’instar des migrations). Le Mercosur apparaît aujourd’hui comme une organisation en crise du fait notamment de la gestion de la situation au Venezuela qui s’ajoute aux limites régulièrement citées (comme les asymétries entre les pays ou le manque de relais sociétaux) depuis sa création.
Résumé
Le régionalisme est une tendance profonde du XXe siècle qui a touché l’ensemble de l’espace mondial. Les enchevêtrements régionaux dessinent une scène internationale complexe et recouvrent des pratiques différenciées. Malgré les diagnostics de crise, les institutions régionales participent à la définition et à la gestion des grands problèmes contemporains.
Le régionalisme entendu comme « un processus principalement étatique de création et de maintien d’ institutions et d’organisations régionales entre au moins trois États » (Tanja Börzel et Thomas Risse) est une forme de multilatéralisme qui apparaît durant la seconde moitié du XIX e siècle et constitue une tendance lourde du XX e siècle. Même si la construction européenne est conventionnellement présentée comme le processus de régionalisation le plus abouti, les pratiques de concertation et de coopération régionales ne sont pas l’apanage de l’Europe, comme en témoigne le développement des initiatives régionales dans les Amériques à partir du XIX e siècle.
Commentaire : Cette collection de quatre cartes montre les grandes périodes des processus régionaux en Amérique. Ceux-ci sont très anciens dans sa partie latine, puisqu’ils débutent en 1826 avec les congrès hispano-américains. Dès la fin du XIXe siècle, et jusqu’en 1948, des conférences panaméricaines sont organisées. Après la seconde guerre mondiale, des organisations intergouvernementales se créent et se multiplient, en particulier en Amérique centrale et du Sud et dans les Caraïbes.
À l’issue de la seconde guerre mondiale, les organisations régionales se multiplient (Ligue arabe, Organisation des États américains [OEA], Organisation de l’unité africaine [OUA], Marché commun centraméricain [MCCA], Union douanière d’Afrique australe [SACU]) avant une période marquée par la déception : la méfiance entre partenaires, la fermeture des sociétés, l’absence de résultats provoquent une diminution des budgets, des rencontres, des attentes.
Enchevêtrements
La décennie 1990 est marquée par une revitalisation du régionalisme du fait de la création de nouveaux accords (MERCOSUR [Marché commun du Sud], ALENA [Accord de libre-échange nord-américain]) ou de la réforme d’anciens accords (Union africaine [UA], Communauté andine [CAN], Communauté de développement d’Afrique australe [SADC]). Ce néo-régionalisme, tourné vers l’extérieur, multidimensionnel et ouvert au jeu d’acteurs privés, n’épuise pas la dynamique régionale qui se renouvelle avec le développement du trans-régionalisme (Coopération économique pour l’Asie-Pacifique [APEC], Indian Ocean Rim Association [IORA]) et l’apparition de nouvelles organisations (Alliance bolivarienne pour les Amériques [ALBA], Union des nations sud-américaines [UNASUR], Communauté d’États latino-américains et caraïbes [CELAC], Organisation de coopération de Shanghai [OCS]). Les enchevêtrements régionaux, qui caractérisent l’ensemble de l’espace mondial au début du XXI e siècle, dessinent une scène tellement complexe qu’il se révèle utile de penser « au-delà du néorégionalisme » (Björn Hettne).
Commentaire : Ce diagramme non exhaustif recense 53 processus régionaux apparus entre 1945 et 2011. Ils sont de natures, d’objectifs et de degrés d’intégration extrêmement divers (forum, accord commercial, alliance militaire). Ils concernent toutes les régions du monde et s’étendent même, pour certains, sur plusieurs régions (transrégionalisme).
Le régionalisme recouvre en effet des pratiques multiples, aussi bien dans le temps que dans l’espace. En ce sens l’Union européenne (UE) s’affiche moins comme un modèle de régionalisme que comme une « création originale » résultant d’un « processus non planifié » (Guillaune Courty et Guillaune Devin). Contrairement à la construction européenne très institutionnalisée et qui mêle l’intergouvernemental et le supranational, tous les régionalismes n’impliquent pas la mise en place d’une structure très formalisée ni une plus grande intégration régionale. D’autres organisations régionales sont plus respectueuses de la souveraineté (ALBA, OCS) ou fonctionnent sur des bases plus souples et informelles. Toutes n’ont pas la même dimension : les différents sigles peuvent désigner des processus de coopération avancés (UE) autant que des constructions en panne (Union du Maghreb arabe [UMA]).
Régionalismes en crise
Si la plupart des organisations régionales sont multidimensionnelles, elles ne se préoccupent pas nécessairement des mêmes thématiques (sécurité, échanges commerciaux, développement, affaires humanitaires, environnement, migrations, droits de l’homme, etc.). En outre, les régionalismes n’appréhendent pas tous de manière identique une même problématique, ainsi que le souligne la comparaison des différents textes et instruments régionaux de protection des droits de l’homme (Delphine Allès et Clara Egger).
Enfin, les liens entre régionalisme et régionalisation (c’est-à-dire l’intensification des interactions et des échanges entre les acteurs d’une région et ce, sans que ces derniers soient toujours conscients de ce processus) ne sont pas univoques et varient selon les espaces régionaux : si, en Europe, le régionalisme impulse l’intégration économique, la régionalisation des échanges économiques et financiers en Asie du Sud-Est se développe et dessine un espace qui ne se superpose pas aux frontières de l’ASEAN (Association des nations de l’Asie du Sud-Est).
Commentaire : La carte montre la prolifération, la complexité et les enchevêtrements des institutions régionales qu’elle recense. Celles-ci s’avèrent extrêmement variées par leur nature, leur objectif et leur degré d’intégration.
De l’annonce par le Venezuela de son intention de quitter l’OEA en avril 2017 au vote britannique du 23 juin 2016 en faveur du Brexit, en passant par le terne bilan de la Communauté économique des États de l’Afrique de l’Ouest (CEDEAO) et de l’UA dans la gestion de la crise Ebola entre 2013 et 2015, les diagnostics de crise des organisations régionales se multiplient. Elles se révèlent peu efficaces sur les questions d’actualité, peu légitimes et peu représentatives. Les contestations sont multiformes et proviennent de plusieurs secteurs de la société et des échiquiers politiques ainsi que l’illustre une étude des eurosceptiques parmi les membres du Parlement européen (Nathalie Brack). La crise est à la fois institutionnelle et crise de sens.
En dépit de ces secousses, les institutions régionales participent de manière centrale, quoique différenciée, à la définition et à la gestion de la plupart des grands problèmes contemporains : migration, environnement, développement, sécurité, etc. Leur participation à la gouvernance mondiale contribue à dessiner les espaces sociaux et politiques de l’espace mondial.
- institutions > Institutions
- Le terme institution désigne des structures sociales (règles, normes, pratiques, actions, rôles) durables, organisées de façon stable et dépersonnalisée, qui participent à la régulation des rapports sociaux. Elle peut être formalisée dans des organisations (internationales ou non). L’institutionnalisme en science politique aborde les objets de l’analyse politique par une étude de leur fondement structurel et de leur modèle organisationnel plutôt que par la prise en compte de leur rapport à la société.
- États > État
- L’État est un système politique centralisé (différent du système féodal), différencié (de la société civile, espace public/privé), institutionnalisé (dépersonnalisation de l’institution), territorialisé (un territoire dont les frontières marquent de manière absolue les limites de sa compétence), qui prétend à la souveraineté (détention du pouvoir ultime) et se doit d’assurer la sécurité de sa population. En droit international public, l’État se définit par une population qui vit sur un territoire borné par des frontières sous l’autorité d’un pouvoir politique (État national territorial).
- multilatéralisme > Multilatéralisme
- Considérer le multilatéralisme comme une coopération internationale impliquant au moins trois États revient à le réduire à une simple technique alors que celui-ci se double d’une dimension qualitative et normative présente dès la Société des Nations. Selon Franck Petiteville, le multilatéralisme est ainsi une forme d’action collective internationale dont la finalité est de produire « de(s) normes et de(s) règles visant à établir un ordre international coopératif régissant les interdépendances internationales ». L’apparition de l’adjectif « multilatéral » à la fin de la décennie 1940 est concomitante de la prise de conscience de cette dimension.
- espaces > Espace
- Terme aux sens et usages multiples, catégorie bien moins abordée par les philosophes que celle du temps et qui a longtemps constitué une difficulté théorique (non consensuelle) pour les géographes dont ce devrait être l’objet central. Contrairement aux représentations courantes d’une étendue naturelle que rempliraient les sociétés, l’espace est un produit social sans cesse reconstruit par les interactions sociales. Il constitue l’une des dimensions de la vie sociale, à la fois matérielle et culturelle. Parler d’espace social n’augure pas de sa forme, territoriale, réticulaire, ou les deux à la fois.
- gouvernance > Gouvernance
- Inspirée de la gestion et de l’entreprenariat, l’expression gouvernance globale renvoie aux institutions formelles et informelles, mécanismes et processus par lesquels s’établissent et se structurent les relations entre États, citoyens, marchés et organisations internationales et non gouvernementales à l’international. Le système de gouvernance globale tend à articuler les intérêts collectifs, à établir des droits et obligations, à arbitrer les différends et à déterminer les modes de régulation appropriés aux objets et acteurs concernés. La gouvernance prend différentes formes : gouvernance multilatérale universelle, gouvernance de club (réservée à certains membres comme le G7/8/20), gouvernance polycentrique (juxtaposition d’instruments de régulation et de gestion à différentes échelles), etc.