Résumé

Afin de lutter contre la spéculation, un strict encadrement des marchés financiers a été mis en place après la crise de 1929. Ce système a pris fin au cours des années 1980, emporté par un vaste mouvement de déréglementation, qui s’est traduit par une croissance exponentielle de la finance globalisée, ponctuée de crises de plus en plus fréquentes. Les États restent impuissants à rétablir une gouvernance plus ferme, que ce soit pour des raisons idéologiques ou de proximité avec les acteurs de la finance.

La crise de 1929 fut déclenchée par l’explosion d’une bulle spéculative à la bourse de New York. Née dans l’euphorie des années 1920, cette bulle fut favorisée par la possibilité d’investir en bourse grâce à des crédits obtenus auprès des banques de dépôt (où tous les épargnants gardent leur argent) et par la banalisation des manipulations frauduleuses des cours. Le krach plongea les marchés financiers dans une dépression d’ampleur inédite où les faillites bancaires en cascade entraînèrent la ruine des petits épargnants. Rapidement, l’économie des États-Unis entra en récession, provoquant pauvreté et chômage (Grande Dépression). Les mesures protectionnistes des États-Unis provoquèrent une contraction du commerce mondial qui accéléra la propagation de la crise à l’ensemble des économies occidentales. En réponse, dès son entrée en fonction en 1933, le président Franklin D. Roosevelt lança le New Deal, vaste ensemble de réformes économiques et sociales qui posèrent les fondations d’un État-providence aux États-Unis (mise en place de la sécurité sociale pour atténuer les conséquences sociales des crises économiques). Il chercha également à encadrer plus strictement les marchés financiers au moyen de la loi Glass-Steagall (séparation des banques de dépôt et d’investissement, jusqu’à son abrogation en 1999 sous Bill Clinton), de la création de la Securities and Exchange Commission (SEC, l’organisme de contrôle des marchés financiers), etc. Cet effort de régulation fut poursuivi après la seconde guerre mondiale, avec les Accords de Bretton Woods organisant le contrôle des flux de capitaux à l’ échelle mondiale.

Évolution de l’indice Dow Jones de la Bourse de New York, 1920-2018

Source : Louis Johnston et Samuel H. Williamson, « What Was the US GDP Then ? », measurinworth.com 

Commentaire : Créé à la fin du XIXe siècle et rassemblant à l’époque essentiellement des sociétés de chemins de fer, l’indice Dow Jones illustre bien les péripéties de la finance mondiale sur le temps long. L’indice indique la valeur des trente premières entreprises cotées à la Bourse de New York. Le profil de la courbe montre d’une part une augmentation exponentielle autour des décennies 1980-1990 ou après 2009 et, d’autre part, de brusques effondrements qui rapportent des krachs répétitifs : en 1929, en 2000-2001 (dit « de la bulle internet ») et en 2008 (dit « des subprimes ») pour les plus violents. À chaque fois, ces dérives spéculatives ont de graves conséquences économiques et sociales sur les populations.

Déréglementation idéologique de la finance

À partir des années 1970, au contraire, l’effondrement du système de Bretton Woods, à la suite de la décision des États-Unis de mettre fin à la convertibilité or-dollar, puis la crise économique née des chocs pétroliers ouvrirent la voie aux politiques d’inspiration libérale, structurées autour de l’idée que les marchés s’autorégulent et sont d’autant plus efficients qu’ils agissent sans contrainte.

Lancée par Ronald Reagan et Margaret Thatcher au cours des années 1980, puis poursuivie par leurs successeurs (de gauche comme de droite) et imitée quasiment partout ailleurs dans le monde, la dérégulation des marchés financiers a certes permis la baisse globale des coûts de financement, ce dont ont su profiter les pays émergents pour attirer des investissements directs étrangers (IDE) et se développer. Mais elle a aussi accru les possibilités de spéculation, de fraude et de défaillance systémique. Dans un monde où toute reconnaissance de dette (obligation, prêt étudiant, assurance vie, etc.) ou acte de propriété (action, brevet, etc.) peut être transformé en titre coté en bourse, et où la créativité est sans limite (produits dérivés de plus en plus complexes, cryptomonnaies, etc.), les comportements spéculatifs se sont généralisés. Précédée de multiples crises financières locales durant lesquelles l’éclatement de bulles spéculatives, a provoqué la fuite massive et brutale des capitaux suivie d’une récession économique (Mexique en 1994, Asie en 1997-1998, Russie en 1998, Argentine en 2001, etc.), la crise des subprimes (2008), du fait de ses répercussions économiques et sociales mondiales majeures, a remis (brièvement) sur l’agenda international la question de la régulation de la finance.

Timides efforts de régulation post-2008

En parallèle du sauvetage des banques en difficulté et des plans de relance, une série de réformes législatives ont été adoptées dans le but de renforcer les règles prudentielles bancaires et de transparence boursière (loi Dodd-Frank aux États-Unis, votée en 2010 sous Obama puis partiellement abrogée en 2018 sous Trump ; Système européen de surveillance financière [ SESF ] lancé en 2009 ; accords de Bâle III signés en 2010 dans le cadre du G20). Mais, alors même que les fraudes n’ont pas cessé (scandale du Libor en 2011), ces réformes cherchent prioritairement à rendre les marchés financiers plus fonctionnels, sans remettre en cause la nature spéculative de leur fonctionnement, totalement déconnecté de l’économie réelle.

Malgré quelques avancées pour lutter contre les paradis fiscaux, maillons clés de la finance globale, les États ont renoncé à édicter des règles contraignantes pour freiner les tendances spéculatives des marchés (trading haute fréquence). Plus encore, ils excluent d’utiliser l’outil fiscal pour dissuader les comportements spéculatifs. Maintes fois annoncée, la taxe sur les transactions financières peine à être instaurée faute d’accord entre les États (au sein du Conseil européen notamment). Quant au FMI, très favorable aux thèses libérales, il concentre son attention sur l’aide aux pays en difficulté financière plutôt que sur la gouvernance des activités financières.

Pour contrer toute velléité de régulation, les acteurs financiers s’appuient sur de nombreux relais politiques, leur permettant d’exercer un lobbying puissant. Aux États-Unis et en Europe, la séparation entre les régulateurs et les régulés est floue tant sont nombreux les ponts entre le monde politique et celui des acteurs privés de la finance, telle la banque d’affaires Goldman Sachs, dont sont notamment issus de nombreux dirigeants d’institutions publiques (dont le président de la Banque centrale européenne [BCE], Mario Draghi), des secrétaires au Trésor étatsuniens (sous Bill Clinton, George W. Bush et Donald Trump), et qui inversement recrute d’anciens dirigeants politiques, comme l’ancien président de la Commission européenne, José Manuel Barroso, juste après la fin de son mandat.

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