Droit privé, droit transnational, droit global
Wyndham Beawes, Lex Mercatoria Rediviva or the Merchant’s directory, Dublin, 1754
Crédit : Domaine public
Wyndham Beawes, Lex Mercatoria Rediviva or the Merchant’s directory, Dublin, 1754.
Wyndham Beawes présente son ouvrage comme un guide complet pour tous les hommes d’affaires quels qu’ils soient (commerçants, prêteurs, propriétaires, expéditeurs, capitaines, assureurs, courtiers, commissionnaires, subrécargues, employés). Il reprend largement les travaux de Jacques Savary (Le parfait négociant) et de son fils Savary des Brulons. La lex mercatoria désigne un ensemble de règles et d’usages utilisés par les marchands pour gérer leurs échanges et transactions, illustrant ainsi la régulation d’activités transnationales par des règles informelles d’origine privée.
Résumé
Les États ont mis en place des accords bilatéraux et multilatéraux pour résoudre les conflits issus de la divergence de leur droit privé. Mais ces efforts ne résument pas les pratiques de régulation à partir de règles privées. Un nombre croissant d’acteurs privés, qui s’autorégulent ou qui coopèrent avec les acteurs publics, s’investissent dans la formulation de normes et dans des mécanismes de régulation quasi judiciaires, si bien que des juristes s’interrogent sur l’existence d’un droit global.
Chaque État a élaboré un droit privé qui ne rencontre pas nécessairement celui de ses homologues. Dès lors que circulent les biens, les individus et les entités de droit privé, des conflits peuvent émerger entre ces différents droits : cas de divorce entre personnes de nationalités différentes, adoption d’enfants à l’étranger, succession d’un individu ayant un patrimoine transnational, risque de double imposition fiscale, etc. Avec la mondialisation et les innovations technologiques, ces situations sont plus nombreuses et touchent de plus en plus de thèmes (gestation pour autrui, protection des lanceurs d’alerte, circulation des œuvres artistiques dématérialisées, etc.).
Pour réguler ces conflits et permettre un minimum de prévisibilité et de stabilité, les États ont mis en place des accords bilatéraux et ont engagé des négociations multilatérales. À l’échelle régionale, l’OEA (Organisation des États américains) a œuvré à la codification du droit international privé, dans la lignée du code Bustamante de 1928. L’Union européenne (UE) a amorcé une dynamique communautaire de résolution de ces divergences en établissant une priorité soit de lois, soit de juridictions (Rome I et Rome II). À l’échelon mondial, la conférence de La Haye de droit international privé, établie en 1893 d’abord sous la forme de conférences puis d’une organisation intergouvernementale à partir de 1955, a pour tâche d’unifier les règles de droit international privé. L’évolution du nombre d’États membres, leur diversité en termes géographiques et en termes de traditions juridiques (entrée de pays de common law à partir de 1955), la possibilité pour des organisations régionales d’y adhérer (UE en 2007) témoignent non seulement de l’ouverture de l’institution mais également de l’importance croissante des efforts de coordination et d’harmonisation, dans un monde où les frontières sont sans arrêt franchies.
Commentaire : Cette carte montre les membres de la conférence de La Haye de droit privé. Cette organisation vise à harmoniser le droit international privé. Seuls 82 États en sont membres, essentiellement d’Europe et d’Amérique du Nord et du Sud ; ainsi que quelques pays d’Afrique et du Moyen-Orient (Afrique du Sud, Égypte, Maroc, Arabie Saoudite, Turquie, etc.), d’Asie (Chine, Inde, Japon, Corée du Sud, Malaisie, etc.) et d’Océanie (Australie et Nouvelle-Zélande).
Rôle croissant du secteur privé dans les efforts de régulation mondiale
Les efforts d’unification du droit international privé ne résument pas l’ensemble des pratiques de régulation à partir de règles privées. D’une part, les droits nationaux sont mis volontairement en compétition par des acteurs privés qui cherchent à tirer parti de leurs divergences. Ainsi en est-il des firmes multinationales, qui définissent stratégiquement l’implantation de succursales en comparant les avantages qu’elles peuvent tirer des droits nationaux. D’autre part, des règles formelles ou informelles, d’origine privée ou hybride (mêlant des acteurs publics et privés), participent de manière croissante à la régulation d’activités transnationales. La lex mercatoria constitue par exemple un ensemble de règles et d’usages élaborés par le milieu marchand. La Chambre de commerce internationale (CCI) définit des international commercial terms (Incoterms), c’est-à-dire les obligations et les responsabilités du vendeur et de l’acheteur dans une vente internationale. Le Comité international olympique (CIO), association de droit privé, et les organisations qui lui sont liées (fédérations sportives internationales et comités nationaux olympiques) édictent des normes a-nationales destinées au mouvement sportif. Le Tribunal arbitral du sport (TAS), instance quasi judiciaire dont le recours est croissant, en constitue l’organe de contrôle. De plus en plus nombreux, les codes de conduite élaborés par une multiplicité d’acteurs privés (code de conduite de la Fédération internationale des industries du jouet, Pacte d’intégrité de Transparency International) ou privés et publics (Global Compact) contribuent à l’émergence de règles formelles qui se diffusent, et donc aux efforts et pratiques de régulation (Benoît Frydman et Gregory Lewkowicz).
Commentaire : Le Tribunal arbitral du sport a vu son activité significativement augmenter au cours des années 2000. Ce tribunal, dont les décisions font jurisprudence en la matière, est généralement saisi pour résoudre les litiges commerciaux (sponsors, droits de rediffusion, contrats, responsabilités lors d’accidents, etc.) et disciplinaires (dopage, brutalités, injures, etc.) ; le football et les Jeux olympiques y tiennent une place importante.
Vers un droit global ?
Un nombre croissant d’acteurs privés qui s’autorégulent ou qui coopèrent avec les acteurs publics s’investissent dans la formulation de normes et dans des mécanismes de régulation quasi judiciaires qui se multiplient. Ces pratiques témoignent de l’interpénétration croissante des droits internes et internationaux, privés et publics, et du jeu qui découle de leurs interstices. Dès lors, certains spécialistes s’interrogent sur l’existence d’un droit global. La démarche, questionnée par d’autres juristes, incite à s’écarter de concepts canoniques de la discipline du droit (tels que les sources de droit ou l’ordre juridique), à s’émanciper des États et à privilégier une approche pragmatique. Elle permet de saisir des « objets juridiques non identifiés » (Benoît Frydman), d’élaborer une analyse à échelle multiple, de réintroduire le jeu des acteurs privés et/ou publics dans l’élaboration du droit, fût-il mou, et d’étudier la circulation des normes et de leurs effets. Elle invite à ouvrir les objets du droit au-delà des règles juridiques classiques (normes, standards, codes de conduite, etc.) et à penser ensemble des pratiques souvent cloisonnées – comme dans le cas de l’affaire des « Quatre de Butare », à propos du génocide rwandais, des procédures engagées sur la base de l’ Alien Tort Claims Act (affaire Total-Unocal au Myanmar), des contentieux entre l’Union de banques suisses et la communauté juive, la responsabilité sociale des entreprises, les mécanismes privés de régulation du changement climatique, etc. Elle offre ainsi la possibilité d’étudier la complexité de la configuration juridique actuelle.
- État
- L’État est un système politique centralisé (différent du système féodal), différencié (de la société civile, espace public/privé), institutionnalisé (dépersonnalisation de l’institution), territorialisé (un territoire dont les frontières marquent de manière absolue les limites de sa compétence), qui prétend à la souveraineté (détention du pouvoir ultime) et se doit d’assurer la sécurité de sa population. En droit international public, l’État se définit par une population qui vit sur un territoire borné par des frontières sous l’autorité d’un pouvoir politique (État national territorial).
- nationalités > Nationalité
- Juridiquement, la nationalité exprime l’appartenance légale d’un individu à un État, selon les règles édictées par celui-ci. La nationalité provient d’une filiation (droit du sang), de la naissance sur un territoire (droit du sol), ou s’acquiert par naturalisation. La notion de nationalité est liée au développement de l’État-nation et à la notion de citoyenneté, bien que les statuts de ressortissant et de citoyen ne se recoupent pas systématiquement (régimes non démocratiques, discrimination de certaines catégories de population selon des critères ethniques, religieux, linguistiques ou sociaux).
- mondialisation > Mondialisation
- Le terme mondialisation renvoie à un ensemble de processus multidimensionnels (économiques, culturels, politiques, financiers, sociaux, etc.) qui reconfigurent l’espace mondial. Ces processus ne consistent pas seulement en un changement d’échelle généralisé vers le mondial car ils ne convergent pas nécessairement, ne touchent pas tous les individus et n’ont pas sur eux les mêmes effets. Plus que l’intensification des échanges de tous types, l’internationalisation des économies ou l’essor des connexions, la mondialisation contemporaine désigne les transformations de l’organisation spatiale des relations économiques, politiques, sociales et culturelles.
- circulation > Circulation
- Hommes, marchandises, services, capitaux, informations, idées, valeurs et modèles sont objets de transferts et d’échanges de plus en plus importants. L’augmentation, la diversification et l’accélération des circulations caractérisent les processus actuels de mondialisation. Elles mettent en relation des espaces économiques et sociaux, par l’intermédiaire de réseaux qui, selon leur densité, leur fluidité, leur débit et leur hiérarchie peuvent profondément les différencier. De toutes les circulations, l’information au sens le plus large du terme est celle qui connaît la croissance la plus rapide, alors que celle des hommes est celle qui rencontre le plus d’obstacles.
- multilatérales > Multilatéralisme
- Considérer le multilatéralisme comme une coopération internationale impliquant au moins trois États revient à le réduire à une simple technique alors que celui-ci se double d’une dimension qualitative et normative présente dès la Société des Nations. Selon Franck Petiteville, le multilatéralisme est ainsi une forme d’action collective internationale dont la finalité est de produire « de(s) normes et de(s) règles visant à établir un ordre international coopératif régissant les interdépendances internationales ». L’apparition de l’adjectif « multilatéral » à la fin de la décennie 1940 est concomitante de la prise de conscience de cette dimension.
- frontières > Frontière
- Ligne au-delà de laquelle cesse la souveraineté étatique. Elle se distingue des marges floues ou limites des empires. N’ayant rien de naturel, ces constructions historiques lentes, plus ou moins endogènes, et plus ou moins objet de contestations et de violence, sont profondément modifiées par les processus de mondialisation contemporains. Les intégrations régionales les transforment, les atténuent, voire les suppriment et les repoussent ; les acteurs transnationaux les traversent ou les contournent en même temps qu’elles se sont fermées aux migrations et que de nouvelles frontières (sociales, culturelles) sont érigées.
- régulation > Régulation
- Le terme régulation désigne l’ensemble des processus et des mécanismes qui permettent le fonctionnement normal et régulier d’un système. Appliquée à l’international, l’expression désigne l’ensemble des processus, des mécanismes et des institutions qui œuvrent à la correction des déséquilibres susceptibles de menacer l’ordre mondial ainsi qu’à la prévisibilité du comportement des acteurs, donc à la stabilité. Elle est étroitement liée aux notions de gouvernance et de biens publics mondiaux.
- firmes multinationales > Firme multinationale
- Entreprise ayant réalisé des investissements directs à l’étranger (IDE) lui permettant de posséder des implantations qu’elle contrôle entièrement ou partiellement (des filiales). Les premières datent de la fin du xixe siècle ; elles se sont généralisées au début du xxie siècle. La majorité des IDE se font entre pays industrialisés. Plus que multinationales, ces entreprises sont transnationales et ont tendance, pour les plus importantes, à se transformer en entreprises-réseaux globales.
- transnationales > Transnational
- Est transnationale toute relation qui, par destination ou par volonté délibérée, se construit dans l’espace mondial au-delà du cadre étatique national et qui se réalise en échappant, au moins partiellement, au contrôle ou à l’action médiatrice de l’État (Bertrand Badie, 1999). Le transnationalisme est une interprétation des relations internationales qui met l’accent sur le rôle des acteurs non étatiques et des flux traversant les frontières. Elle s’est développée à partir des années 1970 en réaction à la domination des analyses réalistes et néoréalistes autour d’auteurs comme Joseph Nye, Robert Keohane ou James Rosenau.
- génocide > Génocide
- Crime visé par la convention internationale du 9 décembre 1948. Sa définition pointe des actes commis dans l’intention de détruire, en tout ou en partie, un groupe national, ethnique, racial ou religieux, sous forme soit : a) de meurtre de membres du groupe ; b) d’atteinte grave à l’intégrité physique ou mentale de membres du groupe ; c) de soumission intentionnelle du groupe à des conditions d’existence devant entraîner sa destruction physique totale ou partielle ; d) de mesures cherchant à entraver les naissances au sein du groupe ; e) de transfert forcé d’enfants du groupe à un autre groupe.
- communauté > Communauté
- Selon le sociologue allemand Ferdinand Tönnies (1855-1936), la communauté (Gemein-schaft) s’oppose à la société (Gesellschaft) et désigne toute forme d’organisation sociale dans laquelle les individus sont liés entre eux par une solidarité, naturelle ou spontanée, et animés par des objectifs communs. Selon l’usage courant, il s’agit de toute collectivité sociale à laquelle on prête une unité, quel que soit son mode d’intégration (communauté internationale, Communauté européenne ou andine ou encore croyants de telle ou telle religion). Le terme ambigu de communauté internationale désigne un ensemble vague d’acteurs politiques (États, organisations internationales, ONG, individus, etc.) fondé sur l’idée d’une humanité unie par des valeurs et des objectifs communs ou une allégeance à des institutions politiques centrales, ce qui est loin d’être le cas.
- responsabilité sociale des entreprises > Responsabilité sociale des entreprises
- Ensemble des procédures et stratégies mises en œuvre de manière volontaire (c’est-à-dire non contraignantes, même si généralement adoptées sous la pression des acteurs de la société civile) par les entreprises pour prendre en compte, dans leur gestion et leurs activités, les attentes sociétales en matière de protection de l’environnement, de défense des droits de l’homme, de lutte contre la corruption, etc. Concrètement, la RSE se traduit par des séries d’engagements pris par les entreprises (chartes éthiques, codes de conduite, etc.) et le financement de quelques projets de développement local. Elle est néanmoins critiquée pour n’être souvent qu’un simple outil de communication (greenwashing), et pour être un frein à la mise en place de contraintes légales sous prétexte d’autorégulation.
- changement climatique > Changements climatiques
- L’ONU définit les changements climatiques comme « des changements de climat qui sont attribués directement ou indirectement à une activité humaine altérant la composition de l’atmosphère mondiale et qui viennent s’ajouter à la variabilité naturelle du climat observée au cours de périodes comparables » (Convention-cadre des Nations unies sur les changements climatiques [CCNUCC], 1992). L’expression est utilisée pour décrire le réchauffement global à la surface de la Terre dont l’ampleur et la rapidité sont sans précédent dans l’histoire de la planète, et qui est le résultat de l’augmentation des émissions anthropiques de gaz à effet de serre (principalement dioxyde de carbone ou CO2, mais aussi méthane, protoxyde d’azote, perfluorocarbones, hydrofluorocarbones et hexafluorure de soufre).