Résumé

Les États ont mis en place des accords bilatéraux et multilatéraux pour résoudre les conflits issus de la divergence de leur droit privé. Mais ces efforts ne résument pas les pratiques de régulation à partir de règles privées. Un nombre croissant d’acteurs privés, qui s’autorégulent ou qui coopèrent avec les acteurs publics, s’investissent dans la formulation de normes et dans des mécanismes de régulation quasi judiciaires, si bien que des juristes s’interrogent sur l’existence d’un droit global.

Chaque État a élaboré un droit privé qui ne rencontre pas nécessairement celui de ses homologues. Dès lors que circulent les biens, les individus et les entités de droit privé, des conflits peuvent émerger entre ces différents droits : cas de divorce entre personnes de nationalités différentes, adoption d’enfants à l’étranger, succession d’un individu ayant un patrimoine transnational, risque de double imposition fiscale, etc. Avec la mondialisation et les innovations technologiques, ces situations sont plus nombreuses et touchent de plus en plus de thèmes (gestation pour autrui, protection des lanceurs d’alerte, circulation des œuvres artistiques dématérialisées, etc.).

Pour réguler ces conflits et permettre un minimum de prévisibilité et de stabilité, les États ont mis en place des accords bilatéraux et ont engagé des négociations multilatérales. À l’échelle régionale, l’OEA (Organisation des États américains) a œuvré à la codification du droit international privé, dans la lignée du code Bustamante de 1928. L’Union européenne (UE) a amorcé une dynamique communautaire de résolution de ces divergences en établissant une priorité soit de lois, soit de juridictions (Rome I et Rome II). À l’échelon mondial, la conférence de La Haye de droit international privé, établie en 1893 d’abord sous la forme de conférences puis d’une organisation intergouvernementale à partir de 1955, a pour tâche d’unifier les règles de droit international privé. L’évolution du nombre d’États membres, leur diversité en termes géographiques et en termes de traditions juridiques (entrée de pays de common law à partir de 1955), la possibilité pour des organisations régionales d’y adhérer (UE en 2007) témoignent non seulement de l’ouverture de l’institution mais également de l’importance croissante des efforts de coordination et d’harmonisation, dans un monde où les frontières sont sans arrêt franchies.

Membres de la Conférence de La Haye de droit international privé, 1955-2017

Source : Conférence de La Haye de droit international privé, www.hcch.net  

Commentaire : Cette carte montre les membres de la conférence de La Haye de droit privé. Cette organisation vise à harmoniser le droit international privé. Seuls 82 États en sont membres, essentiellement d’Europe et d’Amérique du Nord et du Sud ; ainsi que quelques pays d’Afrique et du Moyen-Orient (Afrique du Sud, Égypte, Maroc, Arabie Saoudite, Turquie, etc.), d’Asie (Chine, Inde, Japon, Corée du Sud, Malaisie, etc.) et d’Océanie (Australie et Nouvelle-Zélande).

Rôle croissant du secteur privé dans les efforts de régulation mondiale

Les efforts d’unification du droit international privé ne résument pas l’ensemble des pratiques de régulation à partir de règles privées. D’une part, les droits nationaux sont mis volontairement en compétition par des acteurs privés qui cherchent à tirer parti de leurs divergences. Ainsi en est-il des firmes multinationales, qui définissent stratégiquement l’implantation de succursales en comparant les avantages qu’elles peuvent tirer des droits nationaux. D’autre part, des règles formelles ou informelles, d’origine privée ou hybride (mêlant des acteurs publics et privés), participent de manière croissante à la régulation d’activités transnationales. La lex mercatoria constitue par exemple un ensemble de règles et d’usages élaborés par le milieu marchand. La Chambre de commerce internationale (CCI) définit des international commercial terms (Incoterms), c’est-à-dire les obligations et les responsabilités du vendeur et de l’acheteur dans une vente internationale. Le Comité international olympique (CIO), association de droit privé, et les organisations qui lui sont liées (fédérations sportives internationales et comités nationaux olympiques) édictent des normes a-nationales destinées au mouvement sportif. Le Tribunal arbitral du sport (TAS), instance quasi judiciaire dont le recours est croissant, en constitue l’organe de contrôle. De plus en plus nombreux, les codes de conduite élaborés par une multiplicité d’acteurs privés (code de conduite de la Fédération internationale des industries du jouet, Pacte d’intégrité de Transparency International) ou privés et publics (Global Compact) contribuent à l’émergence de règles formelles qui se diffusent, et donc aux efforts et pratiques de régulation (Benoît Frydman et Gregory Lewkowicz).

Recours auprès du Tribunal arbitral du sport, 1986-2016

Source : Tribunal arbitral du sport, www.tas-cas.org

Commentaire : Le Tribunal arbitral du sport a vu son activité significativement augmenter au cours des années 2000. Ce tribunal, dont les décisions font jurisprudence en la matière, est généralement saisi pour résoudre les litiges commerciaux (sponsors, droits de rediffusion, contrats, responsabilités lors d’accidents, etc.) et disciplinaires (dopage, brutalités, injures, etc.) ; le football et les Jeux olympiques y tiennent une place importante.

Vers un droit global ?

Un nombre croissant d’acteurs privés qui s’autorégulent ou qui coopèrent avec les acteurs publics s’investissent dans la formulation de normes et dans des mécanismes de régulation quasi judiciaires qui se multiplient. Ces pratiques témoignent de l’interpénétration croissante des droits internes et internationaux, privés et publics, et du jeu qui découle de leurs interstices. Dès lors, certains spécialistes s’interrogent sur l’existence d’un droit global. La démarche, questionnée par d’autres juristes, incite à s’écarter de concepts canoniques de la discipline du droit (tels que les sources de droit ou l’ordre juridique), à s’émanciper des États et à privilégier une approche pragmatique. Elle permet de saisir des « objets juridiques non identifiés » (Benoît Frydman), d’élaborer une analyse à échelle multiple, de réintroduire le jeu des acteurs privés et/ou publics dans l’élaboration du droit, fût-il mou, et d’étudier la circulation des normes et de leurs effets. Elle invite à ouvrir les objets du droit au-delà des règles juridiques classiques (normes, standards, codes de conduite, etc.) et à penser ensemble des pratiques souvent cloisonnées – comme dans le cas de l’affaire des « Quatre de Butare », à propos du génocide rwandais, des procédures engagées sur la base de l’ Alien Tort Claims Act (affaire Total-Unocal au Myanmar), des contentieux entre l’Union de banques suisses et la communauté juive, la responsabilité sociale des entreprises, les mécanismes privés de régulation du changement climatique, etc. Elle offre ainsi la possibilité d’étudier la complexité de la configuration juridique actuelle.

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