Eau précieuse
Collecte d'eau dans le bidonville de Kallyanpur à Dhaka, Bangladesh, 2010
Crédit : UN Photo / Kibae Park / CC BY NC ND
Collecte d'eau dans le bidonville de Kallyanpur à Dhaka, Bangladesh, 2010.
Environ 80 points d’eau et latrines partagés ont été installés au début des années 2010 dans ce bidonville où vivent environ 40 000 habitants. Près de 85 % d'entre eux utilisent directement l’eau pour boire, sans la filtrer ou la faire bouillir et plus de la moitié souffrent de diarrhées, un quart de la dysenterie ou du choléra. Conditions sanitaires déplorables et faible niveau d’éducation se combinent et se renforcent mutuellement, 40 % de la population du bidonville n’étant pas scolarisée. L'accès à l'eau potable est un des grands marqueurs d'inégalités dans le monde, plus de 2 milliards d'individus n'en disposent pas à domicile et plus de 800 000 meurent chaque année de maladies liées à l'eau
Résumé
D’un accès très inégal, l’eau douce fait l’objet d’une utilisation massive par l’agriculture intensive, l’industrie et le secteur énergétique. S’y ajoutent des modes de consommation peu durables ainsi que la croissance des pays émergents, qui entraînent une forte augmentation de la demande en eau, tandis que la dégradation des sols et les changements climatiques aggravent le stress hydrique.
Ressource renouvelable – mais non substituable – et indispensable à la vie, l’eau douce reste d’un accès très inégalement réparti selon la localisation des aquifères souterrains et des bassins hydrographiques, la capacité des sociétés à les gérer et les modes d’appropriation, d’exploitation et de distribution.
La consommation annuelle mondiale représente un septième de l’eau douce disponible et le PNUD (Programme des Nations unies pour le développement) évalue le droit à l’eau à 20 litres minimum par jour et par personne. Pourtant, 840 millions d’individus – dont 90 % en Afrique subsaharienne et en Asie – n’ont pas accès à l’eau potable (source potable protégée à moins de 30 minutes du domicile), 2,1 milliards n’y ont pas accès à leur domicile et 4,4 milliards ne sont pas reliés à un réseau d’assainissement sûr (toilettes, lavage des mains).
Commentaire : Le Joint Monitoring Programme for Water Supply, Sanitation and Hygiene de l’OMS et de l’Unicef collecte des données sur l’eau, l’assainissement et l’hygiène dans les pays et les régions du monde. Cette carte de l’accès aux services de l’eau potable montre à quel point celui-ci n’est pas universel. Dans de nombreux pays d’Afrique, il ne concerne qu’une partie de la population et entre 20 % (en Érythrée) et 60 % des habitants en sont encore privés, même si les hachures indiquent une évolution positive entre 2000 et 2015 avec le franchissement des 50 %.
En dépit de progrès notables depuis les années 1990, 1,8 milliard de personnes restent approvisionnées par de l’eau contaminée et plus de 800 000 (dont plus de 40 % d’enfants de moins de 5 ans) meurent chaque année de maladies liées à l’eau (diarrhées, dysenterie, choléra, typhoïde, etc.).
D’ici à 2050, plus de 40 % de la population mondiale risquent de vivre dans des régions touchées par une pénurie d’eau (Inde, Chine, Méditerranée, Moyen-Orient, Asie centrale, Afrique subsaharienne sèche, Australie, ouest de l’Amérique, etc.). Neuf pays (Brésil, Russie, États-Unis, Canada, Chine, Indonésie, Inde, Colombie, Pérou) se partagent 60 % des réserves mondiales, tandis que l’Asie, qui abrite près de 60 % de la population mondiale, ne dispose que de 30 % des réserves.
L’eau est utilisée à 70 % par l’ agriculture intensive (évaporation dans les terres agricoles irriguées), à 20 % par l’industrie (notamment manufacturière) et à 10 % par la consommation des ménages. La production d’énergie, certains modes de consommation (alimentation carnée, gaspillage alimentaire, etc.) et la croissance des pays émergents induisent une forte augmentation de la demande en eau.
Stress hydrique
Les situations de stress hydrique (< 1 700 m 3 par an et par habitant) ou de pénurie (< 1 000 m 3) concernent surtout les populations les plus défavorisées et sont aggravées par les ponctions excessives dans les eaux de surface, les politiques publiques de gestion des ressources inadaptées, les pollutions diverses, l’urbanisation, l’ étalement urbain et l’accroissement démographique ou encore les changements climatiques et leurs effets (sécheresses et inondations accrues).
Commentaire : Sur le modèle de l’empreinte écologique, l’empreinte eau (« water footprint ») a été conçue pour mieux appréhender le stress hydrique. Elle comprend l’eau bleue (pompée dans les nappes phréatiques), l’eau verte (utilisée par les végétaux pour produire la biomasse), l’eau virtuelle (contenue dans les produits agricoles ou manufacturés commercialisés) et l’eau grise (utilisée pour dépolluer et recycler les effluents). Réalisée à partir des données du think tank américain World Resources Institute, la carte montre des projections de stress hydrique en 2040. Celui-ci fait le rapport entre les prélèvements totaux annuels en eau et le total des ressources renouvelables annuelles disponibles. Les valeurs les plus élevées indiquent plus de concurrence entre les utilisateurs et affectent une grande part de la population mondiale : ouest des États-Unis, Mexique, côte ouest de l’Amérique latine, pourtour méditerranéen, Moyen-Orient, Asie de l’Ouest et nord de la Chine.
Ces facteurs accentuent la dégradation des sols (érosion, acidification, imperméabilisation, déséquilibre en éléments nutritifs, contamination, perte de la biodiversité, etc.).
Les eaux usées restent inégalement traitées selon les niveaux de développement (70 % dans les pays à revenu élevé, 38 % dans les pays à revenu intermédiaire supérieur, 28 % dans les pays à revenu intermédiaire inférieur, et seulement 8 % dans les pays à faible revenu), entraînant une dégradation des eaux de surface et souterraines et des écosystèmes marins (pollution organique, eutrophisation, désoxygénation de l’eau, etc.).
Si l’eau a longtemps été principalement perçue comme un enjeu géopolitique à travers les tensions dont elle est l’objet (bassins fluviaux transfrontaliers, partage des eaux territoriales, hydroconflictualité, etc.), une prise de conscience progressive de l’ampleur et de la diversité des problématiques liées à l’eau s’est effectuée depuis les années 2000.
Elle a culminé avec la place accordée à cet enjeu dans les objectifs de développement durable (ODD) adoptés en 2015. Les projets de « solutions fondées sur la nature » (c’est-à-dire inspirées du cycle naturel de l’eau) se multiplient afin de préserver les zones humides et leur écosystème, de retenir naturellement les eaux, de gérer durablement les eaux pluviales et de ruissellement en milieu urbain et périurbain (« villes perméables » ou sponge cities) ou d’utiliser l’eau comme source d’énergie.
Gestion publique vs privée
États, municipalités, firmes multinationales, organisations internationales, ONG, organisations communautaires de base, usagers, chercheurs : les acteurs impliqués dans la gestion de l’eau sont nombreux et entretiennent des relations complexes. La gestion comprend le captage, la purification, le stockage, la distribution, la collecte des eaux usées, l’assainissement et le recyclage. Dans le monde, 90 % de l’eau utilisée est gérée par une régie publique, les 10 % restants relevant soit d’une délégation de service public à un opérateur privé pour une durée déterminée et pouvant aller jusqu’à la concession dans le cadre d’un partenariat public-privé (PPP) (modèle français), soit d’une initiative privée associative (colportage d’eau à domicile, bornes-fontaines, gestion de mini-réseaux, etc.), soit d’opérateurs privés sous la forme d’une privatisation du service public (modèle anglo-saxon).
Commentaire : Après avoir été l’objet privilégié de partenariats public-privé (PPP) pendant plusieurs décennies, les services d’approvisionnement en eau et d’assainissement sont devenus l’un des principaux secteurs touchés par la remunicipalisation (entre mars 2000 et mars 2015, 235 cas dans 37 pays, pour plus de 100 millions de personnes). La carte, établie à partir des données du projet Water Justice mis en place par un groupe de recherche et de plaidoyer pour des modèles équitables, démocratiques et durables d’approvisionnement en eau (Corporate Europe Observatory et Transnational Institute), montre que ces remunicipalisations touchent davantage les pays à revenus élevés.
De nombreuses ONG, locales ou internationales, travaillent à l’amélioration de la gestion des ressources en eau dans les communautés rurales et les bidonvilles urbains. Il en est de même des organisations internationales et régionales, souvent de façon fragmentée (une trentaine d’instances onusiennes s’y consacrent, rassemblées depuis 2003 sous la bannière d’ONU Eau/ UN Water). Depuis 1996 s’y ajoute le Conseil mondial de l’eau, club à vocation de think tank, lié au secteur privé, qui s’est autoproclamé organisation internationale et organise un Forum mondial de l’eau triennal.
- agriculture intensive > Agriculture intensive
- Agriculture caractérisée par un usage massif d’intrants de synthèse (produits phytosanitaires tels qu’engrais chimiques, pesticides, herbicides, fongicides, etc.), par une mécanisation poussée (labour, traitements, récoltes, soins aux animaux), par une sélection variétale et désormais aussi par une ingénierie génétique (OGM). Elle permet ainsi d’augmenter les rendements agricoles à court et moyen termes, au prix d’une atteinte à la biodiversité, à l’environnement et à la santé (pollution des sols, des nappes phréatiques et des cours d’eau souterrains, érosion, désertification). Parmi les alternatives figurent l’agriculture raisonnée, l’agriculture biologique, l’agroécologie et la permaculture.
- croissance > Croissance
- Augmentation soutenue et à long terme de la production de richesses économiques d’un pays, c’est-à-dire de son PIB. La croissance économique n’est pas synonyme de développement. Sa mesure à l’aide d’outils purement économiques et monétaires est de plus en plus insatisfaisante en raison de la déterritorialisation et de la transnationalisation des activités économiques, de l’absence de prise en compte de la création de richesses non monétisables (alphabétisation, savoir scientifique ou culturel…) et surtout de l’encouragement au productivisme qu’elle implique, malgré les destructions (écologiques notamment) potentielles qu’engendre une croissance pensée uniquement sous le prisme de l’économie et de la rentabilité financière.
- pays émergents > Pays émergent
- Cette expression est issue d’un discours d’acteurs économiques et financiers qui, au cours des années 1980, qualifient d’émergents les marchés où l’investissement, bien que risqué, est rentable. En faisant la part belle à la croissance et en suggérant une idée de décollage, elle traduit une façon linéaire et occidentalo-centrée de penser le développement. Reprise et contestée par des acteurs politiques, cette expression désigne l’insertion internationale, économique, politique et/ou diplomatique de certains pays. Elle invite à interroger les usages de cette labellisation par des acteurs qui la revendiquent ou la rejettent.
- changements climatiques > Changements climatiques
- L’ONU définit les changements climatiques comme « des changements de climat qui sont attribués directement ou indirectement à une activité humaine altérant la composition de l’atmosphère mondiale et qui viennent s’ajouter à la variabilité naturelle du climat observée au cours de périodes comparables » (Convention-cadre des Nations unies sur les changements climatiques [CCNUCC], 1992). L’expression est utilisée pour décrire le réchauffement global à la surface de la Terre dont l’ampleur et la rapidité sont sans précédent dans l’histoire de la planète, et qui est le résultat de l’augmentation des émissions anthropiques de gaz à effet de serre (principalement dioxyde de carbone ou CO2, mais aussi méthane, protoxyde d’azote, perfluorocarbones, hydrofluorocarbones et hexafluorure de soufre).
- biodiversité > Biodiversité
- Forgée durant les travaux préparatoires du Sommet de la Terre de Rio en 1992, cette notion, qui désigne au sens strict la diversité du monde vivant, souligne l’unité du vivant, et les interdépendances qui lient les trois composantes de la diversité biologique : gènes, espèces, éco-systèmes. Ce concept fait sortir le vivant du seul champ des sciences de la nature pour l’inscrire au cœur des débats internationaux. La biodiversité est aujourd’hui à la fois un patrimoine mondial à protéger et une source de revenus potentiels âprement disputés entre États, firmes multinationales et communautés locales.
- écosystèmes > Écosystème
- Interactions dynamiques reliant le biotope (milieu biologique présentant des conditions de vie homogènes) aux êtres vivants qui y cohabitent. Élaborée au cours des années 1930 par un botaniste britannique (Arthur George Tansley), la notion d’écosystème remplace progressivement celle de « milieux naturels » qui lui préexistait, en insistant sur les interdépendances entre les êtres vivants et leur milieu, et parmi eux les êtres humains. Conséquemment, elle souligne combien l’atteinte à l’écosystème se répercute sur les communautés humaines qui y vivent. Le biome (également appelé biotique, biote, écozone ou macroécosystème) est un ensemble d’écosystèmes caractéristique d’une aire géographique et dénommé selon la végétation et les espèces animales qui y prédominent. L’anthrome (ou biome anthropogénique) désigne le biome lorsqu’il est modifié par des interactions humaine directes et durables avec les écosystèmes.
- géopolitique > Géopolitique
- Étude des rivalités de pouvoir pour des territoires, généralement d’États, en concurrence pour l’espace et dont le mode d’action est l’usage, direct ou indirect, de la violence organisée. Traduction du terme allemand Geopolitik (1897), ses définitions et ses usages ont varié dans le temps. Friedrich Ratzel et Rudolf Kjellén considèrent les rapports entre la politique de l’État et les données « géographiques », Karl Haushofer traite des rapports entre le sol, le sang et la race et définit l’espace vital qui fonde la propagande nazie (d’où l’abandon postérieur du terme) et Halford John Mackinder parle des bases « géographiques » de la puissance militaire, opposant les foyers continentaux aux couronnes maritimes. Plus récemment, Yves Lacoste insiste sur l’importance des représentations, l’idée de nation étant pour lui la plus forte des représentations géopolitiques. La géostratégie est la géopolitique orientée vers l’action (militaire ou économique).
- firmes multinationales > Firme multinationale
- Entreprise ayant réalisé des investissements directs à l’étranger (IDE) lui permettant de posséder des implantations qu’elle contrôle entièrement ou partiellement (des filiales). Les premières datent de la fin du xixe siècle ; elles se sont généralisées au début du xxie siècle. La majorité des IDE se font entre pays industrialisés. Plus que multinationales, ces entreprises sont transnationales et ont tendance, pour les plus importantes, à se transformer en entreprises-réseaux globales.
- partenariat public-privé > Partenariat public-privé
- Mode de financement et de gestion des équipements de services publics (hôpitaux, adduction d’eau, autoroutes, etc.) permettant à une entité publique de déléguer à un opérateur privé le financement, la construction et/ou l’exploitation et la maintenance du bien, tout en en restant propriétaire. En échange, celui-ci reçoit une rétribution de la part de l’État (sous forme de loyer) ou fait payer les services aux usagers. S’il dispense les gouvernements d’assurer eux-mêmes les financements nécessaires, ce système est néanmoins critiqué car il entraîne une privatisation des bénéfices et, assez souvent, une hausse significative du coût final pour la collectivité (somme des loyers versés par l’État très supérieure à l’investissement, augmentation des prix payés par les usagers, etc.).
- service public > Service public
- Activité d’intérêt général exercée par une collectivité publique, ou un organisme privé sous le contrôle de l’administration. Les missions attribuées au service public se sont étendues, des fonctions régaliennes traditionnelles (police, défense, justice, finances publiques, diplomatie) au secteur administré non marchand (éducation, santé, protection sociale, activités culturelles et sportives, etc.) et au secteur marchand, industriel et commercial (transports, énergie, eau, télécommunications, etc.). Le service public repose sur quelques principes fondamentaux : l’égalité d’accès et de traitement des usagers, la continuité, l’accessibilité, la neutralité et la transparence des services, et leur adaptation aux évolutions de l’intérêt général. Les notions de service d’intérêt général et de service universel, déployées au sein des institutions européennes et de certaines institutions internationales, redéfinissent – non sans controverses – le périmètre de l’action publique face à la libéralisation de certains de ses secteurs.
- ONG > Organisation non gouvernementale
- L’usage de cette expression s’est développé à la suite de son insertion dans l’article 71 de la Charte des Nations unies. Il n’existe pas de statut juridique international des ONG, si bien que ce sigle désigne des acteurs très différents selon les discours et les pratiques. Il s’agit généralement d’associations constituées de manière durable par des particuliers en vue de réaliser des objectifs non lucratifs, souvent liés à des valeurs et des convictions (idéologiques, humanistes, écologiques, religieuses, etc.) et non des intérêts. Actives tant à l’échelle locale que mondiale, sur des thèmes divers, les ONG se comptent aujourd’hui par dizaines de milliers, mais sont d’importances très inégales en termes de budget, de personnel et de développement.
- communautés > Communauté
- Selon le sociologue allemand Ferdinand Tönnies (1855-1936), la communauté (Gemein-schaft) s’oppose à la société (Gesellschaft) et désigne toute forme d’organisation sociale dans laquelle les individus sont liés entre eux par une solidarité, naturelle ou spontanée, et animés par des objectifs communs. Selon l’usage courant, il s’agit de toute collectivité sociale à laquelle on prête une unité, quel que soit son mode d’intégration (communauté internationale, Communauté européenne ou andine ou encore croyants de telle ou telle religion). Le terme ambigu de communauté internationale désigne un ensemble vague d’acteurs politiques (États, organisations internationales, ONG, individus, etc.) fondé sur l’idée d’une humanité unie par des valeurs et des objectifs communs ou une allégeance à des institutions politiques centrales, ce qui est loin d’être le cas.
- organisation internationale > Organisation internationale
- Selon Clive Archer, une OI est « une structure formelle, durable, établie par un accord entre ses membres (gouvernementaux et/ou non gouvernementaux), à partir de deux ou plusieurs États souverains, dans le but de poursuivre un intérêt commun aux membres ». Marie-Claude Smouts désigne trois traits distinctifs des OI : elles procèdent d’un « acte fondateur » (traité, charte, statut), s’inscrivent dans un cadre matériel (siège, financement, personnel), et constituent un « mécanisme de coordination ».