Résumé

L’action humanitaire repose sur des normes de droit et sur l’engagement neutre et universel de ses acteurs, dans l’objectif d’alléger les souffrances de populations en situation d’urgence. Les transformations des conflits, l’évolution des rapports internationaux et la remise en cause de l’universalisme incitent à faire évoluer les contextes opérationnels des acteurs de l’aide et à s’interroger sur la légitimité de leurs interventions.

Remontant à la fondation du Comité international de la Croix-Rouge (CICR) par Henry Dunant et 16 États européens en 1863, l’action humanitaire répond à l’impératif d’alléger les souffrances de populations en situation d’urgence. Elle repose à la fois sur l’engagement impartial et universel de ses acteurs, sur une série de normes codifiées par le droit international humanitaire (notamment les conventions de Genève) et sur l’engagement complémentaire d’acteurs publics et privés (ONG, OI, États). Les transformations des conflits contemporains, de même que l’évolution des rapports internationaux et la remise en cause de l’universalisme, font évoluer les contextes opérationnels des acteurs de l’humanitaire tout en soulevant la question des conditions de légitimité de leurs interventions.

Émergence du sans-frontiérisme

Alors que la Croix-Rouge et les premières ONG humanitaires intervenaient en concertation avec les acteurs étatiques, les années 1970 marquent l’émergence du sans-frontiérisme, conception de l’aide fondée sur l’idée d’un engagement au service de causes universelles et échappant – voire s’opposant – à toute médiation étatique. Pour les initiateurs de cette approche, notamment les fondateurs de l’ONG Médecins sans frontières dans le contexte de l’émotion soulevée par la guerre du Biafra (1967-1970), l’action humanitaire est avant tout un impératif moral. Ses acteurs ont non seulement le devoir d’aider toutes les victimes de conflits, indépendamment de leur nature et de leurs engagements, mais aussi de témoigner des situations dans lesquelles des abus sont perpétrés par les États eux-mêmes. C’est de ces principes d’engagement que naît l’idée de droit d’ ingérence humanitaire, à partir duquel les Nations unies ont formulé en 2005 le concept de responsabilité de protéger.

Zones d’action de Médecins sans frontières, 2016

Source : Médecins sans frontières, www.msf.org

Commentaire : L’ONG médicale humanitaire internationale Médecins sans frontières (MSF), créée en 1971, est organisée en 24 sections indépendantes (essentiellement localisées dans les pays du Nord, au Brésil et en Afrique du Sud) et en bureaux annexes, aussi dans des pays du Nord ou des émergents. L’ONG mobilise des bénévoles qui contribuent à la collecte de fonds (plus de 90 % des fonds sont privés, garantie d’une indépendance aux États). MSF mène des actions de sensibilisation, de communication et d’assistance à ceux dont la santé et la vie sont menacées (conflits, épidémies, catastrophes naturelles et exclusions de soins). Le déploiement du personnel montre la géographie des actions sur le terrain : surtout en Afrique, en Asie de l’Ouest et en Haïti.

La transformation des conflits, et par conséquent des contextes d’intervention des acteurs de l’aide humanitaire, altère les formes de leurs engagements tout en entraînant des interrogations sur leur capacité à préserver leur neutralité.

La remise en question du droit international humanitaire, dans des contextes où la distinction entre civils et militaires paraît souvent ténue, conduit à une présence humanitaire au plus près des lignes de front. En résultent de nouvelles problématiques de sécurité pour ces acteurs, parfois directement ciblés par des belligérants (MSF [Médecins sans frontières] a notamment dénoncé ce ciblage après le bombardement par l’armée afghane de l’ hôpital de Kunduz en Afghanistan en 2015). Se pose alors la question d’accepter ou non la protection d’armées régulières ou de mouvements rebelles, quitte à remettre en question, au moins en apparence, l’impartialité de l’engagement humanitaire.

Le débat sur la neutralité et les relations à entretenir avec les organisations armées procède parallèlement de la nature de plus en plus souvent intégrée, civile et militaire, des interventions internationales en matière de résolution de conflits. Il s’ajoute au dilemme des ONG face à la question de se placer ou non sous protection armée (et si oui, de qui ? compagnies de sécurité privée, milices, armées régulières, intervenants internationaux ?) lorsqu’elles interviennent au plus près des lignes de front – ce qui est de plus en plus fréquent, dans le contexte de conflits contemporains marqués précisément par le brouillage de la distinction entre le « front » et « l’arrière ». Cette imbrication conduit certains acteurs humanitaires à pointer les risques et éventuelles compromissions d’une action humanitaire « casquée », nourrissant selon eux la confusion des genres et donc le ciblage d’ONG assimilées à l’ennemi par certains belligérants.

Acteurs civils en marge des opérations de maintien de la paix des Nations unies, 2017

Source : Nations unies, Maintien de la paix, www.un.org 

Commentaire : Ce graphique montre l’importance des acteurs autres que les militaires (Casques bleus) et les policiers dans les opérations de maintien de la paix de l’ONU. La part de ces civils en marge des opérations est importante dans les petites opérations (Kosovo, Pakistan, Moyen-Orient, Sahara occidental, etc.), alors que dans les opérations massives (de 10 000 à plus de 20 000 participants), les civils ne dépassent jamais le cinquième des effectifs (RDC en 2010, Darfour en 2007, Soudan du Sud en 2011, Mali en 2013, République centrafricaine en 2014 ou encore Liban en 1978).

Entre volonté de coordination et remise en cause de l’universalisme

Dans ce contexte d’évolution de la relation entre acteurs humanitaires et intervenants étatiques ou organisations internationales, on assiste au renforcement des tentatives de coordination de l’aide de la part des organisations internationales. Cette dimension n’est pas nouvelle : un premier traité a été signé en 1927 sous l’égide de la SDN (Société des Nations), puis l’Organisation des Nations unies pour le secours en cas de catastrophe a été fondée en 1971 avant d’être remplacée en 1991 par le Bureau de coordination de l’aide humanitaire des Nations unies. Mais la réforme humanitaire de 2005 a accentué la volonté onusienne de rationaliser l’aide, perçue par certains comme une tentative de contrôle.

On voit aussi se dessiner une remise en cause de l’universalisme humanitaire, tant au plan des principes que dans les pratiques de certains acteurs. Au plan des principes, elle est formulée depuis les années 1990 et le débat opposant des « valeurs asiatiques » à un universalisme assimilé par ses critiques à une affirmation de valeurs occidentales. Des ONG fondées sur une base identitaire ou religieuse se sont développées à la faveur de ce débat. Elles n’appliquent pas le principe de neutralité et se situent à l’opposé des modes d’action des premières ONG confessionnelles, très tôt impliquées dans le champ humanitaire au nom du principe de charité présent dans toutes les traditions religieuses. On peut citer à cet égard la différence entre des ONG confessionnelles conventionnelles, comme Caritas et le Secours islamique, qui se veulent parties prenantes d’un humanitarisme pluraliste, et des ONG à dimension communautaire comme BarakaCity ou SOS Chrétiens d’Orient, dont les actions de levées de fonds comme les interventions se limitent aux contours de leurs communautés respectives.

Missions sociales du Secours islamique France, 2016

Source : Secours islamique France, Rapport annuel 2016, www.secours-islamique.org 

Commentaire : Fondé en 1991, le Secours islamique France est une ONG française d’assistance humanitaire et de développement. Signataire du code de conduite pour le Mouvement international de la Croix-Rouge et du Croissant-Rouge, l’ONG s’engage à intervenir de manière indépendante et impartiale tout en s’inspirant de valeurs islamiques. Ses dépenses, financées à hauteur de 60 % par des dons, concernent principalement la France, le Moyen-Orient, l’Afrique sahélienne et l’Asie du Sud.

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